Hugues SHEREEN
Plurilinguismes : Pratiques, Représentations, Acquisitions, Enseignement.
Compte rendu du rapport scientifique du projet coordonné par Frédéric Tupin
Hugues Shereen
Università di Firenze
Le projet PLURI-L (« Plurilinguismes : Pratiques, Représentations, Acquisitions, Enseignement ») est un projet réalisé entre 2009 et 2014 qui a été chapeauté par le CREN (Université de Nantes) et coordonné par Frédéric Tupin. Il est le fruit d’une collaboration entre différents organismes et universités et a été soutenu par la Région des Pays de la Loire. C’est un compte-rendu du rapport scientifique final rendu en 2014 qui est présenté ici.
Les équipes de PLURI-L se sont penchées sur les pratiques, compétences et représentations en matière de plurilinguisme en milieu scolaire et dans le cadre universitaire des Pays de la Loire, en sondant tant les apprenant.e.s que le personnel enseignant.
Partant du postulat que le plurilinguisme est un atout, une richesse, et qu’il faut valoriser le répertoire de chacun, l’équipe met d’emblée en exergue que « son développement est susceptible de contribuer au renforcement des valeurs humanistes, de la tolérance et de l’acceptation de l’autre, tout comme au maintien du patrimoine culturel commun ». En effet, on peut aisément imaginer que les approches plurielles aient un impact sur la relation avec l’Autre. L’absence de glottophobie signifie une plus grande ouverture à l’autre et, par ricochet, annihile ou diminue le racisme, étant en quelque sorte son antichambre.
La recherche a été menée selon quatre grands axes et s’inscrit dans une conception intégrative du développement des compétences plurilingues, c’est-à-dire que les langues peu ou prou maitrisées par un individu sont constamment en interaction entre elles et non pas cloisonnées ou « additionnées » les unes aux autres. Ces quatre grands axes sont : le développement de la compétence plurilingue dans les enseignements primaire et secondaire (et parfois dans le milieu associatif), l’université (étude de phénomènes liés au plurilinguisme dans des filières linguistico-littéraires), la formation des enseignant.e.s et leur capacité ou non à accompagner la construction d’un répertoire plurilingue, et enfin un axe intitulé « Education et plurilinguisme : mises en perspective historiques et sociales » qui s’est intéressé à des contextes francophones bi/plurilingues non hexagonaux. C’est précisément ce quatrième axe qui se penche sur la manière dont l’histoire postcoloniale peut encore avoir un impact chez les enfants issus d’anciens pays colonisés mais vivant en France, les rapports conflictuels du passé entre nations jouant un rôle dans l’apprentissage.
Les résultats du projet sont envisagés selon trois perspectives : la perspective compréhensive, la perspective interventionniste et les préconisations. Le premier volet consistait à dresser un panorama des pratiques, représentations et situations existantes, les analyser et les comprendre par le biais d’un questionnaire soumis à des publics de différents niveaux de l’échelle éducative.
Il en ressort que les enseignant.e.s de l’école maternelle sont assez ouverts à la diversité linguistique. Ils/Elles sont favorables à la diversité culturelle et linguistique mais témoignent davantage de fermeture en ce qui concerne la variation intra-langagière, prisonniers d’une vision très normée de la langue, tout en ayant néanmoins recours à des formes langagières non conformes au « bon usage ». Quant aux variétés linguistiques présentes en classe, c’est surtout dans le maternel et le secondaire qu’elles sont valorisées à travers des activités mettant en relief le répertoire des élèves. Ces derniers subissent malheureusement la forte pression monolingue de l’institution. Hormis les élèves « médiateurs » – intermédiaires entre les nouveaux arrivants (avec lesquels ils partagent la langue étant arrivés assez récemment eux aussi) et l’institution – les autres enfants d’immigrés ne font généralement pas usage de la langue parentale à l’école. Par conséquent, seul le statut d’EANA (élèves allophones nouvellement arrivés) accorde une certaine visibilité à certaines langues. Une recherche menée au sein du projet PLURI-L a démontré combien mettre en place un dispositif d’accueil pour ces enfants au statut particulier se révèle important pour la suite de leur apprentissage. La prise en considération du répertoire des apprenants et la création d’un lieu sécurisant a des effets positifs dans les classes.
La perspective interventionniste a expérimenté des pratiques innovantes selon le mode de recherches-actions, recherches qui ont tourné autour de plusieurs pôles en territoire ligérien : production de matériel didactique (pour la maternelle), impact des expérimentations sur les élèves et réactions de leurs parents, réactions des enseignant.e.s… Des recherches qui ont été menées tant sur des enfants que des jeunes universitaires, ce qui rend celles-ci à la fois riches mais aussi complexes à réaliser de par la vastitude du public pris en examen. Celles menées sur des étudiants du supérieur (observation de séances télécollaboratives en binômes) ont mis en évidence le fait que le profil plurilingue d’un jeune (appelé profil « omnivore », c’est-à-dire ayant un répertoire culturel éclectique) est davantage disposé à découvrir de nouvelles langues qu’un profil « univore », comme si l’identité plurielle originelle d’un individu avait un impact sur sa façon d’appréhender l’altérité mais aussi sur sa capacité à développer des postures moins scolaires dans l’apprentissage.
D’autres travaux menés sur les parents d’élèves cette fois ont montré une forte adhésion en général de leur part (intérêt pour l’éveil aux langues, contribution à une « comptinothèque » plurilingue, participation à certaines activités…) même si un examen plus attentif de la situation ferait émerger que cette adhésion dépend de l’appartenance ou non des parents à des milieux socioculturels en accord avec les « normes et valeurs de l’école ». Quant aux enseignant.e.s, leur attitude varie en fonction de leur posture préalable, qui dépend de leur rapport à la norme, de leur désir ou non d’accueillir des activités plurilingues, de sortir d’une forme ethnocentrisme européen… Des craintes liées à des contraintes institutionnelles ou à un manque de formation sont cependant présentes.
D’autres travaux menés dans des contextes non hexagonaux ont mis en évidence l’utilité de l’anglais, utilisé comme langue pont pour apprendre le français en Chine, ce qui n’est guère étonnant puisque l’anglais est la plus romane des langues germaniques, ayant un pourcentage élevé de termes venus du français et du latin. Ou encore la pertinence de valoriser le métissage des cultures, le contact du français avec d’autres langues dans des contextes non ou partiellement francophones.
Le rapport présente ensuite des « préconisations » qui peuvent se résumer comme ceci : favoriser un apprentissage intégré des langues tenant compte du répertoire pluriel des apprenant.e.s, notamment les enfants issus de l’immigration (1), mettre davantage en contexte l’enseignement-apprentissage à l’aune des réalités sociales, cultures, notions de temps et d’espace et en sortant de l’idéologie dominante du pays d’accueil (2), et enfin, modifier l’attitude des enseignants par la mise en place de formations adéquates (2) en « bouleversant » leurs conceptions et en accordant davantage de reconnaissance officielle aux variétés linguistiques parlées par les élèves à domicile.
Les conclusions du projet – bien que partielles – sont intéressantes. Elles mettent en relief le comportement des étudiant.e.s, des enseignant.e.s/professeur.e.s et, dans une moindre mesure, des parents d’élèves plus jeunes. Les auteurs signalent que toutes les données n’ont pas encore pu être exploitées et que certaines questions sont restées en suspens, entre autres la question de la norme intra-linguistique. Le rapport mentionne enfin des recommandations en matière de politique éducative qu’il serait long de citer ici mais qui, d’une manière ou d’une autre, prônent le décloisonnement des langues et une plus grande prise en compte des riches répertoires langagiers pluriels des apprenants. Un projet qui a ouvert des portes et qui a eu un certain retentissement tant grâce aux colloques organisés et aux publications que dans d’autres projets étroitement liés à PLURI-L.
Per citare questo articolo:
Hugues SHEREEN, « Plurilinguismes : Pratiques, Représentations, Acquisitions, Enseignement. Compte rendu du rapport scientifique du projet coordonné par Frédéric Tupin », Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/hugues-shereen-plurilinguismes-pratiques-representations-acquisitions-enseignement-compte-rendu-du-rapport-scientifique-du-projet-coordonne-par-frederic-tupin/
ISSN 2281-3020
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