Edgard ABESSO ZAMBO

 

Problématique de la correspondance sémantico-juridique droit civil – Common Law : cas de la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais

 

 

Edgard Abesso Zambo
Université de Yaoundé 1
abesso.edgard@gmail.com


Résumé

Le Cameroun fait partie des pays qui gèrent le privilège du bilinguisme officiel français/anglais ; et du bijuridisme droit romano-civiliste/Common Law. Cependant, aussi bien sur le plan linguistique que sur le plan juridique, l’on est loin d’un équilibre de répartition. L’anglais et le système Common Law existent dans deux régions sur les dix que compte le Cameroun, le français et le droit civiliste occupant les huit autres. Ainsi, le français et le droit civil occupent l’essentiel de la vie de la nation. Comme conséquence, la plupart des actes, aussi bien sur le plan administratif, juridique, politique, économique que culturel sont rendus en français et, lorsque nécessité se présente, traduits en anglais. Or, sur le plan juridique, la traduction de la langue n’est pas la traduction des systèmes juridiques. L’on assiste alors à un sérieux problème de correspondance du sens des termes du droit civil à la Common Law. Tel est le cas de la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais dont cet article se propose de faire un travail exploratoire de la problématique de ces correspondances sémantico-juridiques.

Abstract Cameroon is one of the countries that manage the privilege of official French/English bilingualism; and bijuralism, civil law/Common Law. However, both linguistically and legally, we are far from balanced distribution. English and the Common Law system exist in two regions out of the ten in Cameroon, with French and civil law occupying the other eight. Thus, French and civil law occupy most of the life of the nation. As a result, most administrative, legal, political, economic and cultural acts are rendered in French and, when necessary, translated into English. However, on a legal level, the translation of language is not the translation of legal systems. We then witness a serious problem of correspondence of the meaning of civil law terms to Common Law. This is the case of the bilingual version of the Cameroonian Code of Criminal Procedure, of which this article aims to do exploratory work on the problem of this semantic-legal correspondence.


Introduction

Le plus grand héritage de la présence des puissances étrangères au Cameroun est, à coup sûr, le bilinguisme langue française/langue anglaise, et le bijuridisme droit romano-civiliste- Common Law subséquent. Dans son parcours constitutionnel, le Cameroun connaîtra plusieurs types de régime avant de se stabiliser, aujourd’hui, sur la République unitaire qui, officiellement, adopte le français et l’anglais comme deux langues officielles d’égale valeur. Mais en réalité, il est question d’une égalité textuelle, car la réalité est une inégalité de forme dans la répartition de ces langues sur le territoire camerounais. L’une occupant 80% de l’espace au détriment de l’autre. Par conséquent, l’on assistera à une dominante sociale en raison du nombre de locuteurs et des nécessités de communication. Il en sera également de même, concernant les systèmes juridiques. La Common Law s’établit sur deux régions sur dix, soit 20% de l’ensemble du territoire, alors que le droit civil sera appliqué dans les huit autres régions. Au départ, il y a un faible besoin de traduction des textes en anglais. La plupart des locuteurs comprenant et s’exprimant en français. Mais le mouvement de revendication des populations anglophones[1] aura comme point, entre autres, le besoin de traduction de tous les textes officiels en anglais. Or, pour ce qui est des textes juridiques, il n’est pas question d’une simple traduction des langues, mais d’une réflexion plus étendue sur le fond des deux systèmes juridiques en présence. Les domaines ordinaires connaîtront un succès certain dans cet exercice de traduction. Tel, par contre, ne semble pas être le cas pour des textes juridiques, car ces derniers posent la problématique de la correspondance des termes juridiques, pour ce qui est de leur sens, du système droit civil au système Common Law, entraînant ainsi un grand échec dans l’application et l’interprétation du droit. Quels sont les différents cas de cette problématique ? Le présent article s’est proposé une tâche exploratoire sur ces phénomènes en prenant le cas précis de la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais, sur la base de la Théorie de l’interprétation ou Théorie du sens.

1. La Théorie de l’interprétation

La Théorie de l’interprétation, ou Théorie du sens, souvent encore désignée par « Théorie de l’Ecole de Paris », a été définie et établie par Danica Seleskovitch et Marianne Lederer. Elle repose sur un principe essentiel, celui selon lequel la traduction n’est pas un travail sur la langue, sur les mots, c’est un travail sur le message, sur le sens. Selon les tenants de cette théorie, qu’il soit question d’une traduction orale ou écrite, littéraire ou technique, l’opération de traduction doit toujours comporter deux grands volets : Comprendre et Dire. C’est dire que la traduction n’est pas une opération linéaire de l’esprit, mais une succession d’opérations mentales allant de l’observation du texte ou terme à traduire, sa compréhension réelle et contextuelle, puis la reformulation qui consiste à dire autrement, dans une langue cible, ce qui a été dit dans une langue source. C’est, en quelque sorte, une opération de déverbalisation, après avoir compris, de reformuler une idée.

C’est dire que la compréhension et l’expression commande pour le traducteur, l’acquisition et la possession des savoirs aussi bien de la langue du texte, la compréhension du sujet, la maîtrise de la langue de rédaction et, bien entendu la méthode finale consistant à la recherche d’un meilleur aboutissement de l’opération, dans les équivalences et les correspondances sémantiques. C’est dans ce sens que Herbulot Florence (2004 : 308), citant Jean Monnet, dans la préface de Danica Seleskovitch relève :

L’interprète recrée le discours qu’il vient d’écouter en prenant quelques notes, mais qu’il ne peut avoir mémorisé sur le plan des mots. Son action, pour être efficace, ne peut pas s’exercer sur le plan des mots, sur le plan de la langue, mais sur le plan du sens ; et il doit fournir un message équivalent, pour obtenir le même résultat, produire le même effet.

Une illustration du danger qu’il y a à ne pas comprendre pour mieux dire est faite par Florence Herbulot, lorsqu’elle présente le scénario ci-après :

Le diplomate sort d’une délicate séance de négociation, quelque part dans un pays en proie à la guerre : les Balkans, peut-être.
Le journaliste de la radio est là, micro braqué, toutes questions dehors : « Pouvez-vous nous dire comment se sont passées, comment ont marché les négociations ? » – « Oh, quite well, in fact, despite a few bombs along the road. » (Le diplomate est anglophone, bien sûr.) Comme notre homme est tout seul, il traduit la réponse pour sa chaîne, en « voice over », comme on dit en français : « Tout s’est bien passé, malgré quelques bombes le long de la route… »
Quelques bombes ? Quelques BOMBES ? Nous n’en croyons pas nos oreilles ; le journaliste non plus, d’ailleurs. Mais, puisque le négociateur le dit… Seulement, c’est incompréhensible : la négociation ne s’est pas déroulée sur la route, personne n’est sorti de la salle, on n’a pas entendu d’explosions, personne n’a rien annoncé de ce genre… d’où sortent ces bombes ? ? ?
Si ce journaliste avait été interprète ou traducteur – donc intelligent… – il ne serait pas tombé dans le panneau, parce qu’il aurait réfléchi.
Si le diplomate a dit « bombs », c’est probablement que la négociation a été difficile, délicate : « malgré quelques cahots, quelques à-coups, quelques problèmes » aurait fonctionné, aurait rendu compte du sens de cette phrase. Cela aurait été une parfaite équivalence.
Mais, au fait, le diplomate a-t-il vraiment dit « bombs » ? Eh bien, non… pas tout à fait. Prononciation défectueuse. Ce n’était pas un anglophone natif. Le diplomate a dit « a few BUMPS along the road » : les voilà, nos à-coups, nos cahots, nos problèmes. La route n’a pas été facile – elle l’est bien rarement dans les négociations entre factions armées en guerre…
Vous me direz que c’est élémentaire, que c’est de l’ambiguïté, que c’est de l’intelligence. Eh oui, bien sûr, mais c’est surtout l’essence même du travail de l’interprète : comprendre ce que l’auteur veut dire (et qui n’est pas toujours ce qu’il dit) pour pouvoir le transmettre. (HERBULOT 2004 : 308)

Cette scène narrative est un exemple palpable de la nécessité de la compréhension pour une meilleure reformulation de l’idée qui doit être traduite en d’autres termes, dans une autre langue. Le problème se pose avec plus d’acuité, lorsqu’on est dans un domaine spécialisé comme le domaine juridique.

2. Traduction et interprétation juridique

La théorie du sens s’applique dans des domaines divers, généraux ou spécialisés. D’un cas à un autre, les défis ne sont pas les mêmes. Certains domaines demandent plus de compétences que d’autres.

La traduction juridique consiste à traduire un texte qui a un rapport avec le droit, d’une langue vers une autre langue. Ces supports sont variés, allant des contrats, conventions, documents administratifs, textes de lois, textes doctrinaux, jurisprudentiels, etc. Cette traduction concerne donc tous les domaines du droit.

La traduction juridique demande, plus que toute autre traduction, une extrême précision. Ainsi, le traducteur juridique doit particulièrement veiller à respecter chaque nuance du texte source dans la langue cible, sans aucunement s’en éloigner, car un simple mot mal placé ou un signe de ponctuation inadapté peut en effet créer un glissement de sens qui peut avoir de lourdes conséquences en termes de responsabilité. En outre, le domaine juridique fait appel à des formulations et le recours à une terminologie spécifique opaque aux non-initiés. La traduction juridique demande par conséquent une compétence approfondie de ces différents codes, tant dans la langue source que dans la langue cible. La traduction juridique se caractérise enfin par une difficulté spécifique : celle liée à la transposition de certains concepts d’une langue à une autre. Il est régulier qu’une notion présente dans le droit d’un pays donné puisse ne pas avoir d’équivalent dans le droit du pays de la langue cible. Le traducteur juridique doit par conséquent avoir non seulement une connaissance des langues sources et cible, mais également maîtriser des concepts juridiques dans les deux pays ou les deux systèmes concernés. Bien que son travail ne consiste pas à adapter le texte aux lois du pays cible, il doit veiller à rendre le concept compréhensible au lecteur.

L’interprétation juridique a un même objet que la traduction juridique. Les deux systèmes se focalisent sur le même corpus qui est celui du droit. L’interprète juridique a les mêmes défis que le traducteur. Leur divergence réside sur le fait que le traducteur a par devant lui un texte à transposer d’une langue source à une langue cible. L’interprète, en revanche, exerçant surtout en situation d’oralité, a par devant lui des locuteurs qui s’expriment en temps réel ou en différé.

2.1. Quelques obstacles de la traduction juridique dans le domaine judiciaire

Lorsque l’on parle de traduction juridique, l’on évoque un éventail de domaines liés au droit, des contrats à la doctrine en passant par la justice judiciaire ou administrative. Le traducteur juridique, dans le domaine judiciaire, peut être confronté à plusieurs obstacles.

  • Le problème de certaines énonciations à appartenance juridique exclusive. Ces énoncés méritent d’être maitrisés juridiquement par le traducteur :

Certains mots n’ont de sens, dans une langue, qu’au regard du droit. Certains termes de la langue française n’ont, en français, d’autres sens que leur sens juridique. Le droit peut leur en donner un ou plusieurs, mais c’est du droit seul qu’ils tiennent leur sens unique ou multiple. Ils n’ont aucun sens en dehors du droit. Ils n’ont aucune autre fonction que celle d’exprimer, dans la langue commune, des notions juridiques. On pourrait proposer de les nommer « termes d’appartenance juridique exclusive ». (CORNU 2005 : 13)

C’est pour cette raison qu’un bon traducteur juridique gagnerait à avoir des compétences en droit.

  • Les actes judiciaires souffrent de ce qu’il convient d’appeler un certain formalisme qui peut se justifier par le besoin constant pour les acteurs judiciaires, d’apporter à l’acte une force suffisante afin d’asseoir l’autorité du pouvoir judiciaire. Le traducteur d’un tel acte devrait veiller à ce que ce même esprit subsiste dans la version traduite de son texte.
  • La problématique de l’absence de la synonymie dans le langage judiciaire. En effet, le domaine judiciaire est plein de termes parasynonymes. Ces derniers ne sont pas interchangeables dans des énoncés. Par conséquent, le traducteur doit être sûr de n’avoir pas donné un équivalent erroné dans la traduction. Les termes suspect, prévenu, inculpé, accusé, se réfèrent à une même personne : le mis en cause. Mais ils ne sont pas interchangeables dans les énoncés. Par ailleurs, il peut arriver que certains de ces termes existent dans une langue, mais pas dans une autre.
  • Le problème des locutions consacrées. Le droit a adopté certaines locutions consacrées ayant une valeur juridique appropriée. Leur traduction dans une langue cible peut avoir pour conséquence la dénaturalisation de leur valeur juridique consacrée. Parfois il devient nécessaire de les conserver sous la forme de la langue source. C’est le cas des locutions attendu que, considérant, etc. En les traduisant par exemple en anglais, l’on perd leur valeur narrative ou énumérative existant dans la motivation en fait et la motivation en droit.

2.2. La correspondance sémantico-juridique

Nous appelons « correspondance sémantico-juridique », le transfert de sens qui s’opère dans la traduction et qui consiste à se rassurer que le sens du terme juridique d’un système juridique donné est le même que dans la langue cible.

La sémantique est une branche de la linguistique dont l’objet est l’étude du sens des mots. Cela peut sonner aussi simple, mais la notion de sens n’est pas moins complexe, tant les paramètres de changement de signifiés peuvent apparaître, de même que la pluralité de sens selon le contexte. Ainsi, on peut avoir un contexte culturel dans lequel le mot est l’élément d’une langue qui a ses propres codes de description du monde. De même, l’on peut avoir un contexte syntaxique où le mot est associé à un ensemble de mots qui influencent sa signification dans la phrase. Enfin, le contexte stylistique dans lequel le mot peut révéler diverses significations en fonction de l’emploi que l’on en fait. C’est dans ce sens que l’on parle des notions de sens abstrait, sens figuré ou polysémie.

Les mots sont régis par aussi bien la polysémie interne que la polysémie externe. La polysémie interne :

(…) est au départ toute simple. Il y a polysémie interne lorsqu’au regard du droit, dans un système juridique donné, un même terme peut revêtir, dans l’usage actuel, deux ou plusieurs sens distincts. Il importe peu que tous soient propres au droit ou que certains soient aussi dans l’usage courant. Pour qu’un terme soit un polysème juridique, il faut mais il suffit qu’à un seul signifiant correspondent, au regard d’un même système de droit, au moins deux signifiés distincts, potentiellement en concurrence. (CORNU 2005 : 89)

Ici, la gestion des complexités liées au sens est totalement interne au système juridique en présence, ou entre deux systèmes juridiques.

Dans la polysémie externe, le mot a un sens dans le langage courant. Une fois dans le domaine du droit, ce mot change de sens.

C’est le cas des termes comme absence. Dans le langage commun, c’est le « fait, pour une personne, de n’être pas là où elle aurait dû se trouver ». Par contre, dans le domaine du droit, l’absence renvoie à une « situation de l’individu dont on ne sait s’il est vivant ou décédé, faute de nouvelles de lui depuis qu’il a cessé de paraitre chez lui, situation qui correspond, selon les cas, soit à une supposition de vie (absence présumée), soit à une présomption de décès (absence déclarée) » (CORNU 2005 : 81).

De même, le mot fruit, renvoie à un « produit du végétal qui vient après la fleur ; plus généralement produit de la terre ». Par contre, en droit, le fruit renvoie au revenu des biens (CORNU 2005 : 82).

L’on pourrait également prendre le cas du mot mystique qui renvoie à une « dévotion, une contemplation d’une extase fondée sur une union mystérieuse avec Dieu ; relatif aux mystères de la foi ». En droit, il est question d’une « espèce de testament présenté clos, cacheté et scellé au notaire » (CORNU 2005 : 82).

En somme, la correspondance sémantico-juridique veille à ce qu’il y ait une équivalence de sens juridique du terme pris extérieurement à un système juridique dans une langue donnée, à une autre langue cible. Elle évite des faits de faux amis dans la traduction.

Qu’en est-il donc de la version bilingue français-anglais du Code de procédure pénale camerounais ?

3. Une approche exploratoire des problèmes de correspondances sémantico-juridiques dans la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais

3.1. Présentation de la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais

La version bilingue du Code de procédure pénale camerounais, objet de notre corpus, est un produit de la Coopération Cameroun/Union Européenne, Programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’Homme, Phase 2 du Ministère de la Justice camerounais, année 2005.

Dans sa page d’avertissement, on peut lire : « Le présent Code est une reproduction fidèle du Journal Officiel, numéro spécial du 18 octobre 2005 présentant toutes les garanties d’authenticité », puis, en anglais : « This Code is an exact reproduction of the special issues of the Official Gazette of 18th october 2005, the authenticity of which is guaranteed ».

Il est le produit de la loi No 2005/007 du 27 juillet 2005 et est constitué de 17 titres, 13 chapitres, 747 articles, 591 pages, l’index alphabétique et analytique compris.

Précisons que la version source c’est la version en français, qui est traduite en anglais.

Plusieurs problèmes de traduction ont jalonné ce texte de loi dont l’importance n’est plus à signaler dans le domaine de la procédure judiciaire, notamment pénale.

En raison de la taille de notre recherche – qui n’est qu’un article – nous n’avons pas la prétention de relever tous les problèmes de correspondance sémantico-juridique. Nous nous contenterons d’en relever quelques échantillons pris au hasard dans ce code.

  • Sur les termes prévenu et accusé

Le prévenu est toute personne qui doit comparaitre devant une juridiction de jugement pour répondre d’une infraction qualifiée contravention ou délit et l’accusé, toute personne qui doit comparaitre devant une juridiction de jugement pour répondre d’une infraction qualifiée crime. (art. 9(3))

An accused shall be a person who must appear before the trial court to answer to the charge brought against him, whether in respect of a simple offence, a misdemeanor or a felony.

Dans le cas ci-dessus, le système de droit civil distingue les mis en cause en fonction de l’étape de la procédure, aussi bien que du type d’infraction. Ainsi, le prévenu est un mis en cause poursuivi pour avoir commis un délit, alors que l’accusé est un mis en cause poursuivi pour avoir commis un crime. Comme on peut le constater, le système Common Law ne fait pas de distinction entre l’accusé et le prévenu. Ici, accusé et prévenu sont tous désignés par le terme « accused ». Le traducteur a dû tronquer la disposition pour soigneusement éviter la traduction du terme accusé dans la compréhension du droit civil, ayant déjà utilisé « accused » pour désigner prévenu.

Dans le même ordre d’idée, la disposition ci-après présente le cas de la dénomination du mandat de justice.

  • Sur le terme mandat

Soit la disposition ci-après :

Le mandat de justice est un acte écrit par lequel un magistrat ou une juridiction ordonne :

    • La comparution ou la conduite d’un individu devant lui ou elle ;
    • La détention provisoire d’un inculpé, d’un prévenu, d’un accusé ou d’un témoin soupçonné de perturber la recherche des preuves ;
    • L’incarcération d’un condamné ;
    • La recherche d’objets ayant servi à la commission d’une infraction ou en constituant le produit. (art.11 (1))

A court process shall be a written document by which a magistrate or a court orders either:

    • The appearance or production of an individual before him or the court; or
    • The remand in custody of a suspect, a defendant, an accused, or a witness suspected of hindering the search for evidence; or
    • The imprisonment of a convict; or
    • The search of objects either used for or procured by the commission of an offence.

Constituent des mandats de justice : le mandat de comparution, le mandat d’amener, le mandat de détention provisoire, le mandat d’extraction, le mandat de perquisition, le mandat d’arrêt, le mandat d’incarcération. (art. 11(2))

The following shall constitute court process: summons, bench warrant, remand warrant, production warrant, search warrant, warrant of arrest and imprisonment warrant.

Nous avons dans l’article 11(1) le terme mandat de justice qui est dans un premier temps traduit par « court process », qui nous renverrait littéralement à « procédure judiciaire ». Puis, dans l’alinéa 2 du même article où l’on définit les types de mandat. Le même terme est traduit par « warrant », cette fois-ci. L’on serait tenté de s’interroger sur ce changement brusque de sens d’un même terme employé dans une même disposition. Le mandat est-il différent des types de mandat ?

L’on peut ainsi comprendre le problème du traducteur qui a cru faire une différence entre l’hyperonyme « mandat », comme acte par lequel une autorité judiciaire demande, par la force du droit une directive sur un mis en cause, et les différents hyponymes subséquents qui constituent autant d’objectif de cette procédure : amener, comparaître, détenir, arrêter, etc.

  • Sur les termes Parquet et Ministère public

Considérons la disposition ci-dessous :

 Les personnes résidant à l’étranger sont citées à parquet.
(2) le Ministère public transmet une copie sous enveloppe fermée au Ministère chargé des affaires étrangères, lequel le fait notifier sans délai au destinataire par voie diplomatique.
(3) Lorsqu’il existe une convention judiciaire entre le Cameroun et le pays dans lequel résident la personne citée, le Ministère public transmet directement copie sous enveloppe fermée à l’autorité visée dans la convention.

Summonses on persons residing abroad shall be served on the Legal Department.
(2) The Legal Department shall send a copy in a sealed envelope to the Ministry in charge of Foreign Affairs, which shall cause the summons to be served without delay on the addressee thought diplomatic channels.
(3) Where there is a judicial convention between Cameroon and the foreign country in which the person summoned resides, the Legal Department shall send the copy in a sealed envelope directly to the authority provided or in the convention.

Alors que le système de droit civil fait une bonne différence entre le Parquet et le Ministère public, le premier renvoyant au service qui abrite le Procureur de la République et ses substituts ; quant au second, il se rapporte à la fonction de défense de l’intérêt public. Ce rôle que les membres du parquet jouent dans les poursuites, notamment en matière pénale. On se serait attendu à ce que le traducteur utilise, à la place de « Ministère public », tout au moins, « Procecutor », qui dans le système Common Law pourrait être le relatif équivalent de Ministère public. « The Procecutor is the legal party responsible for presenting the case in a criminal trial against the defendant, an individual accused of breaking the law ». Cette définition, contenue dans le Code de procédure pénale, prouve bien que c’est la fonction de Ministère public.

  • Sur les termes enquêtes préliminaires et information judiciaire

Dans la section III, De l’enquête préliminaire, la version en anglais traduit « police investigation » :

Les officiers de police judiciaire et agents de police judiciaire procèdent aux enquêtes préliminaires soit sur leur initiative, soit sur instructions du Procureur de la République. (art. 116)

The judicial officers and agent shall carry out investigations either on their own initiative or on the instructions of the State Counsel.

L’enquête préliminaire est une phase bien définie de la procédure pénale en droit civil camerounais. C’est le lieu où l’action publique est mise en mouvement. Lorsque cela se traduit par le simple terme « investigations », l’on ne rend pas compte de ce contenu prépondérant de la procédure judiciaire pénale. Si le traducteur rend compte, comme on peut le constater à la section III, du vocable enquêtes préliminaires, par « police investigations », et que pourtant, dans le même code, titre IV, De l’information judiciaire, le même traducteur parle de « preliminary inquiry » (p.117), il se présente comme une confusion dans l’esprit. Le droit civil distingue bien ces deux phases de la procédure pénale. L’enquête préliminaire est une affaire des officiers et agents de police judiciaire. L’information judiciaire est un niveau supérieur qui concerne plutôt le juge d’instruction. Même s’il est toujours question des enquêtes ici, cela est bien distinct des enquêtes préliminaires. D’autant plus qu’au regard de l’article 142 du Code de procédure pénale, « l’information judiciaire est obligatoire en matière de crime, sauf dispositions contraires de la loi (2) Elle est facultative en matière de délit et de contravention ».

C’est dire qu’il y a un sérieux problème à ce que le système juridique Common Law traduise distinctement enquêtes préliminaires et information judiciaires.

  • Sur l’expression détention provisoire

Soit le chapitre IV, De la détention provisoire, dans la version en langue anglaise, on peut lire « remand in custody » (p. 167).

Dans le chapitre II de la page 484, on peut également lire de la détention provisoire des mineures. Curieusement, dans la version anglaise, on lit « temporary detention of juveniles ».

Il y a ainsi lieu de se demander si le système Common Law fait une différence entre la détention provisoire ordinaire (« remand in custody ») et la détention provisoire des mineures (« Temporary detention of juveniles »).

De même, comment expliquer qu’à l’article 704, on lise :

Le mineur de douze à quatorze ans ne peut faire l’objet d’un mandat de détention provisoire qu’en cas d’assassinat, de meurtre ou de coups mortels.

A minor of twelves to fourteen years of aga shall not be remanded in custody, except when he is accused of capital murder or of assault occasioning death.

« Juveniles » signalé dans le titre devient « minor ». Autrement dit, pourquoi n’avoir pas parlé de « Temporatly detention of minors » ?

Conclusion

Devrait-on parler, pour le cas du Cameroun, de traduire, pour des raisons d’équilibre entre les systèmes francophone et anglophone, les lois et règlements du français vers l’anglais ? Ou alors de produire ces textes dans les deux systèmes juridiques en présence qui sont le Droit romano-civiliste et la Common Law ? Tout, jusque-là, s’est passé comme s’il s’agissait de la traduction des langues. C’est dans ce sens qu’une version en langue anglaise du Code de procédure pénale camerounais sera produite, traduisant malheureusement les langues et non les systèmes juridiques. La conséquence immédiate est la problématique de la correspondance sémantico-juridique Droit civil/Common Law dans ledit document. Le présent article, se basant sur la théorie de l’interprétation, s’est fixé une approche exploratoire des différentes difficultés issues de la problématique de la traduction des systèmes juridiques. Si la taille exigée pour ce travail n’a véritablement pas permis d’avoir un grand nombre de relevés, l’on aura appris, à partir des cas produits, qu’il existe un travail de fond à faire pour rendre, dans ces différents codes, les deux systèmes juridiques en présence, plutôt que de procéder à une traduction linguistique, source de contresens et de faux amis. Ainsi, la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais mérite d’être rééditée en prenant en considération le facteur systèmes juridiques portés par les deux langues officielles que sont le français (droit civiliste) et l’anglais (Common law).

 

Références bibliographiques

CORNU, Gérard, Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 2005.

HERBULOT, Florence, « la Théorie interprétative ou Théorie du sens : point de vue d’une praticienne », META, n. 49 (2), 2004, p. 307-315.

SELESKOVITCH, Danica, Langage, langues et mémoire. Etude de la prise de notes en interprétation consécutive, Paris, Minard, 1975.

SELESKOVITCH, Danica, LEDERER, Marianne, Interpréter pour traduire, Paris, Les Belles Lettres, 5e édition revue et corrigée, 2014 (1re édition, 1984).


[1] Le mouvement anglophone revoie à une série de revendication des Camerounais des deux régions anglophones que compte le Cameroun. Entre autres, ces revendications avaient pour objectif d’exiger, à chaque fois, que les textes de loi publiés en français soient tous traduits en anglais.

 


Per citare questo articolo:

Edgard ABESSO ZAMBO, « Problématique de la correspondance sémantico-juridique droit civil – Common Law : cas de la version bilingue du Code de procédure pénale camerounais », Repères DoRiF, n. 32 Le droit e(s)t la langue, DoRiF Università, Roma, aprile 2025.

ISSN 2281-3020

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