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Amal BEN ISMAIL, Geneviève BERNARD BARBEAU

De la mémoire à la haine : les discours entourant la Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie

 

Amal Ben Ismail
Université de Québec à Trois Rivières
Amal.Ben.Ismail@uqtr.ca

Geneviève Bernard Barbeau
Université de Québec à Trois Rivières
Genevieve.Bernardbarbeau@uqtr.ca


Résumé
Le 29 janvier 2017, un homme armé fait irruption à la Grande mosquée de Québec et ouvre le feu sur les personnes qui y sont réunies pour prier, en tuant six et en blessant de nombreuses autres. Comme nombre d’événements violents, cet attentat terroriste fait l’objet de commémorations chaque année. Lors du premier anniversaire de l’attentat, la communauté musulmane de Québec a demandé que le 29 janvier soit décrété Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie. Si cette requête a été accueillie favorablement par plusieurs, d’autres l’ont condamnée, donnant lieu à un foisonnement de discours virulents à l’endroit de la communauté musulmane. Partant d’un corpus de commentaires publiés sur la page Facebook de quatre quotidiens québécois à la suite d’articles consacrés au projet de Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie, nous étudierons comment les revendications de la communauté musulmane font l’objet de détournement de la part d’internautes qui s’en servent pour justifier des propos méprisants, violents et haineux. Notre objectif est de mettre en lumière les procédés discursifs par lesquels les internautes font circuler des représentations stigmatisantes qui contribuent à la construction de catégorisations excluantes reposant sur le rejet de l’altérité.

Abstract
On January 29, 2017, an armed man burst into Quebec City’s Grand Mosque and opened fire on the people gathered to pray. Six from them were killed and many were injured. Like many violent events, this terrorist attack is commemorated each year. On the first anniversary of the attack, Quebec City’s Muslim community asked that January 29 be declared a National Day of Remembrance and Action Against Islamophobia. While this request was welcomed by many, others condemned it, leading to a proliferation of virulent discourses against the Muslim community. Based on a corpora of comments published on the Facebook pages of four Quebec newspapers following articles on the proposed National Day of Remembrance and Action against Islamophobia, we will study how the claims of the Muslim community are misused by Internet users to justify contemptuous, violent and hateful speech. Our aim is to highlight the discursive processes through which stigmatizing representations and construction of exclusion and rejection of otherness are constructed.


1. Mise en contexte[1]

 

Le 29 janvier 2017, un homme armé fait irruption à la Grande mosquée de Québec, qui avait déjà été la cible de crimes haineux[2], et ouvre le feu sur les personnes qui y sont réunies pour prier, en tuant six et en blessant plusieurs autres. Intercepté quelques heures plus tard, il plaide coupable à six accusations de meurtre et à cinq accusations de tentatives de meurtre en mars 2018 et est condamné à la prison à vie en février 2019. Qualifiée d’acte terroriste par une grande partie de la population et de la classe politique, cette tuerie a suscité de vives discussions sur l’islamophobie, le racisme et la montée de l’extrême-droite au Québec comme ailleurs dans le monde. Le discours public a toutefois aussi mis en évidence la réticence de certaines personnes à y voir un attentat islamophobe, plusieurs mettant plutôt l’accent sur le caractère individuel du geste et sur l’état psychologique du tueur (POTVIN et BEAUREGARD 2019).

Désormais bien ancré dans la mémoire collective québécoise, cet attentat fait l’objet de commémorations chaque année, tant de la part de la classe politique (citons l’inauguration d’un Mémorial du vivre ensemble en hommage aux victimes) que de la population (mise sur pied d’un comité d’organisation de la commémoration citoyenne, rassemblements solidaires, etc.). Or, à la commémoration s’ajoute une dimension de mobilisation et d’appel à l’action : d’abord centrés sur l’événement même, ce qui se traduit entre autres par le recours aux témoignages de survivants ou de proches des victimes, les discours adoptent rapidement une dimension revendicatrice. À titre d’exemple, la communauté musulmane de Québec, appuyée par un nombre important de regroupements et d’associations, a demandé, lors du premier anniversaire de l’attentat en 2018, que le 29 janvier soit décrété Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie. Le gouvernement fédéral a accédé à cette requête en 2021, mais le gouvernement québécois s’y est montré réfractaire, arguant qu’il existe certes de l’islamophobie dans la province, mais que, pour reprendre les mots du premier ministre, « le Québec n’est pas islamophobe ou raciste »[3]. On constate dès lors la dimension fortement revendicatrice et politique – et non uniquement commémorative – de cette requête. Or, le discours revendicateur est susceptible de diviser la population et d’attiser les tensions (RENNES 2011, ORKIBI 2015), ce qui s’est manifesté, dans le cas précis, par la circulation de nombreux discours virulents à l’endroit de la communauté musulmane.

À partir d’un corpus de 1954 commentaires d’internautes publiés entre 2018 et 2021 sur la page Facebook de quatre quotidiens québécois (Le Devoir, La Presse, Le Journal de Montréal et Le Soleil) à la suite de 193 articles portant sur le projet de Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie, nous étudierons comment les revendications de la communauté musulmane font l’objet de détournement de la part d’internautes qui s’en servent pour justifier des propos méprisants (BERNARD BARBEAU et MOÏSE 2020), violents (MOÏSE et al. 2008) et haineux (LORENZI BAILLY et MOÏSE 2021). Notre objectif est de mettre en lumière les procédés par lesquels, sous prétexte d’un sentiment de menace, les auteurs du corpus font circuler des représentations stigmatisantes qui contribuent à la construction de catégorisations excluantes (MÄÄTTÄ et al. 2021) reposant sur le rejet de l’altérité (FRACCHIOLLA et SINI 2021).

 

2. De la commémoration à la contre-argumentation et à la dénonciation

 

La demande d’une Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie a suscité la colère de plusieurs internautes, qui l’ont interprétée comme une accusation de racisme envers la société québécoise ; pour eux, reconnaître cette journée revient à accuser les Québécois de racisme. Ils dénoncent cette requête en ayant recours à des arguments reposant sur des énoncés émotifs empreints de ressentiment ainsi que sur des énoncés niant la présence de racisme et d’islamophobie au Québec et entraînant des suggestions définitoires alternatives au mot islamophobie.

 2.1. Le ressentiment

Dans des discours chargés d’émotion, les auteurs du corpus expriment leur mécontentement à l’endroit des revendications de la communauté musulmane, ce dont témoignent les exemples suivants. On y relève des actes directifs et expressifs ainsi que des adjectifs affectifs qui, associés à des intensificateurs (jurons, sacres) accroissant la force de frappe du discours (VINCENT et al. 2008), traduisent une certaine explosion émotionnelle :

(1) Arrêtez de parler de ces évènements, cela provoque la rage en soi. On est Écoeuré d’entendre parler de ça et de toujours mettre une importance sur le sujet. (Le Soleil, 1er février 2019)[4]

(2) Cris je suis don tanner des entendres (Le Journal de Montréal, 26 janvier 2018)

(3) On sens câlise et écœurée d’entendre parler de mosquées Québec pu capable Svp 🙏 arrêter parler de sujet faite qu’il arrive une tempête de verglas (Le Journal de Montréal, 26 janvier 2018)

Les événements commémoratifs et les revendications de la communauté musulmane sont présentés comme une source de ressentiment. Ce dernier, qui s’apparente à de la rancœur, de la frustration ou, plus globalement, des sentiments d’hostilité, a comme origine « une blessure, une violence subie, un affront, un traumatisme » (FERRO 2008 : 14). Il s’agit « de la réitération persistante d’un mal, d’un malaise dont la cause profonde, dépassant l’individu ou le groupe, renvoie à des logiques de domination » (ANSART 2002 : 1) et peut aller jusqu’à être érigé en véritable idéologie construisant la vision du monde et fondant le rapport entre les groupes (ANGENOT 1997). Le ressentiment peut prendre deux formes (BERNARD BARBEAU 2015a, 2015b) : le « ressentiment-douleur », où ce qui est moteur de ressentiment est considéré comme s’étant produit aux dépens d’un groupe et comme étant source de blessure ou de traumatisme, et le « ressentiment-lassitude », qui fait plutôt état d’une importante fatigue servant à condamner ce qui est considéré comme une source de désagrément exacerbé qui en vient à motiver la rancœur et la frustration.

Dans le corpus, comme l’illustrent les exemples 1 à 3, c’est principalement le ressentiment-lassitude qui est présent, et les émotions suscitées par les revendications de la communauté musulmane témoignent surtout de fatigue (« être tanné, écœuré »). Toutefois, on note également des traces de ressentiment-douleur, comme dans les exemples 4 et 5, où les auteurs font allusion aux souvenirs difficiles des expériences que les Québécois francophones, en tant que groupe minoritaire dans un Canada majoritairement anglophone, ont vécues dans le passé (discrimination linguistique, domination socioéconomique, rapports de force inégaux entre les groupes, etc.) et qui continuent aujourd’hui encore à alimenter les relations entre les groupes, bien que les tensions se soient amoindries :

(4) Je me sens comme il [le président du Centre culturel islamique qui abrite la Grande mosquée] se sent. Mais pas par les mêmes. Alors quand donc aurons-nous une journée contre la québécéphobie ? (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

(5) Et contre la Québecophobie dont on est victime on veut une journée (Le Journal de Montréal, 29 janvier 2019)

Ce ressentiment-douleur est surtout mobilisé par les internautes afin de renforcer le ressentiment-lassitude, qui leur sert à refuser la requête de la communauté musulmane en lui rappelant que les Québécois francophones ont aussi souffert de discrimination sans avoir pour autant une journée qui les défend. Se donne alors à voir une forme de surenchère visant à se positionner comme le groupe qui a le plus souffert ou qui est le plus lésé (CHAUMONT 2002).

2.2. La négation de l’islamophobie et du racisme

Parmi les raisons derrière ce ressentiment se trouve la confrontation d’interprétations différentes de l’attentat de la Grande mosquée. En effet, on observe typiquement du ressentiment lors de l’affrontement entre des groupes qui partagent des références ou un passé communs, mais qu’ils envisagent autrement. Cette tension entre deux interprétations différentes, voire irréconciliables, d’un même événement entraîne de la rancœur à l’endroit d’autrui, résultat d’une co-construction provenant de l’interaction entre les groupes et de la confrontation de leur mémoire respective (BERNARD BARBEAU 2015a, 2015b). C’est ce que l’on observe dans le corpus, où plusieurs internautes ne considèrent pas l’attentat à la mosquée de Québec comme un acte islamophobe et mettent plutôt l’accent sur le caractère individuel du geste et sur l’état psychologique du tueur, ce qui, comme l’ont montré Potvin et Beauregard (2019), constitue d’ailleurs un des angles de la couverture médiatique de l’événement :

(6) Monsieur le président de la mosquée, vous êtes de mauvaise foi. Cette tuerie est un geste de folie et non d’islamophobie, et même si ça l’était, il ne faut pas condamner tous les Québécois. (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

(7) Pourtant, on met tous les Québécois dans le même panier en les traitant de racistes parce qu’UN fou a attaqué une Mosquée. (Le Devoir, 30 janvier 2018)

De même, d’autres internautes rejettent les accusations d’islamophobie par le biais de commentaires métalinguistiques redéfinissant le mot islamophobie et remettant en question son lien avec le racisme. La présence de tels commentaires métalinguistiques rappelle une analyse menée par Calabrese (2015) qui, à partir d’un corpus de discours d’internautes à la suite d’articles dans la presse française, a identifié deux « programmes de sens » du mot islamophobie :

  1. L’islamophobie comme rejet de la religion musulmane/de certaines pratiques culturelles des pratiquants musulmans [+opposition à la religion]
  2. L’islamophobie comme rejet des citoyens appartenant à la culture arabo-musulmane [+racisme]

En d’autres mots, l’islamophobie est envisagée, dans le programme de sens 1, comme une critique de la religion, et non comme une forme de racisme, alors que dans le programme de sens 2, on l’entend au contraire comme une forme de racisme antimusulman. Les internautes qui contestent le fait que l’islamophobie est une forme de racisme et qui s’inscrivent de ce fait dans le programme de sens 1 recourent principalement aux stratégies discursives suivantes (CALABRESE 2015 : 97-99) : 1) focalisation sur la définition du terme islamophobie et volonté de réglage de sens, 2) mise en évidence d’un décalage perçu entre signifiant et signifié dans la mesure où les auteurs estiment que le mot ne convient pas au concept qu’il évoque, 3) dénonciation de l’usage jugé abusif du mot race et 4) créations lexicales visant à distinguer les deux programmes de sens.

Nous observons dans notre corpus ces mêmes stratégies de la part des internautes qui rejettent l’usage du mot islamophobie. Par exemple, l’auteur de l’extrait suivant propose une redéfinition du mot tout en récusant son emploi (stratégie 1) :

(8) Être islamophobe, C’est ça qui est bien. Être islamophobe, C’est ne pas accepter la charia, la soumission des femmes, la supériorité des hommes, le voile, etc. Ce n’est pas haïr les musulmans qui s’intègrent et ne tentent pas de nous imposer leur religion. Ce terme d’islamophobie a été inventé pour nous faire taire, tout simplement. N’entrez pas dans leur jeu; C’est dangereux pour la démocratie et les droits humains. (Le Soleil, 1er février 2019)

De même, dans l’exemple 9, l’internaute explique que le mot islamophobie ne convient pas au concept qu’il veut évoquer, à savoir une critique de la religion musulmane et une hostilité à ses principes (stratégie 2) :

(9) L’utilisation du terme « islamophobie » est une escroquerie intellectuelle utilisée par les simples d’esprits ou les carpettes multiculturelles (ce qui revient au même). La phobie est une peur démesurée et paralysante par rapport à ce qui la provoque. Le fait de critiquer un dogme religieux, être hostile à ses principes et les comportements engendrés par ceux-ci n’a strictement rien à voir avec une phobie. Bien au contraire, la critique d’une idéologie est à la base même d’une vie intellectuelle saine d’une société et vouloir empêcher cette critique idéologique en diabolisant celui qui la formule est le propre des régimes totalitaires. (Le Devoir, 1er février 2019)

En recourant à des questions rhétoriques à visée ironique, un autre internaute dénonce quant à lui le lien qui est établi entre l’hostilité à l’islam et le racisme (stratégie 3) :

(10) L’Islam est une race? Ma puce à un examen cette semaine en rapport à ce sujet justement et c’est pourtant inscrit qu’il s’agit d’une religion…est-ce que je devrais contacter le ministre de l’Éducation vous croyez? (Le Soleil, 1er février 2019)

Enfin, des internautes optent quant à eux pour la création lexicale afin de remplacer l’emploi du mot islamophobie (stratégie 4). Le premier propose ainsi les mots alternatifs misomusulman ou misoislamique et le second, islamo-écoeurantite, expression faisant appel au ressentiment-lassitude évoqué précédemment :

(11) Au lieu de islamophobie, devrions nous pas dire: misomusulman ou misoislamique?? Ça c’est du mépris ou de la haine ou de haïr. Islamophobie c’est oui une étymologie des deux mots “peur” ou “crainte” et islame. C’est l’homme qui a mis cé mot là pour définir à tord la haine de l’islam (Le Devoir, 1er février 2019)

 (12) C’est bien plus de l’islamo-écoeurantite que de l’islamophobie. Nous avons pas peur… Nous sommes juste bien écoeuré d’en entendre parlé! (La Presse, 1er février 2019)

3. De la commémoration à la circulation de discours antimusulmans

 

La demande d’une Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie sert aussi prétexte aux internautes pour revenir sur des événements porteurs sur le plan mémoriel qui tantôt sont mobilisés à des fins argumentatives et idéologiques, tantôt fonctionnent comme stéréotypes visant à justifier les discours prononcés à l’encontre de la communauté musulmane.

 3.1. La mémoire et son détournement comme stratégie argumentative

Le corpus contient un nombre important de rappels du passé, et tout particulièrement d’événements terroristes antérieurs. Ces rappels, qui se présentent comme un contre-discours prenant le contre-pied des revendications de la communauté musulmane, ont une double portée argumentative : accuser les musulmans d’appliquer une politique de type « deux poids, deux mesures » et faire appel à des expériences antérieures emmagasinées en mémoire afin d’établir un lien entre l’islam et le terrorisme.

L’énumération d’actes terroristes dont les victimes sont d’origine québécoise ou occidentale sert de comparaison entre ces actes et l’attentat de la Grande mosquée de Québec, qui sont présentés comme des événements relevant de la même catégorie et devant donc recevoir un traitement identique, ce qui s’inscrit dans une argumentation basée sur la règle de justice (PERELMAN et OLBRECHTS-TYTECA 2008). Or, selon les internautes, les attentats visant des Occidentaux ne feraient pas l’objet d’une telle commémoration, idée qui est souvent actualisée à travers des questions rhétoriques :

(13) Est–ce que les 6 Québécois lâchement assassinée au Burkina Fasso dans un attentat terroriste islamique ont et droit a la même (Le Soleil, 29 janvier 2019)

 (14) Mouais… Pi les attentas du 13 Novembre, 14 Juillet, Charlie Hebdo, Samuel Paty et j’en passe… ? (Le Journal de Montréal, 28 janvier 2021)

 Cette argumentation vise à dénoncer ce qui est perçu comme une iniquité dans la façon dont sont traitées les victimes d’attentats terroristes et, plus largement, dont sont commémorés ces événements. Une distinction s’opère alors entre les hommages rendus aux victimes appartenant à un groupe minoritaire (ici une minorité religieuse) et à un groupe majoritaire, sous-entendant que les premières sont favorisées par rapport aux secondes. Comme l’a montré Doury (2019), tels propos s’inscrivent plus largement dans une « logique de concurrence des victimes » (voir aussi CHAUMONT 2002) qui à la fois est nourrie par le ressentiment et à la fois le nourrit. Cette logique de concurrence repose également sur une opposition entre un nous et un eux sur laquelle nous reviendrons à la section 3.2.

 La mobilisation d’événements du passé sert également à nourrir un imaginaire stéréotypé reliant le terrorisme à l’islam et aux musulmans (ou plus largement au monde arabe), discours dont la circulation s’est accrue depuis les attentats du 11 septembre 2001. Outre le rappel d’attentats revendiqués par l’État islamique ou par des personnes se réclamant du djihadisme, dont font état les exemples 13 et 14 ci-dessus, on note la mention fréquente de la tuerie de l’École polytechnique de Montréal, qui a eu lieu le 6 décembre 1989 et qui a depuis été qualifiée d’attentat antiféministe (BLAIS et al. 2010). Motivé par une haine des femmes et du féminisme, l’auteur du massacre, après être entré dans une salle de classe et avoir demandé aux hommes et aux femmes de se séparer, a fait feu sur les étudiantes et sur d’autres femmes se trouvant dans l’établissement, en tuant quatorze. La tuerie de la Polytechnique, qui est profondément ancrée dans la mémoire collective québécoise, fait l’objet d’importantes commémorations chaque année. Or, loin d’être évoquée dans le corpus pour rappeler la violence dont sont victimes les femmes, elle sert plutôt de motif à un amalgame entre le monde arabo-musulman et le terrorisme puisqu’un lien est établi avec les origines algériennes du père du tueur :

(15) OUI, mais il ne parle pas beaucoup d’un certain 6 decembre ou le Fils d’un musulman Gamil Gharbi a tuer 14 femmes. Gamil Gharbi, alias Marc Lépine, a tué 14 femmes entre autres parce que son père, d’origine algérienne, était musulman. Il est issu d’une culture sauvage qui a toujours méprisé les femmes (Le Soleil, 29 janvier 2018)

(16) Marc Lépine était-il arabe & musulman??? selon Wikipedia son père, Rachid Liass Gharb était algérien. En 1978, il à changé son nom de Gamil Gharbi par celui de Marc Lépine notamment, Bizarre que les journeaux n’en ont pas parler ??? (Le Devoir, 27 janvier 2018)

Mais plus encore, ces extraits témoignent d’un détournement majeur de la mémoire, qui se manifeste par le recours au nom propre comme « jalon organisateur de la mémoire collective » (LECOLLE et al. 2009). En effet, le tueur de la polytechnique était un Québécois nommé Marc Lépine qui a été élevé seul par sa mère, d’origine québécoise. Faire appel à son père d’origine algérienne, qu’il a peu connu, et à son nom de naissance en langue arabe, qu’il a modifié à l’adolescence et qui est pour l’essentiel inconnu du public[5], constitue ici une stratégie de détournement de la mémoire à des fins idéologiques et d’association entre violence et monde arabo-musulman.

3.2. Catégorisation antagonique et diabolisation : l’islam comme menace à l’endogroupe

Les observations précédentes permettent de conclure non seulement à une entreprise de discrédit de la communauté musulmane, mais également à la construction de groupes antagoniques. Selon Fracchiolla et Sini (2021 : 55), « les constructions vécues de l’altérité tendent à se définir selon une axiologie binaire qui oppose de manière simpliste et stéréotypée les “gens comme nous, ou de chez nousˮ à “l’autre, différent de nous, ou pas de chez nousˮ ». Dans le contexte de rejet des revendications de la communauté musulmane, plusieurs internautes présentent la culture québécoise (et plus largement occidentale) et la culture musulmane comme radicalement opposées, ce qui transparaît du contenu des discours, mais également des pronoms employés (nous contre eux ou vous) qui viennent polariser les échanges :

(17) Ce n’est pas à nous, laïcs ou athées, de changer notre façon de vivre parce que des gens qui croient en un ami imaginaire débarquent ici et veulent nous imposer tout le folklore qui vient avec leur croyance. Fa que…. (Le Devoir, 26 janvier 2018)

 (18) NON M. Legault ce sont eux les racistes! Merci de NOUs Faire respecter dans NOTRE QC CANADA!!! (Le Devoir, 1er février 2019)

 (19) Vous les musulmans dit vous quelques chose … si une communauté n’est pas acceptée, c’est parce qu’elle donne pas un bons produit, sinon elle est admise sans problème. Si elle se plaint de racisme à son égard, c’est parce qu’elle est porteuse de désordre. Quan t’ elle ne fournit que du bien, tout monde lui ouvre les bras .Mais il ne faut pas qu’elle vienne chez nous pour imposé ses mœurs (La Presse, 1er février 2019)

 Dans ses travaux, Amossy (2014) envisage la polarisation comme un phénomène qui provoque certes un mouvement de regroupement par identification, mais qui cherche aussi et surtout la consolidation de l’identité d’un groupe donné (endogroupe) par la dépréciation de celle des groupes concurrents (exogroupes). Sur le plan discursif, cela se manifeste entre autres par des tentatives de diabolisation d’autrui. Les auteurs qui optent pour cette stratégie présentent l’islam et les musulmans sous les traits du mal en recourant au procédé de l’iconisation, qui consiste à « créer des liens motivés entre les êtres et leurs qualités, menant à des formes d’amalgame ou d’essentialisation » (GUELLOUZ et al. 2021 : 143). L’islam est ainsi présenté comme une religion intégriste, violente et sanguinaire. Par ricochet, ce sont les musulmans qui font l’objet de disqualification, élément caractéristique de la violence verbale sur lequel nous reviendrons à la section 4 :

(20) L’islam est la plus grande secte et la religion la plus absurde et sanguinaire de la planète. (Le Devoir, 1er février 2019)

(21) L’islam et une idéologie d’incitation à la haine et à la violence contre les non-musulmans et cela bien clair dans leurs textes sacrés et leurs enseignements à travers les lieux de culte les institutions d’éducation et leurs média, ce qui fait en sorte que l’islam est bien ancrée dans la culture et les mentalités des musulmans croyants et constitue une menace à l’humanité. (Le Devoir, 1er février 2019)

 Ces images stéréotypées alimentent le sentiment d’insécurité chez certains auteurs et les amènent à considérer la communauté musulmane comme une menace à leur identité et la stabilité sociale. Cette menace se traduit, dans les exemples suivants, par ce qui est présenté comme un projet de colonisation et de domination que mèneraient les musulmans et qui reposerait en partie sur l’imposition de la charia :

(22) Je ne tiens pas à ce que mon entourage se laisse convertir à l’islam! Nous subissons assez de colonialisme comme c’est là! (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

 (23) Sébastien Beaudoin tu t’en rend sûrement pas compte, mais l’islam immigre dans nombreux pays dont le notre avec le but de coloniser. Déjà il se forme un partit politique en Ontario ou leur but est clairement d’instaurer lentement la charia. Si la charia est mis en place, c’est pas de 100 ans qu’on va reculer. (Le Devoir, 1er février 2019)

 De tels propos trouvent écho dans les discours des adeptes de la théorie du grand remplacement, qui circule abondamment dans les milieux complotistes associés à l’extrême-droite et à la suprématie blanche (BAIDER et SINI 2021).

 

4. La circulation de discours violents

 

On le constate, le discours d’exclusion à l’endroit de la communauté musulmane repose sur la construction de la figure de l’autre comme ennemi, ce qui se traduit par des propos dont la violence s’actualise non seulement dans des actes de condamnation, mais aussi à travers des tentatives de légitimation de ces derniers.

4.1. Les actes de condamnation

Suivant les propositions de Laforest et Moïse (2013), les actes de condamnation d’autrui peuvent être divisés en deux catégories : les condamnations de l’être, où un individu ou un groupe est disqualifié sur la base de ses caractéristiques (par exemple, une insulte), et les condamnations du faire, qui visent plutôt ses actes ou ses comportements (par exemple, un reproche). Si ces catégories ne sont pas étanches, il n’en demeure pas moins que plus c’est l’être qui est condamné, « plus on détache le comportement litigieux de son espace-temps, et plus on essentialise la condamnation. La condamnation de l’être suppose en effet que l’on fasse du comportement fautif une caractéristique permanente de l’individu condamné » (LAFOREST et MOÏSE 2013 : 90). Néanmoins, comme le souligne Vincent (2013 : 40), que la condamnation porte sur l’être ou sur le faire, « par extension, c’est souvent la légitimité d’autrui, de son statut, de ses actions ou de ses croyances qui est contestée ». De par leur effet sur la cible, les condamnations de l’être et du faire peuvent donc être envisagées conjointement.

Dans le corpus, les actes de condamnation de la communauté musulmane visent trois cibles spécifiques : la religion, son prophète et ses pratiquants. La religion est la cible la plus souvent disqualifiée ; c’est notamment le cas dans les commentaires métalinguistiques tentant de définir le mot islamophobie abordés en 2.2., où les définitions proposées par les internautes servent souvent de condamnation de l’islam. Cette condamnation se donne à voir, dans l’extrait suivant, par le recours aux qualifications péjoratives obscurantiste et délétère, « forme[s] axiologiquement négative[s] (KERBRAT-ORECCHIONI 1999) utilisée[s] pour qualifier [autrui] de façon dépréciative » (LAFOREST et VINCENT 2004 : 63). On observe également l’encadrement par des guillemets du mot religion, ce qui a pour objectif de marquer une distanciation entre l’islam et le concept de religion, voire de lui refuser cette dénomination :

(24) Oui. Voilà pourquoi moi, je suis islamophobe au dernier degré. Être islamophobe, C’est reconnaître l’insanité de cette “religion” obscurantiste et délétère. (Le Soleil, 1er février 2019)

De même, la mise en avant d’une identité religieuse ennemie et dangereuse pour la culture québécoise, que nous avons évoquée précédemment, se construit à partir d’un amalgame entre radicalisme violent et islam, qui est alors accusé d’être une religion d’incitation à la haine incompatible avec la démocratie :

(25) L’islam et une idéologie d’incitation à la haine et à la violence contre les non-musulmans et cela bien clair dans leurs textes sacrés et leurs enseignements à travers les lieux de culte les institutions d’éducation et leurs média, ce qui fait en sorte que l’islam est bien ancrée dans la culture et les mentalités des musulmans croyants et constitue une menace à l’humanité. (Le Devoir, 1er février 2019)

(26) L’islam est incompatible et contraire avec un pays démocratique libre avec légalité femme homme.. gay.. lesbiennes.. transgenre… etc.. si c’est ca être islamophobe alors le 3/4 de la planète l’est… apprenez a respecté vos semblables sans vous imposez versus toute les autres races qui s’intègre et respecte les use et coutume ainsi que les lois et règle (Le Devoir, 1er février 2019)

Ce discours bascule parfois vers l’appel explicite à la violence, voire à l’éradication de cette religion, forme d’appel à la malédiction et à la menace :

(27) Tout ce qui est islam doit être banni de la terre (Le Devoir, 1er février 2019)

Bien que le cas soit plus rare, certains internautes usent également d’actes de condamnation à l’endroit du prophète Mahomet. En recourant à une condamnation de l’être qui remplit la fonction d’argument ad personam (VINCENT et BERNARD BARBEAU 2012), l’auteur suivant accuse le prophète de pédophilie. Cette condamnation vise aussi bien sa personne que la religion musulmane et ses dogmes, qui se voient ainsi automatiquement disqualifiés :

(28) J’ai rien contre la doctrine religieuse du Coran même si Mahomet était un pédophile, mais il ni a pas seulement des doctrines religieuses dans le Coran, ce pédophile a aussi écrit des maximes politiques. L’islamisme est un problème, nous ne pouvons pas laisser des humains naître de lois qui ont été rédigé par un pédophile y’a 1200 ans! (Le Devoir, 31 janvier 2020)

 Les actes de condamnation visant l’islam et son prophète ont des effets sur les musulmans en tant que groupe : de façon corollaire, ce sont eux qui sont accusés de croire en une religion présentée comme obscurantiste, dangereuse et immorale. Mais on observe également des condamnations qui les visent plus explicitement. C’est notamment le cas dans le commentaire suivant, où l’auteur use à la fois de condamnation du faire lorsqu’il reproche aux musulmans de ne pas s’intégrer à la société québécoise et de condamnation de l’être lorsqu’il leur adresse l’insulte bande d’épais (bande d’idiots), qui se construit à travers l’inclusion syntaxique dans une classe (« bande de »). En tant qu’ontotype, cette insulte se présente comme une évidence anthropologique relevant d’un processus d’essentialisation (ERNOTTE et ROSIER 2004). De cette façon, tous les musulmans sont présentés comme appartenant à la classe des idiots.

(29) Bande d’epais… c vous qui creer islamophobie. Integre vous a nous au lieux de essayer de nous change .. Et nous conquérir…… Pour que en devienne comme dans le pay que vous avec quitter…… (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

Dans d’autres commentaires, l’amalgame entre terroristes et musulmans analysé précédemment est réactivé, par exemple au moyen de la qualification péjorative extrémiste employée pour condamner le président du Centre culturel islamique de Québec et barbares, pour condamner les musulmans :

(30) Ah ce qu’il m’enerve c’est extrémiste ! (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

(31) Tout faire pour avoir des votes de ces barbares. (Le Journal de Montréal, 29 janvier 2018)

La condamnation de la communauté musulmane se construit donc à travers des appellations dévalorisantes utilisées pour la disqualifier – que ce soit par le biais d’attaques contre les croyants, contre la religion ou contre son prophète – ou à travers des accusations qui s’inscrivent dans des discours en circulation assimilant l’islam à la violence et qui sont mobilisées par certains internautes pour justifier leur rejet et leur exclusion des musulmans.

 4.2. Volonté de légitimation de la violence verbale

La construction de ces discours prend appui sur un rapport de pouvoir entre les internautes québécois, qui appartiennent à un groupe majoritaire, et les musulmans, qui constituent un groupe religieux minoritaire et, on le constate, minorisé. Ce rapport de force inégal amène certains auteurs à se sentir autorisés et légitimés à faire appel à des actes de condamnation conférant à la communauté musulmane un statut de groupe problématique justifié par leur prétendue non-intégration à la société québécoise et leur image d’extrémistes violents, « [t]raits en raison desquels ces personnes peuvent être perçues comme “hors-normeˮ » (FRACCHIOLLA et SINI 2021 : 45).

Les actes de condamnation analysés rendent compte de cette construction d’une catégorie hors-norme qui vient légitimer le recours à des actes de condamnation. En effet, considérant que ces derniers sont émis en réaction à une action, un comportement, une parole ou une attitude jugés inappropriés et qu’ils mettent en évidence un déficit par rapport à ce qui est attendu, ils peuvent être caractérisés, suivant les propositions de Laforest et Vincent (2004), en termes de manque à combler (par exemple, menteur rend compte d’un manque d’honnêteté). Ce manque à combler sert alors d’explication ou de légitimation aux actes de condamnation : c’est parce que ce manque est présumé exister que les individus se sentent autorisés à produire de tels actes de discours.

Dans le corpus étudié, si certains actes de condamnation témoignent de manques précisément identifiables (par exemple, bande d’épais, présent dans l’exemple 29, peut être associé à un manque d’intelligence), la très grande majorité servent à reprocher à la communauté musulmane son manque de respectabilité. Cette catégorie englobe toutes les qualifications péjoratives associant la cible à un individu ou à un groupe dévalorisé, méprisé ou déclassé (LAFOREST et VINCENT 2004) : barbare, extrémiste, obscurantiste, délétère, pédophile et sauvage, pour ne citer que quelques exemples. Ces actes de condamnation dépeignent les musulmans comme des individus méprisables, ce dont rend compte la tendance répandue chez les auteurs du corpus à les présenter, par le biais de la diabolisation, comme des êtres qui ne respectent pas les normes sociales.

 Cela amène également certains internautes à recourir à des actes directifs à travers lesquels ils se positionnent comme légitimés à donner des ordres à autrui. C’est ce qui ressort des exemples suivants, où les auteurs se placent en position haute (ou dominante) et relèguent les musulmans à la position basse (ou dominée) :

(32) Vous êtes chanceux d’avoir une mosquée FARMÉ DONC VOT GUEULE !!! (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

(33) DECALISSER si vous ÊTES PAS HEUREUX au QUÉBEC (Le Journal de Montréal, 1er février 2019)

(34) Si vous êtes pas content ben retourner chez vous dans votre pays ont va être très content (Le Devoir, 1er février 2019)

Cette légitimité ressentie repose sur l’appartenance des locuteurs au groupe majoritaire et celle de la cible, à un groupe minoritaire. L’enjeu de domination actualisé dans ces exemples témoigne d’un important mépris, soit un « sentiment intense et négatif, qui donnerait un “pouvoir immenseˮ au locuteur vis-à-vis de l’interlocuteur, ce pouvoir l’autorisant à procéder à une “discrimination éthiqueˮ sur autrui » (BERNARD BARBEAU et MOÏSE 2020 : 2).

 

5. Conclusion : vers un discours haineux

 

L’objectif de cette analyse était d’étudier comment la demande d’une Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie à la suite de l’attentat de la Grande mosquée de Québec a fait l’objet de détournement de la part d’internautes, ce qui a donné lieu à la production et à la circulation de discours violents à l’encontre de la communauté musulmane. Mais plus que de « simples » propos virulents – qui n’ont évidemment rien de simple –, les discours analysés peuvent être envisagés comme appartenant au discours de haine, et plus particulièrement de haine directe.

Selon Lorenzi Bailly et Moïse (2021 : 12), les discours de haine directe s’appuient sur une dimension discursive pathémique (c’est-à-dire liée aux émotions), ils mobilisent des marqueurs de négation de l’altérité et ils contiennent des formes caractéristiques de la violence verbale qui malmènent l’identité d’autrui et qui s’actualisent par des actes de condamnation d’autrui. Nous retrouvons ces mêmes caractéristiques dans les discours étudiés, qui sont chargés d’émotion et à travers lesquels les événements commémoratifs et les revendications de la communauté musulmane sont présentés comme source de ressentiment et donnent lieu à la diabolisation de l’islam et des musulmans. Les discours contiennent également des marqueurs de négation de l’altérité, que ce soit par le recours à l’iconisation, à la polarisation et à des stéréotypes négatifs qui conduisent à un amalgame entre islam et terrorisme. Ces procédés discursifs servent de fondement argumentatif pour justifier une crainte de l’islam et des musulmans, ce qui contribue à la construction de discours d’exclusion et qui sert de base à des actes de condamnation visant l’identité arabo-musulmane, perçue comme hors-norme et, partant, comme menaçante.

À la construction de cette identité arabo-musulmane comme hors-norme s’ajoute le rapport du pouvoir entre les locuteurs appartenant au groupe majoritaire et la cible appartenant au groupe minoritaire. D’après Monnier et al. (2021 : 11) « le numérique ne constitue qu’une extension médiée des rapports de pouvoir réels : il exacerbe les rapports de force préexistants ». Les internautes exploitent ainsi ces rapports de force pour attaquer leur cible à travers des actes de condamnation relevant principalement du manque de respectabilité, dépeignant les musulmans comme des individus déclassés et méprisables. La haine s’apparente alors au mépris généré sous le motif d’« irrespect des normes de la part de méprisé » (BERNARD BARBEAU et MOÏSE 2020 : 6), mépris qui découle d’un « mécanisme de défense qui permet de se protéger » (ROMAIN et al. 2020 : 2). La haine prend ainsi une dimension défensive à travers laquelle plusieurs internautes se défendent de ne pas être racistes ou islamophobes, et les discours produits s’actualisent en tant que contre-discours haineux aux discours de commémoration, de mobilisation et de revendication.

 

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[1] Cet article s’inscrit dans le cadre des travaux du groupe de recherche international Draine – Haine et rupture sociale : discours et performativité, qui réunit une trentaine de chercheuses et chercheurs dans une perspective interdisciplinaire autour de l’étude du discours de haine et de ses caractéristiques spécifiques.

[2] Citons des actes de vandalisme et le dépôt d’une tête de porc à la porte de la mosquée accompagnée de la note « Bonne [sic] appétit » (« Geste haineux dans une mosquée de Québec », Radio-Canada, 19 juin 2016, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/788375/tete-porc-ramadan-mosquee-islam).

[3] Pour lire les propos du premier ministre, voir notamment l’article suivant : « “Pas d’islamophobie au Québec” : Legault corrige le tir », La Presse, 1er février 2019, https://www.lapresse.ca/actualites/politique/politique-quebecoise/201902/01/01-5213211-pas-dislamophobie-au-quebec-legault-corrige-le-tir.php.

[4] Tous les extraits cités ont été reproduits tels quels, sans modification de notre part. La référence donnée correspond à celle de l’article journalistique à la suite duquel le commentaire a été publié sur Facebook.

[5] Soulignons que le nom de Marc Lépine circule chaque année dans les médias et dans l’espace public depuis la tuerie de la Polytechnique et que jamais l’auteur de l’attentat n’est désigné par son nom de naissance.


 

Per citare questo articolo:

Amal BEN ISMAIL, Geneviève BERNARD BARBEAU, « De la mémoire à la haine : les discours entourant la Journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie », Repères DoRiF, n. 26 – Les discours de haine dans les médias : des discours radicaux à l’extrémisation des discours publics, DoRiF Università, Roma, novembre 2022, https://www.dorif.it/reperes/amal-ben-ismail-genevieve-bernard-barbeau-de-la-memoire-a-la-haine-les-discours-entourant-la-journee-nationale-de-commemoration-et-daction-contre-lislamophobie/

ISSN 2281-3020

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