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Michela Tonti

« Ripolinage verdâtre », « ripolinage médiatique » ou « ripolinage sémantique »? Analyse outillée du nuancier sémantique d’un nom de marque circulant dans Twitter

 

Michela Tonti
Alma Mater Studiorum Università di Bologna DIT-Forlì
michela.tonti2@unibo.it


Résumé

Le propos de cet article est de procéder à une analyse du signe linguistique Ripolin, marque de peinture à ses origines et de ses acolytes (« ripolin(is)er », « ripolinage », « ripolinade », « ripolineur ») circulant dans le discours au quotidien et notamment dans le réseau Twitter sur un intervalle qui va du 29 juillet 2009 au 13 avril 2020. On se propose d’explorer la vitalité et le dynamisme de ce signe linguistique qui se façonne et parvient à sémantiser une palette de plus en plus large de domaines du réel. La charge argumentative dont Ripolin se fait porteur est étudiée selon le cadre théorique préconisé par Ruth Amossy (2014) ; par l’analyse d’études de cas concrets, on va démontrer que la valeur argumentative en dépôt dans la lexie Ripolin s’accompagne d’une polémique à l’égard des mœurs de la vie aussi bien privée que publique.

Abstract

” Ripolinage verdâtre”, ” ripolinage médiatique” or ” ripolinage sémantique”? A tool-based analysis of the semantic nuance of a brand name circulating in Twitter

The purpose of this article is to analyse Ripolin linguistic sign, originally a painting brand and its neological forms (“ripolin(is)er”, “ripolinade”, “ripolineur”) circulating in everyday discourse and particularly in the Twitter network over an interval that runs from 29 July 2009 to 13 April 2020. We propose to explore the vitality and dynamism of this linguistic sign which is being shaped and manages to semanticise an increasingly wide range of real domains. Ripolin will be studied according to the theoretical framework recommended by Ruth Amossy (2014) and through the analysis of specific case studies. The analysis will show that the value arguments deposited in the Ripolin lexicon are accompanied by a controversy with regard to the practices of both private and public life.


	 
Les Républiques passent, disait une publicité murale d’autrefois, la peinture Ripolin reste. Ce qui fait de la France un grand pays […] tient [aussi] à cette peinture républicaine que le temps et les fautes collectives écaillent.
(source : leclubdesjuristes.com, fouille corpus Araneum)
	 
26 Mars 2018
E.S.A. ou. A.S.E. On peut pas aller la peindre ? comme l’autre astéroïde là…! Et pour être sûr du résultat, pas de la peinture chinoise, un bon Ripolin bien fabriqué français (même si giron américain)
(source Twitter)

Nom de Marque (désormais NdM) à la longévité indétrônable, le signe linguistique Ripolin est issu de la créativité lexicale de son inventeur le Dr Riep, un début porteur de promesses pour cet objet du quotidien. Peinture émail à ses origines, elle ne cesse de servir la cause commerciale pour laquelle son signe est légalement réservé ; en tant qu’objet lexiculturel, Ripolin sémantise de nouveaux espaces du quotidien par les sèmes qui sont en dépôt dans son signe intégrant la culture ordinaire des parlants. Comment au départ une lexie qui servait une cause commerciale s’est-elle retrouvée à colorier toute la palette de la vie quotidienne, allant de la vie privée au domaine politique ?

Nous allons donner un aperçu du double statut de ce nom relevant à la fois de la langue de spécialité et de la langue commune pour souligner que Ripolin s’affranchit de sa gangue originelle afin de prendre son envol : nous montrerons le constant renouvellement de ce signe linguistique et de ses dérivés et néologismes par conversion dans différents domaines. À travers l’étude de ce NdM, de ses dérivations néologiques qui se sont conventionnalisées dans le discours quotidien et de nouvelles formes qui s’imposent, nous nous proposons de creuser la vitalité et le dynamisme de la langue française qui se façonne dans l’usage, grâce à ses parlants et à partir de NdM. Les créations néologiques qui en découlent répondant également à un besoin de nomination, notre recherche va donc permettre de dégager si Ripolin apparaît révélateur de tendances culturelles et sociétales, ou comme marque de polémique.

À l’aide du cadre théorique posé par Peter Blumenthal (2005) et des travaux de Hans-Jörg Schmid (2015) qui a introduit le modèle de Entrenchment-and-Conventionalization (« enracinement » et « conventionnalisation », désormais modèle EC), nous allons explorer l’identité sémantique mouvante de Ripolin et de ses dérivations qui disposent de leur accompagnateur attitré. Nous avons privilégié le corpus de tweets qui fait la part belle à l’actualité récente, voire brûlante. Une base empirique de 247 occurrences,issue du glanage des données disponibles sur Twitter et s’échelonnant sur un intervalle qui va du 29 juillet 2009 au 13 avril 2020, sera mise à profit pour explorer domaines et évolutions d’usage-sens de cette lexie dans une perspective représentationnelle prenant comme terme de comparaison les résultats d’une fouille outillée conduite au préalable sur un grand corpus électronique, Araneum (https://kontext.korpus.cz) recensant des discours de blog où Ripolin faisait également florès. Une précision terminologique s’impose concernant la définition de grand corpus, à savoir : « une collection de productions langagières attestées, écrites ou orales[1] [dont] le nombre de mots dépasse un million de mots » (POUDAT, LANDRAGIN 2017 : 11).

Par l’analyse des tweets contenant Ripolin, ses dérivés et ses néologismes par conversion, nous tenterons de démontrer la portée argumentative de ces lexies qui acquièrent une valeur polémique en discours selon le cadre théorique fourni par Amossy, qui affirme que « la polémique publique a pour fonction d’autoriser la coexistence dans le dissensus » (2014 : 134). L’auteure s’inspire de la réflexion d’Aristote à propos des bénéfices de la délibération, de la recherche de la voie à suivre dans les affaires publiques, par le biais de la discussion d’options alternatives et de réponses différentes voire contradictoires. La pluralité des opinions et des solutions proposées est respectée dans la polis. « Dans ce sens, le dissensus est sans doute le moteur incontesté de la démocratie » (AMOSSY 2014 : 19). Ce travail sera mené à partir de cas de figure concrets où notre lexie de prédilection et ses dérivés sont vecteurs de polémique, « dissensus » à l’égard des mœurs de la politique « de toutes les couleurs », des mœurs médiatiques, des mœurs sociales et de surcroît vecteur de tendances sémantiques et métasémantiques innovantes : c’est pourquoi nous donnerons la parole aux forgerons de la lexie Ripolin par le biais de cette forme d’expression à part entière qu’est le tweet, en plus du blog. Avant de commencer notre analyse, il nous semble utile de préciser qu’un tweet, comme un billet de blog, est tissé par la subjectivité du locuteur ; le linguiste a lui-même besoin d’y mettre une part de subjectivité pour interpréter la pensée des locuteurs et pour déterminer la charge polémique véhiculée par la lexie en objet.

 

1. Le NdM Ripolin 1888 : langue commune ou langue de spécialité ?

 

Le NdM Ripolin a tellement été employé par les locuteurs dans le discours au quotidien que cet usage répété a obligé le titulaire de la marque à changer son signe linguistique en Ripolin 1888, terme déposé. Ainsi, Ripolin 1888 relève de la langue de spécialité tandis que Ripolin appartient à présent à la langue commune. Désormais, nous utilisons le signe Ripolin sans italique puisqu’il est devenu une lexie de la langue commune.

Le NdM conserve certes son statut de nom déposé aux yeux des spécialistes de la propriété intellectuelle, des institutions chargées de son enregistrement, des titulaires de la marque, des marketologues, mais dans le discours au quotidien et au vu des données langagières attestées en discours que nous allons fournir au cours de notre travail, le NdM Ripolin relève à présent de la langue commune et s’ouvre au monde afin que le monde puisse se l’approprier.

 

2. Cadre méthodologique

 

Depuis quelque temps, les réseaux socio-numériques constituent un espace d’expression et un écosystème numérique en formation, dont les modalités et les limites se construisent jour après jour. Notre travail considère ces espaces comme un objet d’étude que nous analysons en empruntant la notion d’évolution de l’usage-sens en application à des domaines divers, notion introduite par Blumenthal ainsi que « la structure du voisinage […] sémantique d’un mot telle qu’elle se manifeste dans un corpus » (BLUMENTHAL 2005 : 132).

L’approche distributionnelle trouve une autre assise théorique dans la sémantique cognitive et dans les récents travaux de Schmid (2015), qui a introduit le modèle de Entrenchment-and-Conventionalization (« enracinement » et « conventionnalisation »). Dans le modèle EC, l’enracinement est défini comme la routinisation et la réorganisation constantes des associations, en fonction de l’exposition et de la fréquence d’événements de traitement identiques ou similaires, en prenant en compte les exigences socio-géographiques. Le phénomène de la répétition est un processus continu et évolutif, instable, qui nécessite de prendre en compte la variabilité du corpus selon l’axe diachronique, et selon l’axe socio-géographique.

Nous nous inscrivons dans le cadre théorique dressé par Amossy (2014) qui mène une réflexion sur les fonctions positives du dissensus comme modalité argumentative et qui voit la polémique comme confrontation verbale d’opinions qui sont ancrées dans l’actualité. L’unité linguistique Ripolin, ses dérivés et ses néologismes créés par conversion, apportent des arguments en faveur d’une thèse et à l’encontre d’une thèse adverse qui contribue à construire la parole polémique. Certains domaines paraissent plus porteurs de discours polémiques que d’autres : les sciences politiques et l’agissement des médias, notamment.

2.1 Outils et bases empiriques

Nous nous proposons de dresser une comparaison entre un corpus préexistant de données issues d’une exploration outillée menée à l’aide de Araneum et un corpus plus récent de tweets (29 juillet 2009-13 avril 2020).

Notre première fouille outillée corpus-based s’est appuyée sur Araneum. Il s’agit d’une approche déductive se focalisant sur l’unité linguistique Ripolin et ses dérivés qui ont émergéau fil de l’interrogation du corpus par concordancier. La collecte des contextes réunis dans Araneum subsume des sites dont l’extension est d’importance nationale pour l’espace francophone comme .fr, .be, .ch, .ca et comprend également des extensions génériques comme .eu, .edu, .com, .info, .org. Il s’agit d’un corpus diversifié en genres textuels et largement échantillonné, qui fournit des indications permettant de donner aux phénomènes une représentation qui est fondée sur un système d’usages, de pratiques discursives réelles. Une grande palette de documents issus aussi bien de la presse hexagonale que francophone, en plus de larges échanges par le biais de blogs personnels justifient la représentativité et la généricité de ce corpus de référence. La mise en place d’un dépouillement manuel systématique et attentif des occurrences a été réalisée pour vérifier l’emploi figuré dans un domaine nouveau de la lexie et de ses dérivés.

À cet effet, il est indéniable qu’aucune part de subjectivité n’est mobilisée dans la sélection des contextes d’usages-sens innovants et métaphoriques qui s’écartent de l’emploi de la lexie dans son sens commercial initial. En revanche, l’analyse interprétative du concept métaphorique comporte une part de subjectivité certaine de la part du linguiste.

Dans la première phase de notre recherche, nous disposions d’un corpus synchronique, mais il avait été quand même envisageable de repérer les innovations sémantiques en proposant de les décrire sur la base d’une évolution de leur usage-sens, entendu comme une combinatoire d’emplois, et en prenant comme termes de comparaison les sens attestés dans les dictionnaires TLFi, Larousse et la base de données terminologiques GDT. La possibilité d’accéder au cotexte étendu avait permis de bien éclairer l’opacité de certains propos issus en priorité de blogs personnels. Pour ce qui était de l’axe socio-géographique, les extensions de domaine Internet ne pouvaient pas être considérées comme des indicateurs de provenance géographique et nationale fiables, parce qu’aussi bien l’extension en .fr que celle en .be et en .ch peuvent être accessibles par n’importe quel citoyen au sein des pays de l’espace européen (TONTI 2019 : § V.10). Nous n’avions pu tenir compte que partiellement de la variable de l’extension géographique nationale de nos contextes pour définir la routinisation et la réorganisation constante des associations.

Les formes détectées dans Araneum nous ont servi de base empirique pour notre fouille dans l’espace Twitter. Nous avons retenu toutes les formes flexionnelles et dérivationnelles recensées dans Araneum afin de pouvoir procéder à leur recherche dans Twitter. Une extraction manuelle a ainsi été lancée afin de réunir un recueil d’exemples, constitué dans le but de mener une recherche ciblée sur les particularités langagières des tweets recensant des occurrences de Ripolin et des lexies dérivées. Premièrement, la concision imposée des tweets et les propriétés technolangagières qui les caractérisent les différencient des blogs (PAVEAU, 2012). Deuxièmement, une différence capitale réside dans la difficulté de repérer la provenance géographique des tweets (excepté par le fait de pouvoir l’inférer de leur contenu) alors que cela est partiellement accessible par l’extension de domaine du blog permettant de mesurer ainsi la variation diatopique. En revanche, la cartographie précise de la datation du tweet constitue un enjeu au vu du modèle EC.

Le dynamisme linguistique du signe Ripolin est témoigné par la liste des fréquences établie dans le corpus Araneum :

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Figure 1 Distribution des fréquences des lexies recensées dans Araneum à partir de Ripolin (135 occurrences au total)

Sur la base des formes repérées par fouille outillée dans Araneum (au total 135 occurrences), nous avons procédé à leur détection, au dépouillement de leurs occurrences et à l’exploration de nouveaux formants dans Twitter ; l’instantané que nous avons fixé au 13 avril 2020 a produit les résultats illustrés dans la figure 2. Nous précisons que lors de la fouille dans Twitter, on ne retrouve pas toutes les formes construites par dérivation suffixationnelle, détectées par concordancier dans Araneum, mais seulement certaines, comme le montre bien notre figure 2 :

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Figure 2 Distribution des fréquences des lexies recensées dans notre recueil d’exemples (247 au total)

Remarquons qu’entre 2015 et avril 2020 une nouvelle lexie s’est affirmée dans l’usage : « ripolineuse » confirmant la survie du néologisme « ripolineur » qui apparaissait comme un hapax dans Araneum. Puisque nous nous intéressons à l’évolution de l’usage-sens des lexies recensées dans la figure 2 et aux domaines concernés nouveaux et anciens par rapport à notre fouille effectuée dans Araneum en 2015, nous proposons un aperçu de leur distribution dans les discours des tweets répartis par macro-thèmes.

2.2 Les domaines en chiffres affectés par les sèmes Ripolin et ses dérivations

Le dépouillement quantitatif et la sélection manuelle de nos données nous permet d’explorer les macro-thèmes intéressés par le débat public. Puisque ces macro-thèmes ne sont aucunement définis dans des sources officielles et qu’il n’y a pas d’attribution automatique de chaque tweet séparé à un macro-thème spécifique, nous avons réalisé un classement des domaines concernés en définissant des étiquettes descriptives de la réalité désignée. Il est donc utile de souligner qu’il s’agit d’une catégorisation arbitraire car elle résulte de la décision du linguiste.

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Figure 3 Distribution quantitative des lexies Ripolin et de ses dérivations réparties par macro-thèmes circulant dans Twitter

Dans nos précédents travaux sur la circulation des NdM dans le discours au quotidien et notamment pour Ripolin (TONTI, 2020), l’analyse était qualitative, mais nous plaçant dans une perspective retraçant l’évolution de l’usage-sens d’une lexie ou d’un syntagme, il nous a semblé prometteur d’aborder ce phénomène d’un point de vue également quantitatif. Par ailleurs, nous avons repéré 247 occurrences dans notre fouille récente dans Twitter, alors que les occurrences de Ripolin et de ses dérivés dans Araneum revenaient à 135. Des domaines de préférence avaient déjà émergé sur les autres dans les premiers temps de notre recherche sur le sujet, à savoir la politique nationale, les partis politiques et l’éthique des médias. La lexie Ripolin et ses dérivés circulent dans notre recueil de données issu du corpus Araneum comme des paroles du quotidien au service de l’agir communicationnel, de l’argumentation, permettant de peser le pour et le contre de chaque thèse sur des questions d’intérêt général. À la lecture de la figure 3, les données chiffrées issues des lexies de notre recueil Twitter affichent également une nette prépondérance de la lexie circulant dans les discours politiques. La valeur de dissensus, de polémique, comme expression verbale d’opinions contradictoires que l’unité linguistique Ripolin acquiert, sera démontrée en contexte d’usage. Les discours portant sur la société et les médias sont également des expressions de dissensus de la part des scripteurs de tweets. Un traitement à part doit être consacré aux discours étiquetés par nos soins – de la vie au quotidien – que notre palette de lexies affecte. Les discours autour de la politique internationale et de la médecine, dont les résultats sont certes plus faibles, apparaissent dans notre recueil d’exemples comme de nouveaux terrains émergeants affectés par les lexies que nous étudions.

Cet aperçu distributionnel nous permet d’observer que la palette des domaines concernés est plutôt large et que la lexie Ripolin est véhiculée très facilement par les discours dans l’espace public numérique. Cette lexie permet d’alimenter les discours et notamment la polémique, surtout dans le domaine politique[2], Twitter étant à la fois le support et le moteur de cette circulation.

Avant de nous atteler à l’analyse des contextes issus de Twitter, nous précisons, comme le fait Longhi (2013), que « la méthodologie d’analyse des tweets n’est pas sans poser de problèmes » au vu de la constante évolution du réseau. Notre recueil d’exemples ne prend pas en compte les interactions, alors que par définition un tweet a tendance à engager un potentiel échange conversationnel. La dimension interactive mériterait d’être étudiée dans d’autres travaux.

2.3. Nuancier sémantique de Ripolin

Nous dressons un premier plan concernant l’attestation de la lexie Ripolin dans différents supports et nous proposons, lorsqu’il est envisageable, les dates de publication de ces sources. Il s’agit de cerner s’il y a une évolution dans le temps et de comprendre, par ailleurs, à quel moment les sens figurés s’attestent :

  • a) le TLFi atteste la présence du verbe “ripoliner” à partir de 1900 avec la valeur de : “peindre quelque chose au ripolin”.

  • b) le DES introduit “ripoliner” comme synonyme de “peindre” (définition datant de la consultation de la source en août 2018) et le Larousse en ligne précise, de surcroît, peindre d’une peinture brillante (définition datant de la consultation de la source en août 2018) ; la deuxième attestation du sens figuré est la suivante : donner à quelque chose l’apparence, souvent trompeuse, du neuf (définition datant de la consultation de la source en mars 2020). La seule fiche terminologique du GDT recensant la lexie “ripolinage” renvoie au domaine nautique et à l’action de peindre avec des vernis métalliques (fiche datant de 1962).
  • c) le Cordial en ligne recense le nom “ripolinage” comme le fait de peindre avec du Ripolin, avec une peinture laquée ; – (par extension) Peinture de bâtiment, alors que pour le verbe “ripoliner”, il nous renseigne ainsi : Peindre avec du Ripolin, marque déposée d’une peinture laquée ; ses synonymes sont : laquer, badigeonner, enduire, barbouiller, peinturlurer (définition datant de la consultation de la source en août 2018).
  • d) l’internaute.fr Au sens figuré, ripoliner signifie masquer les défauts d’une personne ou d’une idée pour qu’elle soit mieux acceptée. Le terme vient de la marque de peinture Ripolin (définition datant de la consultation de la source en août 2018).
  • e) le-dictionnaire.com Ripoliner : Peindre avec une peinture ou une laque. (Figuré) Farder, masquer, rafraîchir une image politique. (Ironique) Peindre sans talent. – Ripolinage : Action de recouvrir d’une couche de peinture laquée Ripolin ; (Figuré) Action de donner un nouveau visage à quelque chose, ou de changer l’image de quelque chose (définition datant de la consultation de la source en août 2018).
  • f) Usito ripolin : Peinture laquée très résistante, à base d’huile de lin à l’origine, qui donne un aspect brillant. Particularisme de l’usage français et européen. Cela n’implique pas que cet emploi soit exclusif à l’usage européen du français, ni qu’il soit totalement absent des usages québécois et canadien. Cela indique toutefois que sa fréquence d’attestation à l’écrit est significativement basse au Québec et au Canada, comparativement à celle d’équivalent(s) synonymique(s). Ripoliner : Peindre au ripolin (définition datant de la consultation de la source en mars 2020).

Il en résulte qu’il y a intégration de nouveaux sens figurés de la lexie Ripolin et de ses dérivés dans les ressources dictionnairiques attestant une stabilité sémantique partagée aussi bien par le Larousse.fr que par Linternaute.fr et Le-dictionnaire.com. Le sème de la peinture épaisse, propriété typique de la marque Ripolin est transféré à l’action de cacher, dissimuler une attitude, une conduite pour se montrer sous son meilleur jour, ce qui serait faussement trompeur. Par ailleurs, Le-dictionnaire.com cerne un domaine de prédilection pour l’emploi du néologisme par conversion « ripoliner » qui circulerait davantage dans les discours portant sur l’agissement des politiciens.

 

3. Ripoliner un vieux modèle plutôt que changer ? Veille d’usages-sens nouveaux

 

Nous avons choisi de mettre en valeur l’évolution des usages-sens recensés jusqu’à présent dans les dictionnaires et dans nos travaux précédents, tout en l’accompagnant de l’observation de tendances innovantes dont notre palette de lexies se ferait porteuse pour parvenir à définir une certaine stabilité des attestations au sein de domaines afférents, ce qui répond au processus de routinisation et de réorganisation continues des associations préconisé par Schmid (2015). Ne pouvant pas prétendre à l’exhaustivité, nous avons opéré une sélection de contextes représentatifs de l’évolution usage-sens des lexies étudiées intervenant dans des domaines souvent nouveaux par rapport à notre première recherche. Les domaines sur lesquels se focalise notre attention sont les suivants : – la vie au quotidien ; – l’aménagement urbain ; – les médias et les réseaux sociaux ; – la société et son patrimoine national comme les sous-domaines de la santé et des soins médicaux, de l’école et du travail ; – la chirurgie esthétique avec un clin d’œil aux dires du twitteur, aux interventions dignes d’un chirurgien que le Président de la République réaliserait pour rajeunir et faire semblant de renouveler le panorama des grandes fortunes de France (exemple 19). Nous proposons de fournir des exempliers sous forme de tableaux se composant de Tweets. Nous faisons suivre les exemples de leur datation précise, de notre interprétation de l’évolution de l’usage-sens dont le signe ferait preuve, du nombre d’occurrences attestées à propos de l’usage-sens cerné en lien avec le domaine de circulation de la lexie.

3.1 Vie au quotidien

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Tableau 1 Distribution des contextes issus de tweets où la lexie Ripolin, ses dérivés et ses formations par conversion circulent dans des sous-domaines ayant trait à la vie au quotidien ou à l’aménagement urbain

Si l’exemple (1) n’introduit aucune innovation du point de vue sémantique, le petit signe d’exclamation exprime une certaine approbation enthousiaste à l’égard de cette initiative, tout en signalant que l’acception du verbe « ripoliner » est acceptée en français de Suisse aussi. Les autres exemples introduisent tous une touche innovante affectant le domaine de l’urbanisme (4) et notamment des espaces paysagers citadins ou ruraux (2) ; à suivre, la vie au quotidien et le savoir-être lors d’un entretien d’embauche pour lequel on soigne son CV (3) alors que l’expert ripolin (7) paraît une nouvelle substitution économique du nom de métier « peintre en bâtiment ». Le teint hâlé d’un politicien ne passe pas inaperçu du grand public lorsque ce soin de beauté alterne avec le travail (9). Hormis l’usage-sens du tweet (1), aucune des autres combinatoires n’était recensée dans notre travail (TONTI, 2020) ; les technologies informatiques sont sources de deux exemples (5) et (6) où les lexies « ripoliner » et « ripolinage complet » ont comme point d’ancrage référentiel un logiciel et une application mais aux bénéfices différents. Il en découle que si « ripoliner » est une substitution économique du syntagme « nettoyage de maintenance courante sur un PC » permettant d’« optimiser » son outil, il faut par contre posséder une connaissance encyclopédique et technologique pour détecter le sens de la lexie « ripolinage complet ». Une autre attestation d’usage-sens originale est proposée par le contexte (8) : Ripolin désignerait, aux dires du locuteur, une marque de café aux conséquences néfastes sur l’estomac. L’image qui se forge dans l’esprit du lecteur est celle d’une couche de substance indigeste.

3.2 Médias, réseaux sociaux et … dissensus

Lors de l’exploration de notre recueil de tweets, nous avons entre-aperçu une polarisation axiologique dans nos contextes d’usage. Par axiologie, nous entendons une connotation impliquant une propriété nécessaire ou contingente intrinsèque à l’objet, liée à sa constitution, sa fonction, son but à atteindre. C’est cette propriété qui est jugée positivement ou négativement en fonction d’une certaine norme. Dans les exemples (11) et (12), Ripolin apporte des arguments qui contribuent à favoriser une thèse que nous allons analyser en contexte.

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Tableau 2 Échantillon de tweets portant sur le domaine des médias

Le domaine des médias semble confirmer les attestations de l’usage-sens détectées au préalable dans notre première recherche. Globalement, c’est l’effet de censure ou de rabâchage qui émerge. Le tweet (10) exige une certaine connaissance culturelle pour pouvoir le décortiquer. Si « Clochemerle » fait allusion à un roman réputé pour avoir mis en scène une localité déchirée par des polémiques et des querelles burlesques[3], le « Clochemerle » à l’ère du numérique est remplacé par la surveillance attentive de modernes Argos du Marketing 2.0[4], Twitter entre autres. La polémique est donc depuis toujours au cœur de la société. À la suite de Ruth Amossy (2014), nous rappelons que la polémique publique évoquée par Clochemerleremplit différentes fonctions sociodiscursives, entre autres celle de tisser du lien social dans le dissensus. L’exemple (11) confirme la stabilisation linguistique du sens « ripoliner » correspondant à censurer des informations ou à rabâcher les mêmes scénarios, intrigues, schémas actanciels tout en prétendant donner l’apparence du neuf (12). Le scripteur de l’exemple (11) se sert du terme « ripolinage » et de son sème principal, à savoir « peindre », pour apporter un argument solide à sa thèse défavorable à l’action pratiquée par les médias qui effaceraient les informations par recouvrement : propriété typique de la peinture épaisse Ripolin. Les internautes recevraient, aux dires du twitteur, des informations fallacieuses. Procédant à une analyse comparative des contextes réunis lors de la fouille outillée menée dans Araneum, il a été aisé d’attester ces usages-sens appliqués aux mêmes domaines du réel : respectivement les médias de l’information et les arts (TONTI 2019 : 399-400)[5]. Le dernier tweet (13) porte sur un sujet d’actualité récente qui est celui du mouvement des Gilets Jaunes qui, en tant que hashtag, va servir de catalyseur (REBOUL-TOURE, 2016) à tout un ensemble de tweets en les regroupant autour de ce mot-clé qui est notamment le syntagme en un seul tenant : Gilets Jaunes. Le syntagme « ripolinage du diable » que BFMTV serait en train de mettre en place aux dires de ce twitteur, pourrait être interprété comme une immense stratégie pour embellir l’image du parti politique dont le sigle, par détournement de lexie et remplacement des éléments d’origine évolue vers une forme d’antanaclase, un jeu de mot fondé sur l’homophonie FN-FHAINE. Le schéma de communication et l’avertissement lancé sont très lisibles ; l’incitation à l’action et la protestation s’imposent selon l’auteur du tweet. La polémique véhiculée par l’expression « ripolinage du diable » apporte des arguments en faveur de la thèse qui démontrerait que la presse ne serait guère transparente, ce qui justifie l’appel à la protestation lancé aux Gilets Jaunes.

3.3 Société et … dissensus

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Tableau 3 Échantillon de tweets afférant à la sphère sociale

Les tweets afférant au domaine social s’affranchissent encore une fois des résultats de notre recherche précédente parce que le verbe « ripoliner » n’intervenait pas pour sémantiser les discours sur la santé publique (14 et 15), sur le concept de l’école inclusive (comme c’est le cas dans l’exemple 16) ou du monde du travail (exemple 17). Ce dernier exemple soulève ainsi un dissensus à l’égard du déferlement de contrats de travail non règlementaires qui font replonger les travailleurs au XIXe siècle. Le néologisme « startupping » n’est pas innocent. La négligence dont l’État aurait fait preuve au sujet du réaménagement et de la valorisation du système de soins de santé s’impose dans les exemples (14) et (15). Si un « coup de ripolin » n’est nullement innovant du point de vue sémantique, la répétition et la routinisation du domaine concerné en association avec les lexies étudiées nous intéressent. La consultation médicale qui par glissement est remplacée par le « télémachin » à la qualité et à l’efficacité douteuses est assimilée à un cache-misère que la peinture Ripolin ne parvient pas à dissimuler.

3.4 Chirurgie esthétique et … dissensus

Nous avions annoncé que le modèle EC puise dans le concept d’enracinement qui est défini comme la routinisation et la réorganisation constantes des associations, en fonction de l’exposition et de la fréquence d’événements de traitement identiques ou similaires dans d’autres domaines du lexique. Notre fouille dans Twitter a permis de faire émerger que les utilisateurs se servent du verbe « ripolin(is)er » pour se rapporter à la chirurgie esthétique avec une survie d’emploi du verbe dans le domaine en objet. Certes, il est utile de remarquer que cet aspect du réel, présentant seulement deux occurrences dans notre corpus de tweets, n’est pas représentationnel du phénomène de routinisation des associations. Il est tout de même intéressant du point de vue de l’argumentation.

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Tableau 4 Échantillon de tweets afférant à des usages de « ripolin(is)er » et de « ripoliner » dans le domaine de la chirurgie esthétique

En ce qui concerne la formation de verbes en tant que formes néologiques, nous observons qu’en dehors de –iser (suffixe dérivationnel), aucun suffixe ne permet de créer des verbes en français, -er étant le seul morphème désinentiel productif. « Se faire ripoliniser » (18) est attesté pour la première fois, à notre connaissance, dans ce tweet du 30 septembre 2009. Le sème de la retouche chirurgicale et davantage esthétique des exemples datant de 2009 et de 2015 est transféré au « bistouri macroniste » qui « ripoline ». Trois domaines s’imbriquent dans la même métaphore : le domaine de la chirurgie esthétique, de la peinture en bâtiment et le domaine de la politique. La façade des grandes fortunes de France est comparée par le biais de la métaphore à un visage que « le chirurgien Macron » rajeunirait par un coup de bistouri. « Ripoliner » correspondrait à l’action de ravaler une façade au sens propre comme au sens figuré du terme si on considère l’expression familière : « se faire ravaler la façade » (expression désignant une opération esthétique du visage).

 

4. Besoins de nomination : « ripolinage vert », « ripolinade de style », « trottoirs ripolins », « #ripolineur » et bien plus

 

Lors de notre réflexion sur l’évolution de l’usage-sens des lexies explorées au sein de Twitter en association à une sélection de domaines préférentiels, nous n’avons pas pu valoriser le critère socio-géographique et les collocatifs ou autres lexies qui accompagnent le mot-pivot « ripolinage » et ses acolytes (« ripolinade », « ripolineur » …). Nous allons maintenant en esquisser une brève étude. Les exemples que nous allons étudier ne sont pas des hapax, car nous en avons trouvé un certain nombre dans nos tweets (10 occurrences au total)[6].

4.1. Circulation des discours et variation diatopique

La circulation des discours étant le format même de la polémique selon Amossy, il nous appartient de découvrir leur espace public géographique[7].

(20) 8 avril 2020

Ds la série “utilisons la pandémie pr ripoliner notre image”, #PaulCanarelli sans scrupule continue à prendre les gens pour des crétins : que ce corrompu rende à l’hôpital public les sommes soustraites aux impôts via ses sociétés off-shore, d’abord. #Murtoli

Ne disposant pas d’une extension de domaine nationale séparée pour chaque compte Twitter, nous pouvons détecter la localisation du discours par le hashtag de la ville corse de Murtoli, dont le comportement à la probité douteuse de l’un de ses notables ferait l’objet de dissensus et servirait à mettre tristement en exergue le manque de fonds des hôpitaux locaux.

(21) 26 février 2019

Trop de logements sociaux tue la mixité sociale.

Ripoliner les façades ne change rien à la concentration de problèmes sociaux (…). La ghettoïsation existe même dans certains quartiers de Paris” rappelle @vpecresse.

(22) 12 février 2020

Une réflexion et des propositions globales pour Paris demain et non du ripolinage en vert de programme municipal. Terra Nova | Faire le Paris de demain : une ville résiliente et sûre, un horizon écologiste pour la ville décarbonée.

Logement et environnement apparaissent comme des thèmes-phares de la capitale dont la relativisation à coups de ripolin ne peut plus continuer.

(23) 31 mars 2019

DailyObs sur le trottoir Ripolin du boulevard Longchamp

#DailyObs – Boulevard Longchamp – Marseille

Les trottoirs ripolins, à base de peinture, ne sont pas des pistes cyclables. Construire de vrais aménagements cyclables à Marseille est la solution numéro un…

(24) 19 juillet 2019

y’a de la ripolinade !

Merci de provoquer l’occasion de remettre à l’honneur le #TrottoirRipolin, que les montpelliérains se déplaçant à vélo connaissent si bien alors même que le @ceremaCom l’indique comme étant non réglementaire…

Nous observons ici un emploi absolument créatif de la lexie Ripolin, dans l’exemple (23), le scripteur semble dans un entre-deux, indécis sur le marquage de la majuscule ou non du signe de la marque Ripolin à ses origines. Il serait possible d’entrapercevoir dans les exemples (23 et 24) comme des équivalents spontanés de « greenwashing », à savoir un procédé de relations publiques adopté en l’occurrence par une administration publique pour se bâtir une image de responsabilité écologique trompeuse. De plus, Ripolin subit une conversion, pour son emploi innovant dans une autre partie du discours que celle d’origine ; étant employé comme adjectif, il prend les marques flexionnelles de la nouvelle catégorie (trottoirs ripolins) (SABLAYROLLES 2017 : 44). L’aménagement de pistes cyclables qui ne seraient pas des trottoirs piétonniers est source de dissensus aussi bien à Marseille qu’à Montpellier. La négligence des édiles des deux villes ayant déversé des couches épaisses de peinture et réalisant une « ripolinade », pousse les citoyens à partager ce problème qui obtient sa plus large visibilité en tant que sujet même du hashtag #TrottoirRipolin, véritable sésame parce qu’il permet de créer des connexions instantanées avec d’autres utilisateurs. Le mot « ripolinade » évoque au lecteur les lexies « pantalonade » et « rigolade », (terme certes familier mais qui nous semble porteur de par sa paronomase). Ainsi trois sens se superposent dans cette lexie : l’idée de cacher quelque chose sous une couche de peinture (ripolin) s’imbrique dans celle de se moquer des gens (insufflée par le suffixe en –ade). La politique des pistes cyclables à Marseille serait donc une véritable clownerie, une mascarade et peut-être une ultime « dérobade » des politiques. La lexie « ripolinade » pointe bien du doigt cet aspect argumentatif mis en avant par Amossy.

(25) 20 juin 2017

Marseille ne sera jamais Nice, même ripolinée ou karchérisée”, la cité phocéenne, plages et clivages.

Marseille ne cesse de faire parler d’elle et de ses contrastes, les deux participes passés à valeur adjectivale « ripolinée » et « karchérisée » montrent une volonté de la part des parlants de transférer les caractéristiques du NdM à un éventuel plan de revalorisation du patrimoine urbain aux résultats peu probants.

Compte tenu des limites de repérage imposées par l’outil Twitter, la fouille par marqueurs géographiques permet néanmoins d’accéder à une meilleure connaissance des sujets à débat d’intérêt public qui peuvent être les mêmes (le #TrottoirRipolin) ou constituer une spécificité locale (#Murtoli et les coupures des fonds à l’hôpital public).

4.2. Adjectifs de couleur : accompagnateurs attitrés

Le nuancier Ripolin n’est pas dépourvu de sens et les critères sémantiques qui conduisent le mot de base (« ripolin », « ripolinage » et désormais « ripolinade ») et le verbe dérivé (« ripoliniser ») ou créé par conversion (« ripoliner ») à s’associer avec des collocatifs auxquels d’autres lexies s’opposent n’est pas un épiphénomène.

Lorsque les adjectifs de couleur sont choisis comme accompagnateurs spécifiques, ils servent généralement la cause de l’identification d’un parti politique à l’efficacité souvent douteuse.

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Tableau 5 Collocatifs de « ripolinage » et de « ripoliner » dans Twitter au 13 avril 2020 (corpus de 247 occurrences au total)

La palette des couleurs s’élargit par rapport à notre recherche précédente : bien que le vert continue de s’imposer, le rouge nous parle de la politique internationale et des choix ciblés que le géant de l’Internet chinois Baidu adopte à l’approche des 90 ans du PCC. Le jaune nous parle de la pièce vestimentaire qui par raccourci métonymique désigne le mouvement des Gilets Jaunes alors que « ripoliner en rose des élections pseudo-démocratiques qui mettent au pouvoir les mêmes » est une solution économique pour signifier le côté réactionnaire de la politique, dont le but serait de véhiculer une nouvelle image faussement illusoire sous prétexte d’élire des femmes.

(26) 15 novembre 2019

@LaREM_AN

Un joli discours bien ripoliné en vert-écolo le matin, qq larmes sr les forêts en feu à midi et à la nuit on se transforme en loup garou et on saigne la planète !

L’accumulation du mot « écologie » et de la couleur par antonomase écologique, celle du « vert » en association avec « ripoliner », accompagnée de la suite d’argumentations qui dénotent le manque de conviction idéologique du parti en question pourrait être interprétée comme un ripolinage de façade. Le scripteur se sert du syntagme composé du participe passé (« ripoliné ») et du complément prépositionnel (« en vert-écolo ») pour mettre l’accent sur une politique qui réinjecterait des propositions écologiques dans son programme ; mais la suite du tweet argumente à propos de l’hypocrisie de cette politique qui se refait une beauté par cette couche de peinture mise sur sa façade.

(27) 9 mai 2019

Le ripolinage verdâtre de la Macronie est assez cocasse…

Dans « ripolinage » le sème du référent initial de « ripolin », à savoir celui de peinture, est transféré au nom désignant l’action d’étaler ce produit. L’emploi du suffixe péjoratif –âtre et de l’adjectif non dérivé « cocasse » permettent de remarquer la valeur axiologiquement négative qui se greffe sur « ripolinage », mot-pivot dont la polarisation axiologique est déjà connotée. L’écologie servirait-elle à redorer le blason des politiques ?

4.3. Y aurait-il une déperdition du sens des mots derrière ce « ripolinage sémantique » ?

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Tableau 6 Collocatifs de « ripolinage » et de « ripolinade » dans Twitter au 13 avril 2020 (corpus de 247 occurrences au total)

Le voisinage syntaxique des mots « ripolinage » et « ripolinade » met en valeur le collocatif adjectival « sémantique » pour lequel nous proposons le tweet suivant en guise d’exemple :

(28) 13 avril 2020

C’est du ripolinage sémantique via un vocable qui leur permet de s’acheter une sorte de conscience “propre”. De la novlangue[8] en guise de paravent d’une respectabilité de forme qui n’élude en rien leur fond nauséeux !

Alors que « ripolinage » est en soi une forme qui ne figure pas dans les dictionnaires bien que son intégration dans le stock lexiculturel des parlants ne soit plus à faire, le syntagme « ripolinage sémantique » apparaît comme une forme hypernéologique. Dans cette expression, c’est la langue même qui va en être affectée. Nous sommes tentée d’interpréter ce syntagme par : dégradation de la langue à cause de la déperdition du sens des mots qui dissimulent le vrai fond de la pensée.

Nous procédons à une dernière sélection de tweets soulignant le voisinage de droite de « ripolineur ». Premièrement, une tendance se dessine avec le syntagme en un seul tenant #Ripolineur #SarkoBismuth ; deuxièmement, la construction agentive « ripolineur » s’associe à « de CV » (3 occurrences), « chef » (1 occurrence) et « de communistes » :

(29) 12 janvier 2018

Il attend son diplôme de “ripolineur” chef pour être chroniqueur …

(30) 21 février 2013

La France, ce pays moderne où l’on en est à départager un ripolineur de communistes et une maquilleuse[9] de fascistes.

Décidément, les débats sur la politique apparaissent comme un terrain fertile de créations lexicales et d’échanges fournissant de nombreuses pistes argumentatives. La critique du métadiscours qui produit des formules fortes vise des cibles politiques, provoque un choc de thèses antagonistes et polarise les Français en deux groupes à propos de l’adjectif qualificatif « moderne » associé au pays.

 

Conclusion

 

Notre analyse nous a permis d’établir une mise à jour, certes partielle, de l’état des lieux des usages-sens de la lexie Ripolin et de ses dérivations suffixationnelles et par conversion, et d’observer leur évolution au sein du réseau socio-numérique Twitter. Loin d’être un épiphénomène, la néologie sémantique, qui est à l’origine d’une polysémie en discours, montre que l’infléchissement du sens, réalisé par la sélection de nouveaux sèmes et par la modification du référent, confirme l’existence d’une dynamique sémantique mise en œuvre par la sélection lexiculturelle des twitteurs, selon les domaines d’afférence. Certains d’entre eux apparaissent comme des évidences dans notre travail précédent conduit dans Araneum dont la dernière mise à jour remonte à 2015 (kontext.korpus.cz). Il s’agissait des discours portant sur la politique, l’aménagement urbain, un geste de la vie au quotidien comme le maquillage avec une connotation péjorative ou encore l’éthique médiatique. Nombre de contextes recensés dans les blogs ne permettent pas de remonter à une datation précise alors que la fouille dans Twitter s’est avérée efficace pour déterminer un intervalle temporel défini de circulation de la lexie en objet et de ses usages-sens dans des domaines innovants. Ainsi, Ripolin est au cœur de l’actualité comme parole qui prolifère au quotidien. L’instantané que nous avons fixé est arrêté au 13 avril 2020. La vie au quotidien dans ses moindres gestes est affectée par la polysémie de cette lexie. L’un des usages-sens innovants est notamment celui qui se réfère au soin que l’on prend pour peaufiner son CV afin de se mettre en valeur (3). Les formes respectivement par conversion et par dérivation suffixationnelle (ripoliner et ripolinage) apportent des solutions mélioratives (5) et (6).

Les tweets étant au cœur de l’actualité la plus récente, la fréquence d’un domaine et des usages-sens de la lexie en objet s’impose : le domaine médical et sanitaire serait en souffrance à cause d’une gestion douteuse de ces ressources. La valeur argumentative de la lexie répond au besoin d’exprimer son dissensus à l’égard de certaines décisions. Les domaines d’intérêt public comme les soins médicaux, l’école, le monde du travail rencontrent leurs premières attestations en janvier 2018. Les usages-sens les plus récurrents intègrent la propriété typique d’une peinture : l’effacement par recouvrement, sous prétexte d’être faussement mélioratif, en est un exemple.

Ce dernier exemple nous amène tout droit vers la métaphore du « trottoir ripolin », substitution économique et allusive pour désigner des pistes cyclables aux apparences trompeuses. Le dissensus étant une modalité argumentative préconisée par Amossy (2014), les lexies en objet contribuent à enrichir le stock lexiculturel des locuteurs prêts à les intégrer dans les situations du réel les plus diverses, jusqu’à parvenir au paroxysme de la langue qui sous l’effet d’un « ripolinage sémantique », serait vidée du sens de ses mots, révélant en cela une certaine déperdition des valeurs.

 

Références bibliographiques

 

AMOSSY, Ruth, Apologie de la polémique, Paris, PUF, coll. « L’Interrogation philosophique », 2014.

BLUMENTHAL, Peter, « Profil combinatoire des mots : analyse contrastive. La phraséologie dans tous ses états », Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, n° 31, vol. 2, 2005, p. 131-148.

LONGHI, Julien, « Essai de caractérisation du tweet politique », L’information grammaticale, n° 136, 2013, p. 25-32. ‌

PAVEAU, Marie-Anne, « Activités langagières et technologie discursive. L’exemple de Twitter », La pensée du discours [carnet de recherche], 2012, en ligne :
https://penseedudiscours.hypotheses.org/8338 [consulté le 13/07/2020].

POUDAT, Céline, LANDRAGIN, Frédéric, Explorer un corpus textuel : méthodes, pratiques, outils, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2017.

RIEGEL, Martin, et al., Grammaire méthodique du français, Paris, PUF, Coll. « Quadrige manuels », 2016 [1994].

REBOUL-TOURÉ, Sandrine, « Les tweets : un lieu pour la créativité lexicale ? », in JACQUET-PFAU, Christine, SABLAYROLLES, Jean-François, La fabrique des mots français, Lambert-Lucas, 2016, p. 313-326.

SABLAYROLLES, Jean-François, « Créativité lexicale en discours liée à l’existence de paradigmes », Signata, n° 8, 2017, en ligne :
https://journals.openedition.org/signata/1345 [consulté le 13/07/2020].

SCHMID, Hans-Jörg, « A blueprint of the entrenchment-and-conventionalization model », Yearbook of the German Cognitive Linguistics Association, n° 3, vol. 1, 2015, p. 1-27.

TONTI, Michela, Lexiculture et linguistique : une approche, guidée sur corpus, des noms de marque dans le discours au quotidien, Thèse de Doctorat Alma Mater Studiorum Università di Bologna – Dipartimento Interpretazione e Traduzione – Forlì, 22 mars 2019, sous la dir. de MALDUSSI, Danio et SOFFRITTI, Marcello.

TONTI, Michela, Le nom de marque dans le discours au quotidien : prisme lexiculturel et linguistique, Paris, L’Harmattan, Coll. « Laboratorio@francesisti.it », 2020.

 

Webinographie

 

Corpus électroniques :

Corpus Araneum Francogallicum Maius https://kontext.korpus.cz

Corpus Twitter https://twitter.com

Dictionnaires :

www.cordial.fr/dictionnaire/

Dictionnaire Electronique des Synonymes (DES) crisco2.unicaen.fr/des/

www.larousse.fr

le-dictionnaire.com

Le grand dictionnaire terminologique (GDT) gdt.oqlf.gouv.qc.ca/

linternaute.fr/dictionnaire/fr/

Le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) atilf.atilf.fr/

Dictionnaire Usito usito.usherbrooke.ca/


[1] En l’occurrence, le corpus Araneum réunit exclusivement les données des productions écrites. Sa dernière mise à jour remonte à 2015 et il comporte 1,2 milliard de tokens.

[2] À ce stade de notre recherche, nous nous limitons à donner un aperçu de ce qui sera illustré dans l’avancement de notre travail.

[3] Clochemerle est un roman satirique français de Gabriel Chevallier publié en 1934. La création d’une vespasienne au cœur du village de Clochemerle est apparemment destinée à procurer un grand soulagement aux messieurs du village tout en confondant les échanges de la baronne, du curé, du notaire et des partisans de la réaction. Une vieille demoiselle habitant tout près y exerce une surveillance étroite.

[4] Le Marketing 2.0 fait typiquement usage des réseaux sociaux ou de façon plus large de ce qui constitue le web participatif ou communautaire dans la communication marketing d’une marque ou institution. Ici, il nous semble que le terme marketing est à entendre en tant que nouvelle génération d’experts en promotion et divulgation de polémiques, tout comme « Clochemerle » à ses origines qui désignait une communauté de gens se disputant sans cesse pour des raisons diverses.

[5] « Depuis deux ans, il confie subir la censure de la nouvelle direction de Canal + adepte du ripolinage sans vague » (source Araneum). Si l’expression « faire des vagues » véhiculerait l’idée de générer de l’agitation, troubler, par opposition, la chaîne télévisée désignée serait une adepte de la censure, de l’effacement des informations par recouvrement, sans générer de l’agitation.
« Un directeur de musée qui passerait au ripolin une partie de sa collection de tableaux et en ferait restaurer soigneusement le reste serait-il un bon conservateur ? En quoi les restaurations passées excuseraient-elles la mairie de son projet de démolition ? » (source : Araneum). Les propriétés typiques de la peinture réputée pour être très résistante sont mises en place pour assurer l’effacement total, la censure du contenu des tableaux qu’un directeur de musée sacrifierait pour garantir la préservation d’autres œuvres.

[6] À cet effet, nous précisons que par le biais de Araneum, le critère socio-géographique avait été également étudié dans notre travail de thèse (TONTI 2019 : § VI.10.2. sq.) : 9 occurrences.

[7] Nous proposons une sélection de contextes en guise d’exemple.

[8] George Orwell, dans son roman 1984, invente la « novlangue », un langage dont le but est l’anéantissement de la pensée, la destruction de l’individu devenu anonyme, l’asservissement du peuple. Voir la discussion sur la traduction de newspeak lors d’une nouvelle traduction en français.  https://www.lemonde.fr/livres/article/2018/06/06/orwell-revient-au-present_5310604_3260.html

[9] La lexie « ripolineuse » est attestée dans un tweet du 24 novembre 2012 comme synonyme de maquilleuse excentrique et vulgaire : « On n’appelle pas ça une maquilleuse, on appelle ça une ripolineuse ! ».


Per citare questo articolo:

Michela TONTI, « Ripolinage verdâtre, ripolinage médiatique ou ripolinage sémantique ? Analyse outillée du nuancier sémantique d’un nom de marque circulant dans Twitter », Repères DoRiF, n. 22 – Corpus, réseaux sociaux, analyse du discours, DoRiF Università, Roma ottobre 2020, https://www.dorif.it/reperes/ripolinage-verdatre-ripolinage-mediatique-ou-ripolinage-semantique-analyse-outillee-du-nuancier-semantique-dun-nom-de-marque-circulant-dans-twitte/

ISSN 2281-3020

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