Carmen ALBERDI, Carole ETIENNE
Aider l’apprenant à parler en interaction, du coup comment plaisanter ou refuser ?
Carmen Alberdi
Université de Grenade
kalberdi@ugr.es
Carole Etienne
CNRS, Laboratoire ICAR
carole.etienne@ens-lyon.fr
Résumé
Cet article se propose d’aborder l’enseignement du français parlé en interaction à travers l’utilisation du marqueur de l’oral « du coup » et des fonctions langagières avancées « plaisanter » et « refuser », envisagés d’un point de vue linguistique, puis dans une approche pédagogique, en mettant en perspective la variabilité des procédés de l’oral avec leurs enjeux d’enseignement. Dans une troisième étape, il présentera la manière dont l’application CORAIL, destinée aux apprenants, présente ces trois sujets, à partir d’extraits d’interactions entre plusieurs locuteurs engagés dans des situations sociales ordinaires recueillies in situ dans différents contextes.
Abstract
This article proposes to approach the teaching of spoken French in interaction through the use of the oral marker “du coup” and the advanced language functions “joke” and “refuse”, considered from a linguistic point of view and then in a pedagogical outlook, by putting into perspective the variability of oral procedures with their teaching issues. In a third step, he will present the way in which the CORAIL application, intended for learners, presents these three topics, based on extracts of interactions between several speakers engaged in ordinary social situations collected in situ in different contexts.
Introduction
Dans cet article, nous allons présenter une approche méthodologique pour enseigner le français parlé en intégrant ses différentes dimensions (pragmatique, syntaxique, prosodique, multimodale, mais également interculturelle), basée sur l’étude des différents procédés mobilisés par les locuteurs afin de réaliser leurs objectifs langagiers. C’est à partir de ces observations en contexte que l’apprenant constituera et enrichira ses propres représentations de la langue, qu’il pourra éprouver dans différentes situations sociales du quotidien. Pour l’illustrer, nous nous intéresserons au marqueur de l’oral « du coup », pour son caractère polysémique et sa fréquence, ainsi qu’à deux fonctions langagières considérées délicates (dans la mesure où elles mettent en jeu les faces respectives des interactants), « refuser » et « plaisanter », qui illustrent à quel point la structuration de l’interaction, tout comme les choix langagiers et prosodiques opérés, relèvent d’une compétence interactionnelle qui dépasse largement la compétence linguistique. Nous proposerons une méthode basée sur les ressources de l’application CORAIL que nous déploierons, étape par étape, en articulant l’écoute et le visionnage avec l’analyse de leur transcription afin de relever les différentes spécificités du français parlé.
1. Du coup, plaisanter et refuser partagent des traits pragmatiques communs
1.1 Les emplois des marqueurs en interaction
L’une des caractéristiques essentielles de l’oral en interaction est la présence de divers éléments linguistiques dont les dénominations – et, bien entendu, l’inventaire – varient d’un auteur à l’autre[1], soit qu’elles concernent leur forme (« marqueurs discursifs », « particules » ou « petits mots de l’oral »), soit qu’elles mettent l’accent sur leur fonction (« connecteurs » , « articulateurs », « ponctuants » ou « régulateurs »). S’ils ont été abondamment documentés dans la littérature, et tout en étant omniprésents dans les situations privées comme professionnelles, leur usage reste cependant moins systématique que celui des connecteurs et articulateurs logiques de l’écrit, mais ils témoignent d’une grande variabilité et polysémie. Ces éléments ont donc été traditionnellement, au même titre que les faux départs, les hésitations et les répétitions, comme des « scories » propres au discours oral (RIEGEL et al. 1999 : 36), « trop souvent considérés comme des parasites qu’il conviendrait d’éradiquer du discours idéal » (TRAVERSO 1999 : 45), alors qu’ils en sont au contraire les piliers : « comme indicateurs de la structure de l’interaction, comme manifestation de sa co-construction, comme traces de l’acte de la production discursive, et enfin, comme marqueurs de l’articulation des énoncés » (TRAVERSO 1999 : 45).
En termes de co-construction, les marqueurs constituent autant de procédés de « validation interlocutoire » (KERBRAT-ORECCHIONI 1996 : 4) intervenant aux deux pôles interlocutifs pour mettre en évidence l’implication mutuelle des interactants. Pour le locuteur, la production de phatèmes ou marqueurs d’allocution sert à manifester l’adresse et permet de garder l’attention de son partenaire :
Il doit signaler qu’il parle à quelqu’un par l’orientation de son corps, la direction de son regard, ou la production de formes d’adresse ; il doit aussi maintenir son attention par des sortes de “captateurs” (tels que “hein”, “n’est-ce pas”, “tu sais”, “tu vois”, “dis”, “j’vais te dire”, “j’te dis pas”, etc.), et éventuellement “réparer” les défaillances d’écoute ou problèmes de compréhension par une augmentation de l’intensité vocale, des reprises, ou des reformulations (ibid.).
L’interlocuteur, à son tour, est tenu de produire divers signaux d’écoute, dits régulateurs, qui accomplissent, pour la plupart, des fonctions de feedback : ils encouragent le locuteur à poursuivre, signalent une attitude d’écoute active ou renseignent sur l’existence d’un problème de compréhension. Les régulateurs ont aussi
des réalisations diverses : non verbales (regard et hochement de tête, mais aussi à l’occasion froncement de sourcils, petit sourire, léger changement de posture…), vocales (“hmm” et autres vocalisations), ou verbales (“oui”, “d’accord”), reprises en écho » (ibid.). S’il s’agit, généralement, de réactions involontaires, leur présence est pourtant indispensable, leur absence étant « sentie comme impolie ou agressive, et vécue comme gêne, signal de retrait ou d’hostilité (DE GAULMYN 1987 : 221).
D’après leurs emplois les plus fréquents en interaction, les fonctions suivantes se dégagent :
- d’ouverture –« tiens », « à propos », « au fait »– et de clôture –« enfin », « de toute façon », « bon ben », « voilà », « quoi ». Lorsqu’ils visent à l’introduction d’un nouveau sujet, on les appelle aussi marqueurs de « délocalisation » (TRAVERSO 1996 : 83) ;
- de co-construction, tels que les phatèmes –« tu sais », « tu vois »–, les indices de quête de consensus ou d’approbation –« hein », « n’est-ce pas »–, ou les régulateurs – «oui je vois», « voilà », « ah bon », « tiens » ;
- de planification : « donc », « puis », « alors », « du coup » ;
- de reformulation : « enfin », « c’est-à-dire » ;
- d’articulation : « mais », « donc », « alors », « du coup » …
Indépendamment de la catégorie lexicale ou grammaticale dont ils relèvent, ces petits mots sont donc porteurs de différentes valeurs pragmatiques et contribuent à la gestion conjointe d’une interaction où le locuteur et ses interlocuteurs négocient et ajustent en permanence le contenu et la structuration de leurs interventions en fonction des paramètres situationnels, des relations qu’ils entretiennent entre eux, de leurs objectifs communicatifs, mais aussi des réactions de leur(s) partenaire(s) (TRAVERSO 2016). C’est bien entendu le cas du marqueur « du coup » qui pourra être utilisé soit pour articuler les thèmes, relancer le thème en cours ou bien en ouvrir un nouveau, soit de manière logique comme « connecteur de conséquence » (Groupe ICOR & GUINAMARD 2015). De cette polysémie et de la variété de leurs fonctions découle une réelle problématique d’enseignement/apprentissage de ces marqueurs, dont on ne peut donner une seule signification, tant celle-ci dépend de leur contexte d’emploi. De même, il sera difficile d’en établir une liste unique, de multiples combinaisons s’avérant possibles et, là encore, avec un impact sur leur sens. Ainsi, il s’agit davantage de sensibiliser l’apprenant à reconnaître cette variation en contexte que de lui présenter uniquement quelques-uns des sens possibles. L’objet d’étude devient la variation des emplois et non la définition, ou la traduction, d’un marqueur donné.
Enfin, l’importance des marqueurs devient particulièrement évidente lorsque l’interaction fait intervenir des actes ambivalents, tels que la plaisanterie ou le refus.
1.2 La plaisanterie en interaction
Une plaisanterie constitue a priori un acte positif témoignant d’un arrière-plan de connaissances partagées et d’une certaine connivence entre les interactants. La prosodie –saillance, intonation– et l’accompagnement mimo-gestuel y jouent un rôle essentiel, tout comme les rires et des expressions telles que : « mais arrête », « quand même », « je te jure », « mais non », « c’est n’importe quoi », « dis donc », « tu es fou » et des formulations qui traduisent l’excès et l’alignement vis-à-vis de la plaisanterie : « oh », « ah », « trop drôle », « un truc de dingue », « énorme ». Ces expressions peuvent être considérées comme des marqueurs de connivence selon la définition qu’en propose FRÉTEL (2018 : 1-2) : « Un marqueur peut être dit “de connivence” lorsqu’il est utilisé dans une dimension “méta” (-linguistique ou -énonciative), c’est-à-dire lorsqu’un énonciateur utilise le langage pour parler du langage ou du dire en train de se faire ». La plaisanterie peut par ailleurs s’étendre sur plusieurs tours de parole co-construits grâce aux apports de l’interlocuteur, qui évalue, ajoute et répond à l’énoncé initial.
Or si les bonnes conditions ne se donnent pas, la plaisanterie risque de tomber à plat, voire d’être mal interprétée et d’être perçue comme une offense –lorsque le destinataire se prend, à tort ou à raison, pour la cible, selon la relation triadique posée par CHARAUDEAU (2006 : 22) :
Car ne produit pas un acte humoristique qui veut, sans tenir compte de la nature de son interlocuteur, de la relation qui s’est instaurée entre eux, des circonstances dans lesquelles il est produit. Selon les cas, un acte humoristique peut blesser l’autre ou le rendre complice […]. Dans d’autres cas, particulièrement ceux de la conversation spontanée, le locuteur doit se donner les moyens de justifier son énonciation humoristique car il risque d’être mal considéré par son interlocuteur.
Dans un tel cas, la menace potentielle pour la face de l’interlocuteur fait simultanément perdre la face au locuteur. L’à-propos d’une plaisanterie –tout comme la proportionnalité de la façon dont on y réagit– dépend donc, comme toute action langagière, de son adéquation à la situation de communication concrète et de l’évaluation qu’en fait le partenaire d’interaction. Comme le signalent STALDER & AGBOBLI (2021 : 83), l’humour et le rire sont « inextricablement liés à leur contexte d’émergence, insoupçonnables, imprévisibles ; et ce, d’autant plus que leur appréciation s’inscrit dans l’interaction et la relation entre émetteur(s) et récepteur(s) ». Mais ils sont également subordonnés aux « normes et modèles culturels spécifiques aux communautés linguistiques et culturelles auxquelles appartiennent les interlocuteurs » (BAIDER & CISLARU 2021 : 14). Le rire est universel, mais nous ne rions pas tous des mêmes choses. Variable selon les histoires individuelles et collectives des interlocuteurs et selon leurs groupes d’appartenance, même à l’intérieur d’une seule langue et culture, l’humour devient particulièrement délicat, voire risqué, dans des situations de communication exolingue :
Une des principales difficultés que rencontre le locuteur non-natif dans ses échanges avec le locuteur natif est la grande difficulté –pour ne pas dire : l’impossibilité– du premier à comprendre chez l’autre de nombreuses nuances de sens immanquablement dissimulées dans les incursions humoristiques jalonnant toute discussion un peu prolongée, que ce soit dans un échange informel ou dans tout échange professionnel, toute négociation (affaires, contrats, prise de décision, etc.) (CAZADE 2009 : p. 26).
Force est donc de conclure, avec STALDER & AGBOBLI (2021 : 89) que « l’humour est une épée à double tranchant ». S’il a des effets positifs –renforcement de liens interpersonnels et de la socialisation, atténuation d’une menace éventuelle contre la face du locuteur (autodérision) ou celle de l’interlocuteur, détente d’une situation tendue–, il n’en demeure pas moins un « mode d’expression particulier » qui « émerge dans et de l’interaction » et qui est susceptible, depuis lors, d’interprétations d’autant plus diverses que le seront les origines des interlocuteurs.
1.3 L’organisation préférentielle des échanges et le refus
Toute intervention initiative peut susciter des réponses variées, dont certaines sont davantage attendues et privilégiées. On parle à ce propos d’« enchaînements préférés » (KERBRAT-ORECCHIONI 2001), qui correspondent généralement à un déroulement qui appuie l’acte précédent et recherche l’accord ou minore le désaccord. Or l’organisation préférentielle des échanges exerce une influence directe sur la structuration de l’échange, puisqu’elle détermine les différentes réalisations linguistiques que peut emprunter un acte de « réponse ». La réaction préférée peut être directement formulée, voire renforcée ; l’acte non préféré, en revanche, dans la mesure où il constitue une offense potentielle, présentera une élaboration plus complexe, visant à neutraliser la portée de la menace contre la face de l’autre à travers l’introduction de divers actes subordonnés d’atténuation, substitutifs ou additifs (KERBRAT-ORECCHIONI 1992). Parmi les premiers, nous trouvons la formulation indirecte des actes censés être menaçants (une question pour une requête ou pour un ordre, par exemple), des « désactualisateurs » modaux, temporels ou personnels (conditionnel ou imparfait dans les requêtes, « nous » de solidarité), des tropes (litote et euphémisme) ou des tropes communicationnels (feindre d’adresser un énoncé à quelqu’un alors que la cible en est quelqu’un d’autre). Quant aux procédés additifs, ils consistent à annoncer par un « pré- » (préface) l’action à accomplir (« Est-ce que je peux te poser une question »), et comprennent aussi d’autres procédés tels que les « minimisateurs » (« simplement », « un tout petit peu »), les « désarmeurs », qui anticipent sur une réaction négative (« Ce n’est pas pour te gêner, mais… »), et les « amadoueurs », compliments et appellatifs tendres, entre autres, par lesquels « le locuteur cherche à se concilier les bonnes grâces du destinataire par une sorte de chantage aux sentiments » (KERBRAT-ORECCHIONI 1992 : 220). Du point de vue de l’informativité, de tels détours dérogent vraisemblablement à la maxime de quantité du principe de coopération gricéen, mais ils sont indispensables au maintien de l’harmonie interactionnelle.
L’organisation préférentielle explique la difficulté que l’on peut éprouver à exprimer un refus, qui est en principe considéré une réaction « non préférée ». Par exemple, pour répondre à une offre ou à une invitation, censées être bénéfiques pour le récepteur, celui-ci a le choix entre l’acceptation, qui serait a priori la réaction préférée, et le refus, non préféré, puisqu’il menace la face du locuteur qui voit sa proposition rejetée, alors qu’il y tenait peut-être (voir ALBERDI & ETIENNE 2021). Or, comme le signale KERBRAT-ORECCHIONI (2005 : 222-226), les choses ne sont jamais aussi simples, les interactions ne sont pas en noir et blanc. Celui qui offre –un bien, un service, son temps, son espace…– peut le faire à ses dépens. Une acceptation hâtive peut rendre l’image d’un interlocuteur peu sensible à ce sacrifice, d’un « profiteur avide et sans scrupule ». C’est pour cette raison que, pris dans une sorte de « double contrainte », l’interlocuteur préfère en général des solutions intermédiaires : une acceptation légèrement différée –quitte à la renforcer ensuite par tout type d’exclamations et de vifs remerciements–, un refus adouci, ou un « refus provisoire », accompagnés, dans leur expression, de divers marqueurs d’atténuation tels que « oui non mais ».
Les fonctions pragmatiques des marqueurs soulignent, en somme, un trait essentiel de la structure interactionnelle, qui n’est jamais un « donné », mais un « construit », (COSNIER & KERBRAT-ORECCHIONI 1987), élaboré au cours d’un processus dynamique et dialectique dont les règles de fonctionnement sont acquises en même temps que la langue maternelle, au fil du développement cognitif et des occasions de socialisation. Cette acquisition configure, pour tout interactant, une compétence interactionnelle dont les composantes (ANDRÉ 2021) impliquent divers savoir-faire lui permettant de :
- s’adapter à la situation de communication (cadre spatio-temporel, statuts, relations hiérarchiques, objectifs, etc.) ;
- prendre sa place dans l’interaction, c’est-à-dire intervenir dans le déroulement temporel ou séquentiel de l’échange de façon dynamique et spontanée (TRAVERSO 2016) ;
- s’ajuster, sur le fond et sur la forme, à son(ses) interlocuteur(s) pour construire son propre discours ;
- co-construire un discours commun ou construire un discours collaborativement (KERBRAT-ORECCHIONI 2005).
2. La compétence interactionnelle dans l’apprentissage des langues étrangères
Étant donné l’étroite dépendance des interactions à l’égard de la situation et l’importance, non négligeable, des différences interculturelles, l’apprentissage d’une langue étrangère visant à faire acquérir une compétence, non seulement communicative, mais proprement interactionnelle, devrait accorder une place de choix à l’observation et la mise en pratique d’interactions naturelles. Cependant, comme diverses études l’ont mis en évidence, l’input auquel l’apprenant est quotidiennement exposé demeure encore loin de l’usage naturel de la langue en interaction, qu’il s’agisse des dialogues « fabriqués » des manuels (GIROUD & SURCOUF 2016) ou de l’oralité « préfabriquée » (CHAUME 2001) dont relèvent les interactions cinématographiques et télévisuelles. Par ailleurs, l’accès à l’oral est généralement réalisé à partir d’activités écrites dont le but principal est de vérifier l’acquisition de la connaissance linguistique, au niveau lexical ou grammatical, plutôt que d’encourager le repérage et l’analyse des spécificités de l’oral en interaction :
[…] en règle générale, d’après les activités pédagogiques et les stratégies d’enseignement utilisées dans leur salle de classe, les enseignants paraissent présupposer qu’il faut d’abord faire acquérir un savoir sur la langue avant de faire utiliser celle-ci […] la conception sous-jacente que l’on se fait de la langue est qu’elle est beaucoup moins un moyen de communication qu’un objet d’étude grammaticale ou de description du réel. De plus, c’est la langue écrite qui sert avant tout de support à l’apprentissage de la langue orale (GERMAIN & NETTEN, 2010: 521-522).
En conséquence, contrairement aux connecteurs de la langue écrite, envisagés à partir du niveau B1 pour l’expression de la cause, la conséquence, la concession, etc., les marqueurs de l’oral et leurs spécificités ne font pas l’objet d’un enseignement explicite. Corollairement, la diversité de valeurs pragmatiques dont les mêmes mots de l’écrit se chargent dans l’interaction orale reste voilée par leur fonction grammaticale de base (« voilà » comme présentatif, « donc » comme conjonction à valeur consécutive, « alors » comme adverbe de temps, etc.). Certaines expressions, comme « du coup » ou « hein » se trouvent, quant à elles, renvoyées au domaine du langage familier –par extension, « fautif » –, selon les prescriptions des dictionnaires, malgré leur fréquence attestée dans des situations aussi bien formelles qu’informelles. Enfin l’emploi, tout aussi fréquent, de marqueurs combinés (« ben voilà du coup ») ne serait même pas envisagé.
Il en va de même en général des usages humoristiques, ironiques ou sarcastiques de la langue. Proposés parfois dans des documents voués à la compréhension, écrite –vignettes ou planches de bande dessinée– ou orale –sketchs–, ils sont moins destinés à approfondir la compréhension des ressorts humoristiques, de leur acceptabilité en situation ou des différences interculturelles qu’à l’étude d’un contenu grammatical ou lexical. Les activités d’expression, quant à elles, poursuivent le même objectif de réutilisation du lexique ou des structures grammaticales, généralement à l’écrit, en faisant remplir des bulles et « imaginer » le dialogue entre des personnages.
Enfin, les conditions requises pour une compétence interactionnelle –adéquation à la situation, négociation, atténuation–, qui exercent une influence décisive sur la formulation des énoncés –procédés substitutifs ou additifs et enchaînements préférentiels–, restent invisibles, aussi bien en raison de la troncation habituelle des dialogues des manuels (omission des séquences d’ouverture et de clôture, des préfaces, etc., voir ALBERDI & ETIENNE 2021), que de la tendance à proposer, en guise de résumé ou de fiche aide-mémoire, des listes de formules décontextualisées, apparemment vouées à être simplement mémorisées sans tenir compte de leurs différences d’emploi et sans inviter l’apprenant à une réflexion pourtant indispensable au développement de la conscience métacognitive.
À défaut d’apprentissage en situation d’immersion langagière, il semblerait que l’acquisition de la compétence interactionnelle demeure confiée à une compétence implicite qui est néanmoins difficilement transposable telle quelle de la langue maternelle à la langue étrangère. Afin d’enseigner les spécificités du français parlé, il s’avère nécessaire de reconstituer « son habitat naturel », l’interaction sociale (PEKAREK-DOEHLER 2006), en présentant à l’apprenant de manière régulière des situations écologiques ordinaires. Au fil des expositions, il pourra découvrir, interpréter puis assimiler en contexte la langue en interaction afin d’en relever les contenus lexicaux, mais également prosodiques, syntaxiques, multimodaux et interculturels, appréhendant ainsi les différentes composantes mobilisées par les locuteurs et leur articulation. En parallèle des compétences langagières, il disposera alors de savoirs sociaux qu’il sera capable de réinvestir pour interagir de façon appropriée selon ses interlocuteurs et la situation : « Ce qui est alors en jeu n’est pas tant ce que l’apprenant sait faire seul, indépendamment de situations concrètes, mais ce qu’il arrive à faire avec autrui, dans des situations socio-discursives spécifiques » (PEKAREK-DOEHLER 2006 : 41).
3. Le projet CORAIL
C’est dans cette approche d’enseignement sur corpus que le laboratoire ICAR, spécialiste en France de l’analyse des interactions orales, a décidé de constituer un réseau d’enseignants et de didacticiens pour définir ensemble des ressources adaptées à l’enseignement/apprentissage du français parlé en salle de classe. Le projet CLAPI-FLE a été conçu dans le cadre de cette collaboration avec tout d’abord une quarantaine d’extraits d’interactions, choisis par les didacticiens pour leur pertinence et l’authenticité des situations. Ces extraits viennent enrichir l’offre des manuels basée sur des situations construites, où les productions des locuteurs s’enchaînent les unes à la suite des autres, sans vraiment reproduire les ouvertures et les clôtures des échanges, les piétinements, les hésitations, les reformulations, les sollicitations ou encore les interruptions de parole dues à la co-construction de l’échange par ses participants. À ces extraits se sont ajoutées des collections pour illustrer des caractéristiques de l’oral, des fiches explicatives qui détaillent, organisent et documentent certains procédés (l’atténuation, le discours rapporté, les questions et les requêtes, les remerciements, les temps verbaux privilégiés) et les marqueurs « trop » et « quand même ». En parallèle, certains enseignants ont souhaité disposer de ressources prêtes à l’emploi en salle de classe et organisées en routines ou récurrences selon les axes lexicaux, syntaxiques, prosodiques et interculturels, avec des objectifs d’enseignement à la fois interactionnels et socioculturels. Elles portent sur l’accueil à la maison, l’invitation, la cuisine ou la négociation.
Cependant, ces ressources restent difficiles à utiliser par les apprenants sans présentation préalable en classe par les enseignants. C’est pour cette raison qu’une nouvelle plateforme, CORAIL, a été développée, afin de s’adresser au public cible des apprenants. Si l’équipe du projet a fait à nouveau appel à des enseignants et didacticiens, elle a également intégré des étudiants de différentes nationalités (russe, afghane et chinoise) qui avaient rencontré des difficultés à leur arrivée en France. Le projet s’est construit à partir des résultats d’une enquête de compréhension du français parlé en interaction auprès d’apprenants de différentes nationalités (espagnole, italienne, algérienne, colombienne, russe, chinoise, japonaise, anglaise, allemande …) et de niveau de langue débutant, intermédiaire ou avancé. Les résultats consolidés de cette enquête ont mis en évidence les difficultés de compréhension de ces interactions après trois écoutes et une phase de discussion avec l’apprenant afin de mieux comprendre ce qui était bloquant. En parallèle, une analyse quantitative a été menée en Algérie, où le français langue seconde fait pourtant l’objet d’un apprentissage dès le primaire et d’une immersion partielle dans les lieux où il est parlé (CORTIER et al. 2022). L’analyse des résultats a dégagé trois niveaux de difficultés auxquels CORAIL a tenté d’apporter une réponse :
- la compréhension de situations sociales ordinaires,
- la manière de réaliser des actions langagières élémentaires,
- la signification d’expressions fréquentes à l’oral.
La plateforme CORAIL s’est donc organisée en trois parties autour de ces demandes en veillant à ne pas utiliser systématiquement de métalangage, ou bien, lorsque c’était pertinent, en le mentionnant entre parenthèses après avoir donné sa signification.
- Les situations
Nous avons sélectionné deux à trois courts extraits d’interactions correspondant à des thèmes fréquents de la vie quotidienne privée ou professionnelle : « dans un commerce », « en réunion », « entre amis », « au téléphone », « santé » et « en visite guidée ». Chacun d’eux comprend un court contexte et une transcription qu’il est conseillé d’afficher après plusieurs écoutes ou visualisations. Un bouton « explication » permet d’obtenir des informations lexicales, mais également sur les procédés mobilisés par les locuteurs (marqueurs, expressions, répétitions, temps verbaux, structures comme les dislocations ou les demandes de confirmation…) et détaille pas à pas chaque fonction réalisée par les locuteurs en regard de leur production verbale. Enfin, des activités sont proposées pour aider l’apprenant à relever les caractéristiques orales de l’échange, l’inviter à reformuler certaines constructions pour vérifier qu’elles sont comprises, ou souligner les finalités des locuteurs. Il s’agit pour le moment de simples questions /réponses qui pourront faire l’objet d’exercices plus complets et interactifs par la suite.
- Comment dire ? Comment faire ?
Nous avons choisi certaines fonctions habituelles comme remercier, poser une question, refuser, exprimer une émotion, raconter, proposer/suggérer, plaisanter et inviter, pour lesquelles nous proposons une brève explication qui délivre plusieurs variantes possibles, avec, pour chacune d’elles, quelques exemples courts pris dans différentes situations, contextualisés et transcrits, avec des informations sur le lexique et sur les caractéristiques de l’oral.
- Les expressions du quotidien
Parmi les nombreuses expressions fréquentes à l’oral, nous avons retenu celles que les étudiants avaient trouvé les plus déroutantes et complexes à comprendre en contexte, comme « trop », « quand même », « ça marche », « c’est ça », « du coup », « laisse tomber », « tu sais », ou « tu vois ». Là encore, une petite explication conduit à plusieurs usages parmi les plus fréquents, illustrés par divers extraits qui sont également contextualisés, transcrits et accompagnés d’explications sur le vocabulaire et les phénomènes de l’oral.
Si ces trois parties constituent des portes d’entrée dans la plateforme, elles convergent dans leurs objectifs, afin d’aider l’apprenant à comprendre l’oral et les mécanismes interactionnels en identifiant les fonctions, en relevant les procédés et en démystifiant les expressions les plus courantes. Bien que nous ayons cherché à produire une ressource simple avec des écrans peu chargés, nous n’avons pas pour autant sacrifié la variété des situations comme des procédés, afin d’exposer l’apprenant à cette diversité, sans jamais lui montrer une seule façon de dire ou de faire qui lui laisserait croire à « une formule magique » réutilisable à l’identique dans n’importe quelle situation. Dans un second temps, ces ressources permettent d’aller plus loin en mettant en perspective des enchaînements, des structures ou des emplois syntaxiques qui sont spécifiques du français parlé en interaction. Nous allons présenter plus particulièrement le marqueur « du coup » et les fonctions « refuser » et « plaisanter », qui se révèlent complexes et délicates en interaction pour des natifs, mais plus encore pour des apprenants, comme nous l’avons décrit dans le paragraphe 1.
4. CORAIL : du coup comment plaisanter ou refuser ?
4.1 CORAIL : le marqueur « du coup »
Le marqueur « du coup » interroge l’apprenant, même de niveau avancé, dans ses nombreuses configurations, qu’il soit employé seul, en début ou en fin de tour de parole, ou encore qu’il s’articule à d’autres marqueurs comme « alors », « donc », « et » , « mais » ou « ben ». Son noyau nominal, « coup », n’aide pas non plus les apprenants avancés à déduire du sens, et son homonyme « coût » ajoutera à la confusion surtout s’il est employé dans une interaction commerciale, illustrant ainsi ces expressions qui « se caractérisent par la perte de leur valeur lexicale » (GÜLICH 1970). Cette ambiguïté et la fréquence de cette expression, notamment depuis les années 2000, justifient l’importance de la présenter à l’apprenant dès le début de son apprentissage pour qu’il l’identifie comme « un bloc », une unité phraséologique (SOLANO RODRÍGUEZ 2007), parmi la centaine d’unités recensées dans le Dictionnaire des expressions et locutions autour du même nom-noyau (REY & CHANTREAU 1997), dont le sens ne saurait être dégagé d’une traduction mot à mot et que l’apprenant appréciera dans ses diverses nuances au fur et à mesure qu’il la rencontrera en contexte. Si les travaux de recherche en interaction (Groupe ICOR & GUINAMARD 2015) ont mis en évidence les fonctions-clé de ce marqueur, il est important de les transposer pour l’enseignement du français afin de ne pas les limiter à l’expression d’une conséquence, mais de les étendre vers ses autres emplois : planifier, faciliter la reprise ou établir une transition entre deux activités, qu’elles soient proches ou éloignées, voire meubler une « panne interactionnelle » après une pause ou des rires.
Pour éviter toute confusion, nous n’avons volontairement pas introduit dans CORAIL la dénomination de « marqueur », qui ne fait pas consensus comme nous l’avons vu au paragraphe 1, et lui avons préféré le terme plus neutre d’« expression ».
Dans CORAIL, « du coup » est présenté avec des mots simples dans ses quatre principales fonctions :
Figure 1. CORAIL – l’expression « du coup »
Si l’expression d’une conséquence est habituellement apprise en rapprochant « du coup » de « par conséquent », ses emplois pour changer de sujet sont moins connus, alors qu’ils sont pourtant fréquents. La deuxième option, « Articuler deux parties, changer de sujet », présente un exemple au cours d’un apéritif entre amis où, après avoir discuté d’un ami, l’hôtesse propose une boisson, elle conclut la discussion en cours avec « bon ben c’est cool », puis elle passe au sujet suivant avec « bon du coup », où « du coup » ne peut pas être remplacé par « par conséquent » : « bon ben c’est cool bon du coup vous voulez boire un truc j’ai ramené la bouteille d’hier » (lignes 7 et 8)
Figure 2. CORAIL : Apéritif entre amis – « du coup » pour changer de sujet
La fonction « Intervenir dans une conversation » est particulièrement pertinente, car la prise de parole constitue précisément une activité qui reste difficile pour des apprenants, qui ne savent pas toujours à quel moment intervenir ni comment le faire. Présenter des pratiques réellement attestées en interaction permet petit à petit de les aider à se construire des représentations de la manière dont ils peuvent s’insérer dans une conversation. Placés dans une situation similaire, ils seront en mesure de comprendre ce que le locuteur a voulu faire et à terme de le reproduire à leur tour. L’exemple suivant est pris dans une réunion de travail où un collègue (Collègue 3) intervient pour préciser qu’il faut procéder autrement « du coup on marche plus » (ligne 5), comme ses deux collègues venaient de dire que les promotions, trop nombreuses, n’avaient plus d’impact.
Figure 3. CORAIL : Réunions publicitaires – « du coup » pour intervenir dans une discussion
Un autre emploi de « du coup » permet d’introduire une question. Ici, dans une fromagerie, un vendeur a donné des explications sur une livraison et demande à l’autre vendeuse si elle veut certains des produits avec la question suspensive « donc du coup est-ce que tu en veux là ou ».
Figure 4. CORAIL : Fromagerie – « du coup » pour poser une question
Dans tous les cas, nous avons veillé à montrer des exemples dans des contextes différents, pour que l’apprenant puisse associer sa représentation des usages de cette expression à des situations variées et ne pas l’attribuer à un clivage d’usage formel vs informel qui ne correspond pas à la réalité des formes attestées.
4.2 CORAIL : comment plaisanter ?
La plaisanterie, comme nous l’avons déjà mentionné, reste complexe pour un apprenant et devient souvent source d’incompréhension. S’il serait naïf de prétendre la faire assimiler en quelques lignes et quelques exemples, on peut cependant sensibiliser l’apprenant à repérer des plaisanteries même s’il n’en maîtrise pas toutes les dimensions et à comprendre quel en est le rôle suivant la situation. Dans cette perspective, nous avons listé les traits prosodiques qui accompagnent le plus souvent la plaisanterie comme les saillances, les changements d’intonation et même les modulations de la voix, qui conduisent à surjouer pour rendre les productions plus remarquables. Sont également indiquées quelques-unes des expressions que les interlocuteurs produisent après avoir entendu une plaisanterie. L’apprenant aura ainsi connaissance d’une palette de procédés, souvent concomitants, qu’il pourra identifier même s’il ne comprend pas immédiatement le sujet, il saura comment y répondre et sera ainsi moins déstabilisé in situ. Si certaines plaisanteries sont courtes, d’autres se déroulent sur des séquences plus longues et même parfois s’enchaînent en cascade : on attend alors des interlocuteurs une réception et des contributions adaptées.
Figure 5. CORAIL : Présentation de « plaisanter »
Dans l’extrait suivant, au cours de la visite guidée d’un château la guide fait une première plaisanterie sur le « tableau de Madame » qui serait dans la « chambre de Monsieur » pour lui rappeler son existence (ligne 5), qui s’accompagne de rires. Quand la guide aborde le prochain sujet –la taille des lits–, une visiteuse fait à son tour une plaisanterie, comme elle est de petite taille, pour dire que le lit lui conviendrait tout à fait, en changeant d’intonation à plusieurs reprises « moi↑ ça va↓↓ pas de souci↓↓ » afin d’accentuer sa production, qui sera reformulée par la guide avec des rires (lignes 11 à 13). Afin d’assurer la compréhension, une aide en ligne est proposée, qui détaille ces procédés, ainsi qu’une aide lexicale sur des termes tels que « chambre à part » ou « coup d’œil ».
Les plaisanteries participent à l’engagement des visiteurs au cours de la visite où la guide déploie plusieurs stratégies pour les intéresser et les amener à intervenir, rendant ainsi la visite plus participative et personnalisée en fonction des contributions de chacun. Dans cette situation, on retrouve des plaisanteries à l’initiative des guides qui vont donner le ton et laisser aux visiteurs la possibilité d’en dire à leur tour, que la guide peut reprendre afin de s’assurer que chacun dans le groupe les entende.
Figure 6. CORAIL : Visite guidée d’un château – « plaisanter » suite de plaisanteries
4.3 CORAIL : comment refuser ?
Dans la même approche, le refus a été choisi en raison de sa complexité et des mécanismes interactionnels qu’il induit afin de ne pas froisser ses interlocuteurs et de mener à bien la suite de l’échange. La première difficulté pour l’apprenant est parfois de comprendre qu’il s’agit d’un refus. L’emploi en français de « oui » ou « non » n’étant pas toujours significatif, notamment avec les associations de marqueurs « oui non », « oui mais » ou encore « oui bon ». Sans parler des questions négatives auxquelles on peut répondre par l’affirmative ou la négative, on voit bien que le refus n’est pas toujours simple à identifier. Dans un second temps, on montrera quels sont les comportements attendus en cas de refus et ce que les interlocuteurs privilégient pour arriver à une solution commune et poursuivre l’interaction. Nous avons opté pour une présentation du refus direct, donc explicite, que l’on présente en regard du refus indirect, donc implicite, plus difficile à appréhender. Sans entrer dans le niveau de détail de CLAPI-FLE[2], CORAIL aborde également la manière d’atténuer un refus que ce soit par la politesse ou l’emploi d’atténuateurs, ainsi que les justifications attendues pour que les locuteurs puissent accepter ce refus.
Figure 7. CORAIL : Présentation de «refuser»
Si le refus direct pose moins de problème de compréhension, nous allons illustrer cette fonction avec un refus indirect dans une situation professionnelle de réunion où trois architectes cherchent une solution pour placer un escalier. Le premier architecte montre son inquiétude pour « caser » son escalier, le troisième architecte propose d’ajouter un escalier de secours. Après une pause, le premier architecte refuse cette solution avec « oui non mais » qui montre son désaccord, même si la coprésence de « oui » et « non » suivie de « mais » prête à confusion. Il le justifie immédiatement avec l’argument « il sera pas très confortable c’est tout » qui remet en cause cette solution, mais en explicitant le problème de confort d’utilisation d’un tel escalier (ligne 5).
5. Perspectives
Bien que CORAIL soit une ressource initialement conçue pour un usage autonome, afin d’améliorer la compréhension orale et le repérage des spécificités de l’oral, il est tout à fait possible de la combiner à d’autres ressources également développées à partir de corpus oraux telles que CLAPI-FLE, déjà mentionnée, FLEURON[3], FLORALE[4] ou INTERFARE[5]. Corail peut également être utilisé en accompagnement des manuels de FLE, soit en complément des activités proposées en cours, soit en l’intégrant à une démarche de classe inversée dans des approches aussi bien inductives que déductives. Ainsi, par exemple, on peut envisager de comparer un même acte (un refus direct et un refus indirect, une plaisanterie courte et une plaisanterie en plusieurs tours de parole, un remerciement renforcé et un remerciement sarcastique, une acceptation enthousiaste et une acceptation plus neutre, etc.), dans deux situations différentes, et de faire inférer les raisons qui sous-tendent les divers choix langagiers et prosodiques des locuteurs, afin de sensibiliser l’apprenant à l’importance des variables situationnelles et à la construction collaborative de l’interaction. Il est également intéressant de proposer des comparaisons entre de vraies interactions et des dialogues de manuel (ETIENNE & DAVID 2020), dans l’objectif de réfléchir aux différentes phases de structuration et négociation nécessaires à la réalisation d’une action langagière. Enfin, l’étude en parallèle des valeurs pragmatiques des marqueurs de l’oral et des usages (dé)conseillés à l’écrit et l’élaboration, par l’apprenant, de ses propres outils de synthèse contextualisés présentent, face aux fiches aide-mémoire toutes faites, l’avantage de rendre l’apprentissage significatif et d’encourager, en même temps, la métacognition et, corollairement, l’autonomie de l’apprenant.
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[1] Voir, par exemple, GÜLICH & KOTSCHI 1983, SCHIFFRIN 1987, VINCENT 1993, HANSEN 1998, DOSTIE 2004, BEECHING 2002, ou RODRIGUEZ SOMOLINOS 2011 pour n’en citer que quelques-uns.
[2] http://clapi.icar.cnrs.fr/FLE/fiche_attenuateur_procedes.php
[3] Français Langue Etrangère Universitaire Ressources et Outils Numériques : https://fleuron.atilf.fr/
[4] Français Langue ORALE : https://florale.unil.ch/
[5] INTERagir plus FAcilement en REunion : http://icar.cnrs.fr/interfare/
Per citare questo articolo:
Carmen ALBERDI, Carole ETIENNE, « Aider l’apprenant à parler en interaction, du coup comment plaisanter ou refuser ? », Repères DoRiF, n. 28 – Entre le théorique et l’expérientiel : l’oral en didactique du FLE. Questionnements et perspectives, DoRiF Università, Roma, novembre 2023, https://www.dorif.it/reperes/carmen-alberdi-carole-etienne-aider-lapprenant-a-parler-en-interaction-du-coup-comment-plaisanter-ou-refuser/
ISSN 2281-3020
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