Étienne QUILLOT

 

Normalisation de la terminologie et de la néologie de l’environnement : des qualificatifs et des formants d’intérêt variable

 

 

Étienne Quillot
Délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture
etienne.quillot@culture.gouv.fr


Résumé
Le dispositif interministériel français d’enrichissement de la langue française définit et crée des termes scientifiques et techniques. Il est à l’origine d’un ensemble de plus de 250 termes recommandés depuis 20 ans dans le domaine de l’environnement, offrant un aperçu suffisamment précis des qualificatifs et des préfixes les plus utiles en situation de création néologique pour décrire ce qui a trait à l’environnement, à la biodiversité, à l’écologie ou au climat.

Abstract
The French government’s system for enriching the French language defines and creates scientific and technical terms. Over the past 20 years, it has produced a set of more than 250 recommended terms in the environmental field, providing a sufficiently precise overview of the qualifiers and prefixes most useful in neological creation situations to describe concepts relating to the environment, biodiversity, ecology or climate.


 

1. Le contexte de la production terminologique institutionnelle en France

La France s’est dotée il y a plus de 50 ans[1] d’un dispositif interministériel qui a été chargé de contribuer au maintien et à l’enrichissement des vocabulaires scientifiques et techniques français, constituant les prémices d’une politique publique en faveur de la langue française. Ce dispositif, dit d’« enrichissement de la langue française », qui a pour mission « d’établir l’inventaire des cas dans lesquels il est souhaitable de compléter le vocabulaire français, compte tenu des besoins exprimés » et « de recueillir, analyser et proposer les termes et expressions nécessaires, notamment ceux équivalents à des termes et expressions nouveaux apparaissant dans les langues étrangères, accompagnés de leur définition » (PREMIER MINISTRE 1996), repose sur un réseau de commissions thématiques placées dans tous les ministères, visant à couvrir l’ensemble des champs de compétence et d’intervention de l’état. Les concepts nouveaux, identifiés, définis et nommés en français par les commissions ministérielles sont publiés au Journal officiel de la République française et sont d’emploi obligatoire pour les agents de l’administration, en lieu et place notamment d’équivalents étrangers, principalement d’anglicismes.

Les commissions ont la spécificité d’être composées de représentants[2] de l’état – c’est-à-dire, de personnes issues d’administrations, d’institutions et d’organisations, ayant un haut degré de connaissance et de compétence dans un secteur donné – et de personnalités extérieures – chercheurs, ingénieurs, techniciens, scientifiques, enseignants et autres spécialistes du domaine – qui sont les plus qualifiées pour identifier les besoins de vocabulaire dans leur cadre professionnel, qu’il s’agisse de l’apparition de notions nouvelles ou de la circulation d’emprunts à des langues étrangères pour désigner des innovations ou des réalités émergentes.

2. Le groupe d’experts de l’environnement et du développement durable

À la différence de la plupart des commissions de terminologie et de néologie qui composent le réseau du dispositif d’enrichissement de la langue française – une vingtaine, créées au cours des années 1970 et 1980 –, les travaux de celle qui traite du vocabulaire de l’environnement n’ont été pris en compte que bien plus tardivement après leur démarrage[3], car cette commission avait proposé une première série de termes en 1995 au moment où le dispositif suspendait ses travaux pour engager une révision générale de sa production. L’étude systématique de ce vocabulaire n’a repris qu’en 2005, avec la recréation d’une commission spécifique sous l’impulsion de la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), et fait depuis l’objet de publications régulières, représentant plus de 250 termes recommandés. Avant 2005, et ensuite de façon très marginale, une partie du vocabulaire a été prise en charge par d’autres groupes d’experts du dispositif dont ceux traitant de l’agriculture, de la biologie, des énergies ou des transports.

2.1. Les experts

La composition du « groupe d’experts Environnement et Développement durable », qui est chargé de la terminologie et de la néologie au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires[4], offre une large représentativité des services, des institutions et des organisations concernés par ce domaine.

Les besoins de l’administration en matière d’expression de réalités nouvelles à nommer, de même que ceux relatifs au vocabulaire déjà employé en leur sein, sont relayés par les représentants et les correspondants de toutes les directions ministérielles – de l’eau et de la biodiversité, de l’aménagement, du logement et de la nature, de l’énergie et du climat, de la prévention des risques, des affaires européennes et internationales – et par ceux des organismes d’orientation et de contrôle de l’action conduite en la matière, le Commissariat général au développement durable, d’une part, et le Conseil général de l’environnement et du développement durable, d’autre part.

Les trois principales agences traitant de l’environnement en France – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques et l’Office français de la biodiversité – sont également représentées.

La cohérence de la production linguistique avec celle des autres groupes du dispositif interministériel dans des domaines connexes est assurée, d’une part, par la présence de représentants des groupes qui couvrent le vocabulaire de l’agriculture, de la chimie et des matériaux (notamment le plastique), des énergies, des infrastructures, des transports, et, d’autre part, par les terminologues de la DGLFLF qui, au titre de leur mission de coordination du dispositif, font le lien avec l’ensemble des commissions et des institutions techniques et linguistiques francophones ou internationales[5]. Cette mise en cohérence de la production terminologique et néologique, dès le stade de l’étude des termes, a donc une influence certaine sur le choix des désignations et sur leur harmonisation, avant que la Commission d’enrichissement de la langue française, qui examine l’ensemble des termes produits dans le dispositif, n’assure un ultime filtrage précédant la publication au Journal officiel.

La force du groupe d’experts repose essentiellement sur la diversité et la compétence de la douzaine de spécialistes recrutés sur la base de leur expérience dans le champ de l’environnement, qu’il s’agisse de personnalités issues de la recherche, de l’enseignement, de l’industrie (par ex. la chimie), de services et d’organisations divers, du monde associatif et militant (par ex. Société nationale de protection de la nature) ou d’organismes indépendants, comme le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution.

Ils sont les auteurs directs de la majorité des termes recommandés dans le cadre du dispositif d’enrichissement de la langue française, qui sont étudiés dans cet article. Et pour les quelques termes qui ont été recommandés à l’initiative d’autres groupes d’experts du dispositif chargés de l’étude de domaines connexes à celui de l’environnement – l’agriculture, les énergies ou les transports –, ils ont été consultés et leur avis a été pris en compte.

2.2. Les critères de choix des désignations

Les experts du dispositif interministériel français, une fois la notion définie, doivent déterminer la désignation qui leur semble la plus appropriée compte tenu du sens retenu, mais aussi, celle qui leur semble la plus susceptible de s’implanter tant auprès des professionnels que du grand public.

Si une désignation ou même plusieurs désignations en français connaissent un début d’usage et qu’elles correspondent bien à la notion définie, les experts ne cherchent pas à forger un autre terme et les adoptent. En revanche, en l’absence de terme déjà en usage en français, ou lorsqu’un terme français connaissant un usage semble inapproprié, comme « blanchiment écologique » (voir ci-dessous), ou mal formé, comme « oxobiodégrable » (voir ci-dessous), ils forgent un terme en recourant notamment aux adjectifs et aux formants qui paraissent les plus adaptés pour décrire la notion.

3. Dire l’environnement en vert et dans toutes les couleurs

Vert n’est pas la seule couleur utilisée pour qualifier l’environnement et ses entités.

L’eau, ses aspects et sa qualité ont fait l’objet d’une catégorisation précise en 2017[6], dont une partie repose sur des adjectifs de couleur – « eau bleue », « eau verte », « eaux grises » et « eaux noires » –, sans que les couleurs ne se rapportent toujours à l’apparence de l’eau, « vert » renvoyant à la consommation de l’eau par les végétaux et « bleu » au recueil et à la circulation de l’eau dans les cours d’eau, en l’absence d’équivalent anglais pour ces deux cas. Pour « grise » et « noire », et « boue rouge » en 2021, c’est bien la couleur que prend l’eau qui a guidé le choix du qualificatif.

Comme l’eau, les trames – des réseaux de sites permettant la préservation de certains éléments environnementaux – font l’objet d’une catégorisation en fonction des couleurs, qui n’est pas toujours inspirée par l’anglais. On a ainsi déjà la « trame verte » (1998), qui relie des sites végétaux, et la « trame noire » (2022), où l’empreinte lumineuse est faible ou nulle. Les trames « blanche » (pour le silence), « bleue » (pour les milieux aquatiques), « verte et bleu » (milieux aquatiques et végétation) sont en cours d’étude.

À l’inverse, la catégorisation de l’hydrogène au moyen de couleurs, pratiquée dans certains milieux professionnels et à des fins de communication, que l’on trouve également en anglais, a été écartée par les spécialistes. Ainsi, en 2021, ils ont préconisé des termes plus descriptifs et plus explicites : « hydrogène à faible empreinte (en dioxyde de) carbone », en anglais blue hydrogen, « hydrogène d’origine fossile », grey hydrogen, « hydrogène d’origine renouvelable », green hydrogen, et « hydrogène naturel », parfois connu sous le nom d’« hydrogène blanc ». Si l’emploi des hydrogènes qualifiés de « bleu », de « gris » et de « vert » est déconseillé dans les recommandations officielles, le « blanc » n’est pas mentionné en l’absence d’un équivalent anglais.

Enfin, la couleur verte, celle de la végétation, fait toujours l’objet d’une réflexion poussée et n’est pas toujours retenue par les spécialistes. Ils ont néanmoins recommandé « zone verte » (2010) et « voie verte » (2011), pour lesquels l’image de la nature est explicite, ainsi que, du fait d’un début d’usage en français notamment dû à des calques de l’anglais, les termes « croissance verte » (2013), « économie verte » (2013), « finance verte » et « obligation verte » (2023). Ils ont défini « métier vert » (2024), largement en usage (c’est cet usage qui a motivé les experts et non l’anglais green job), mais ont estimé qu’il était prudent d’attendre pour apporter une définition à « métier verdissant » en raison de la difficulté de le distinguer clairement du premier. Ils ont aussi préféré « verdissement d’image » (2013) pour l’anglais greenwashing, estimant que le terme québécois « blanchiment écologique » renvoyait à une image inappropriée et partielle (on ne sait pas ce qui est blanchi) et à une autre notion technique. En 2024, la recommandation de « verdissement » – l’intégration d’objectifs environnementaux dans les politiques, les projets et les actions d’initiative publique ou privée de développement et d’aménagement – est venue conforter ce choix.

Mais on verra que, en l’absence de calque connaissant un usage qui semble difficile à contrer, ils retiennent d’autres adjectifs comme « écologique », « environnemental » ou « renouvelable », ainsi que l’élément de composition « éco- » (voir ci-après), car le vert est non seulement la couleur de l’écologie politique renvoyant aux partis et aux militants, celle des logos certifiant qu’un produit est d’origine biologique, mais surtout celle qui est employée abondamment et souvent abusivement à des fins commerciales pour donner l’illusion que le produit vendu serait plus naturel ou plus respectueux de l’environnement que d’autres.

4. Les qualificatifs retenus pour dire l’environnement

4.1. Climatique, climato-, du climat

On ne peut parler d’environnement sans évoquer le climat, qui n’en est qu’une composante, bien que le discours général entretienne parfois la confusion. Les experts doivent donc parfois apporter des définitions pour faire le départ entre ce qui relève soit de l’environnement soit du climat seulement comme les termes « migrant climatique » (2020), « finance climatique » et « obligation climatique » (2023), qui ont leur pendant « environnemental » ou « vert » (voir ci-dessus et ci-dessous).

Mais pour ces termes comme pour d’autres – « changement climatique » et « changement climatique anthropique » (2009), « maison bioclimatique » et « résistant, -e au changement climatique » avec son synonyme « à l’épreuve du changement climatique » (2013), « fiction climatique » et « potentiel de réchauffement climatique » (2019), « agriculture climato-compatible » (2021) –, l’équivalent anglais est toujours climate ou climatic.

 4.2. Durable définitivement préféré à soutenable

Très tôt, la traduction de l’anglais sustainable a fait l’objet de débats au sein du dispositif, cependant toujours tranchés en faveur de l’adjectif « durable ». À quatre reprises, des groupes différents du dispositif ont étudié les deux traductions possibles, compte tenu de la portée idéologique de chacune et de la notion à exprimer : d’abord, en prenant essentiellement en compte le point de vue économique, pour définir et nommer les développements « durable » et « non durable » (1994), puis, dans le contexte environnemental, avec une définition du « développement durable » (2009) cette fois-ci centrée sur la transition écologique, et dans le contexte agricole à propos de l’« agriculture durable » (2012). En 2006, un intergroupe réunissant des spécialistes de différents domaines avait aussi choisi de recommander « durabilité » (avec « caractère durable » pour synonyme), pour l’anglais sustainability, de préférence à « soutenabilité », qui d’ailleurs n’est ni déconseillé ni même mentionné dans la fiche publiée au Journal officiel.

Le contexte de recommandation était bien différent pour « mobilité durable » (2013) et « tourisme durable » (2023), des termes bien mieux implantés en français que les concurrents anglais sustainable mobility et sustainable tourism, pour lesquels il était surtout essentiel de donner une définition, notamment dans le cas du second pour le distinguer du « tourisme doux ».

Un dernier terme confirme la prévalence de « durable » sur « soutenable », puisque « mode durable » a été proposé en équivalence de l’anglais slow fashion (2020), certes sous l’influence de la traduction retenue pour fast fashion : « mode express » ou « mode éclair ».

4.3. Écologique, écologiste

L’adjectif « écologique »[7] est choisi en connaissance de cause par les spécialistes, sans influence de l’anglais, à l’exception des calques « mercatique écologique » (2000) et « connectivité écologique » (2024). L’équivalent anglais n’est jamais ecological pour la majorité des recommandations : « compensation écologique » (2010), « empreinte écologique » (2012 et 2021), « émulation écologique », en anglais green nudge (2013), « opérateur de compensation écologique », « ratio de compensation écologique » et « site naturel de compensation écologique » (2019), ou « serre écologique » (2021). Enfin, quelques termes n’ont pas d’équivalents en anglais dont « génie écologique » et « ingénierie écologique » (2015), ainsi que « corridor écologique nocturne » (2022).

Et dans une moindre mesure, l’adjectif « écologiste » peut constituer une solution, notamment pour « démocratie écologiste » (2022).

4.4. Environnemental, de l’environnement

Les experts recourent souvent à l’adjectif « environnemental », mais le font rarement pour proposer un équivalent à l’anglais environmental, à l’exception des termes « santé environnementale » (2022) et « équité environnementale » et son synonyme « justice environnementale » (2023).

La situation la plus fréquente d’emploi d’« environnemental » a pour objectif de définir un terme français déjà en usage. On retiendra « audit environnemental » (2010), « évaluation environnementale » et son synonyme « évaluation d’incidences sur l’environnement » (2010), qui désignent deux concepts distincts, et « internalisation environnementale » (2019).

On peut rattacher à cette situation plusieurs termes. « Migrant, -e environnemental, -e » (2020) a été étudié en même temps que « migrant, -e climatique », car il était important pour les spécialistes de distinguer les causes relatives au climat de celles relatives à l’environnement. « Inégalités environnementales » (2023) a été ajouté au programme de travail a posteriori, en contrepoint du terme « équité environnementale » qui répondait, comme on l’a vu, à un besoin de traduction. Et, enfin, le terme « génie de l’environnement » (2017) a été recommandé, non pas en raison de l’anglicisme environmental engineering, mais pour venir en complément des termes « génie écologique » et « ingénierie écologique » dont il diffère. On notera que « de l’environnement » a été préféré à l’adjectif, alors que c’est l’adjectif « écologique » qui qualifie l’ingénierie et l’autre « génie ».

Enfin, l’adjectif « environnemental » a été choisi parce qu’il semblait plus pertinent aux experts que l’adjectif « vert ». D’abord en 2010 pour « technologie environnementale », le synonyme du terme « écotechnologie », dont les équivalents sont clean technology et green technology, alors que les occurrences relevées avec Google dans l’internet en français étaient deux fois plus importantes pour « technologie verte » que pour « écotechnologie ». Et à nouveau en 2016, pour « diplomatie environnementale » et son synonyme « diplomatie de l’environnement », pour lesquels les experts ont précisé que l’« on trouve aussi le terme « diplomatie verte », qui n’est pas recommandé », rejetant donc résolument le calque de green diplomacy.

4.5. Renouvelable

L’adjectif « renouvelable », bien qu’attesté par le Trésor de la langue française depuis 1908 à propos du renouvellement de ressources naturelles, n’est retenu que pour deux termes recommandés, « électricité (d’origine) renouvelable » (2018) et « hydrogène d’origine renouvelable » (2021), green hydrogen ou renewable hydrogen en anglais, mais il a été préféré à chaque fois au concurrent « vert », qui connaissait pourtant un usage équivalent et aurait donc pu être par exemple pris en compte pour un synonyme. Si les arguments des experts étaient identiques – vert n’est pas la couleur de l’électricité et de l’hydrogène, et vert, même associé à l’environnement, est bien trop imprécis pour renseigner sur l’origine de la production de l’électricité et de l’hydrogène –, ils ont choisi de déconseiller l’emploi d’« hydrogène vert » parce que ce terme s’inscrit dans une grille de différentes sources d’hydrogène repérées par des couleurs dont l’image n’est jamais explicite.

5. Les formants retenus pour dire l’environnement

5.1. Les éléments de composition « dé- » et « re- » / « ré- »

Les actions visant à lutter contre les atteintes à l’environnement et la disparition des écosystèmes consistent souvent à défaire ce que l’homme à fait, ou à refaire ce qu’il a dégradé ou détruit. C’est donc naturellement qu’une série de termes est forgée à partir des éléments de composition « dé- » et « re- » / « ré- ».

Avec « dé- », on relève la « dépoldérisation » (2019), la « dédomestication » d’espèces (2022) ou la « désimperméabilisation des sols » (2023). Avec « re- » ou « ré- », on relève le « reméandrage » des cours d’eau (2013), la « réestuarisation » des estuaires (2019), la « recyclerie » d’objets usagés (2021) – dérivation du verbe « recycler », en concurrence avec le nom de marque « ressourcerie » –, le « remodelage de plage » et la « réalimentation de plage » (2021), des techniques mises en œuvre pour freiner l’érosion des littoraux, ou encore le « réensauvagement » de milieux et d’espaces d’où l’homme se retire (2022).

Ces pratiques émergentes ont la particularité d’avoir été imaginées et nommées d’abord en français, donc sans influence d’un emprunt ou d’un calque de l’anglais, à l’exception du « réensauvagement » (rewilding en anglais) qui a été retenu parmi plusieurs candidats dont « remise à l’état sauvage », « renaturation » ou « restauration (écologique) ».

On peut considérer ces préfixes comme assez productifs, y compris dans les cas où ils sont ajoutés à des mots absents du lexique attesté dans les dictionnaires de référence du dispositif[8], comme « estuarisation » ou « méandrage ». Cette série devrait d’ailleurs s’enrichir d’autres termes dont « renaturation » et « revégétalisation » actuellement étudiés par les experts qui doivent décider de leur synonymie ou établir ce qui les distingue.

5.2. L’élément de composition « bio- »

L’emploi du préfixe « bio- », qui ne renvoie qu’à l’adjectif « biologique », est le plus évident pour les experts qui ne cherchent pas à recourir à un autre préfixe ou adjectif, lorsqu’il s’agit pour eux de transposer un concept emprunté à l’anglais, désigné par un terme comportant ce même préfixe ou l’adjectif biological.

On laissera de côté les termes « biodiversité » et son synonyme « diversité biologique » (2009), « biocénose » et « biotope » (2010), ou « biométhane » (2018), pour lesquels il était indispensable de donner une définition normalisée faisant consensus. On notera cependant que « biodiversité » est le seul qui soit assorti d’un synonyme.

Les termes en « bio- » se répartissent actuellement entre ceux qui ont été recommandés avec un synonyme, publiés entre 2008 et 2011, hormis une exception plus tardive, et ceux qui n’en ont pas, les plus nombreux.

Le néologisme en « bio- » placé en entrée principale est la configuration la plus fréquente que l’on trouve dans « bioréhabilitation » – synonyme « dépollution biologique » – paru en 2008, « bioaccumulation » – synonymes « accumulation biologique » et « accumulation » – et « bioamplification » – synonymes « amplification biologique » et « amplification » –, parus en 2010. Inversement, on trouve « corridor biologique » et le synonyme « biocorridor », proposé dans cet ordre par les experts en 2011 parce que la forme développée leur paraissait plus immédiatement explicite. On relève plus récemment, en 2021, le terme « hydrogène d’origine biologique » et le synonyme « biohydrogène », dont la seconde position est justifiée par l’inscription de l’entrée principale dans une série de différents types d’hydrogènes.

Des termes formés avec « bio- » sont proposés sans synonyme dès 2009 avec « biodégradabilité », « biodégradable » et « déchet biodégradable », les définitions des deux premiers étant révisées en 2016. Puis viennent, en 2012, « zone critique de biodiversité », pour lequel il n’a été jugé nécessaire de lui adjoindre le synonyme « zone critique de diversité biologique » (voir ci-dessus), en 2013, « bioénergie » (définition révisée en 2018), en 2016, « biodégradation totale », « bioplastique », « biosourcé » et « oxybiodégradable » (avec le préfixe « oxy- », pour « oxygène », en vue de contrer le calque de l’anglais « oxobiodégrable »), en 2017, « bioturbation » et « réservoir de biodiversité », toujours sans synonyme, en 2018, « biogaz », et en 2022, « biocharbon ». Cette absence de synonyme ou de forme développée témoigne de la clarté que les experts attribuent à ce préfixe et donc de son caractère explicite pour les néophytes, sentiment linguistique partagé par l’Académie française et par la Commission d’enrichissement de la langue française qui sont amenées à se prononcer sur les termes.

5.3. L’élément de composition « éco- »

Le préfixe « éco- » est autant une « épine dans le pied » qu’un atout pour les spécialistes, puisqu’il peut renvoyer à cinq notions, dont il est l’abréviation, plus une :

  1. l’économie, soit la « réduction de la dépense dans la gestion des biens, en évitant les frais inutiles » et l’« ensemble des activités humaines et des ressources concourant à la production et à la répartition des richesses » (ACADÉMIE FRANÇAISE)
  2. l’écologie dans son sens premier, soit l’« étude des milieux où vivent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres entre eux et avec le milieu » (LE ROBERT 2023)
  3. l’écologie, soit le « mouvement visant à un meilleur équilibre entre l’être humain et son environnement naturel ainsi qu’à la protection de celui-ci » (LE ROBERT 2023)
  4. l’écologisme, soit la « doctrine, action des écologistes » (LE ROBERT 2023)
  5. l’écologiste, soit le « partisan de l’écologisme, de la protection de la nature, de la recherche de formes de développement respectant l’environnement » (LE ROBERT 2023)
  6. et, enfin, l’environnement (naturel), ou « ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) dans lesquelles les organismes vivants (en particulier l’être humain) se développent » (LE ROBERT 2023)

Cette ambiguïté du préfixe, qui trouble les experts, ne les dissuade pas totalement d’y recourir, d’abord pour les trois notions clés de l’environnement – « écosystème », « écotoxicologie » et « écotype » (2010) –, dont ils ne sont pas les inventeurs et pour lesquelles il était indispensable de donner une définition normalisée faisant consensus, celles des dictionnaires de langue générale ou même celles proposées par des sites spécialisés étant parfois approximatives, voire contradictoires.

Ils y recourent ensuite lorsque les notions concernées renvoient simultanément aux sens 1 et 6, notamment pour « écoconception » (ecodesign, green design et sustainable design en anglais), « écodéveloppement » et « éco-industrie » (2010), « écoconformité » (2011), « écobénéfice » (2012), « écoconduite » (2014), « écoéclairage », « écocalculateur » et « écocomparateur de projet » (2019). Les définitions de ces concepts font toutes référence à l’« environnement » et non à l’« écologie » dans les sens 2 à 5, et induisent toutes l’économie de ressources.

Ils forgent ou entérinent et définissent également des termes relevant spécifiquement du sens 6, avec en 2010, « écocertification » (environmental certification et green certification en anglais), « écotechnologie » (déjà évoqué à propos de son synonyme « technologie environnementale ») ; en 2011, « écocondition » et « écotaxe » (ecological tax, environmental tax et green tax en anglais) ; en 2012, « écocité » et « écoquartier » ; en 2013, « service écosystémique » ; en 2022, « écocide » (une « action ou [un] ensemble d’actions délibérées, commises alors même que leurs auteurs savent qu’elles auront des conséquences néfastes pour l’environnement […] »), simultanément à sa reconnaissance dans la loi, ou encore, la même année, « écoanxiété », le synonyme d’« anxiété écologique » (l’« anxiété liée à la crainte d’altérations, réelles ou envisagées, de l’environnement […] »). On retiendra qu’ils ont également forgé en 2009 le terme « écotechniques de l’information et de la communication », assorti du synonyme « éco-TIC », pour transposer l’anglais green IT ou green information technology.

On constate donc que les experts recourent régulièrement au préfixe « éco- » pour créer des termes, bien qu’ils aient toujours échoué à en donner une définition permettant d’en délimiter clairement les conditions d’emploi, sans jamais aboutir à une publication au Journal officiel. Dès 1995, un premier groupe d’experts avait tenté de le définir comme un « préfixe très largement utilisé pour affirmer une préoccupation ou une finalité environnementale ; ce préfixe est dérivé d’écologie […] ». Leurs successeurs avaient récidivé en 2008 décrivant un « élément de composition tiré du grec oïkos, « maison, habitat », entré dans la composition du mot écologie et servant, par extension, à créer des termes concernant l’environnement. Ainsi, le formant « éco- », servant à définir la science écologique, entre dans la composition de mots qui ont le plus souvent un rapport avec l’environnement plutôt qu’avec l’écologie (exemple : écocertification, écoconception, écogestion, écoresponsabilité, écotourisme…). » Cette nouvelle version n’a pas abouti à une recommandation officielle, non pour une raison de fond, mais pour une simple raison de forme, la Commission d’enrichissement de la langue française ayant invité les experts à la présenter comme une consigne d’emploi pour la création de termes, ce qu’ils tardent à faire. Avec le temps, on constate que cette dernière proposition, plus précise – confirmant le lien étroit avec la notion d’environnement – n’a pas été contredite par la recommandation de termes où « éco- » ferait référence aux deux sens de l’écologie, à l’écologisme ou aux écologistes.

Il convient de mentionner deux exceptions, marginales. La première est la marque déposée « écoserre », pour laquelle le dispositif a préconisé un terme commun plus explicite, « serre écologique », en 2021. La seconde est « démocratie écocentrée », le synonyme du terme « démocratie écologiste » (2022), concept proposé à l’initiative des spécialistes des relations internationales en équivalence de l’anglais ecocentric democracy et ecodemocracy, malgré la réprobation de ceux de l’environnement, et que la Commission d’enrichissement de la langue française a fini par adopter, cédant à l’obstination des premiers. Néanmoins, l’absence de néologismes forgés avec le préfixe « éco- », pour les notions qualifiées d’écologiques – « compensation écologique », « corridor écologique nocturne », « empreinte écologique », « émulation écologique », « génie écologique », « ingénierie écologique »… évoquées précédemment – confirme que le préfixe se rapporte essentiellement à l’environnement.

Et du côté des dictionnaires de langue générale, les mots attestés – par exemple « écoemballage »[9], « écoresponsable »[10] ou « écotourisme »[11] –, renvoient également à la notion d’environnement, bien plus englobante que celle de l’écologie, et confirment que le préfixe « éco- » permet la création de mots qui se rapportent à l’environnement.

6. Conclusion

On retiendra que si les qualificatifs « climatique », « durable », « écologique », « environnemental » et « renouvelable » ne recèlent pas d’ambiguïté et sont souvent adoptés par les spécialistes de l’environnement, notamment lorsqu’il s’agit d’adapter en français un emprunt à l’anglais, « vert » fait en revanche l’objet de réserves, probablement autant en dépit qu’en raison du succès qu’il rencontre dans le discours général et dans les communications commerciale et politique. Qualifier de « vert » un concept relatif à l’environnement le rendrait en définitive presque suspect.

Les nombreux termes forgés à partir des éléments de composition « bio- », « dé- », « re- » et « ré- » témoignent de la base solide qu’ils présentent pour la création néologique environnementale. Il en va de même pour l’élément de composition « éco- », autant utilisé par les spécialistes que par les néophytes ou dans les médias pour forger des néologismes, du moment que l’on admet qu’il se réfère à l’environnement et non à l’écologie. La production terminologique du dispositif d’enrichissement de la langue française fait la preuve que « éco- » est l’élément de composition de ce qui a trait à l’environnement, ce qu’entérinent déjà les dictionnaires de langue générale en enregistrant l’un après l’autre les termes qui passent du domaine spécialisé à l’usage courant.

 

Bibliographie

  • Académie française, Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition, https://www.dictionnaire-academie.fr/ (consulté les 26 et 27 décembre 2023).
  • Délégation générale à la langue française et aux langues de France, Liste des membres des collèges (ou groupes d’experts) du dispositif d’enrichissement de la langue française, 2023, https://www.culture.fr/FranceTerme/Le-dispositif-d-enrichissement-de-la-langue-francaise (consulté le 27 décembre 2023).
  • Délégation générale à la langue française et aux langues de France, FranceTerme, https://www.franceterme.culture.gouv.fr (consulté les 26 et 27 décembre 2023).
  • Le Petit Robert de la langue française, Paris, Éditions Le Robert, 2023.
  • Premier ministre, Décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 relatif à l’enrichissement de la langue française, modifié par décret n° 2015-341 du 25 mars 2015, Paris, Journal officiel, 2015.
  • Trésor de la langue française informatisé, ATILF – CNRS & Université de Lorraine, http://www.atilf.fr/tlfi (consulté le 27 décembre 2023).

[1]    D’abord, avec une décision du Premier ministre du 14 janvier 1970, qui demande aux administrations de constituer des commissions qui auront pour mission première de remplacer les anglicismes ; puis avec le décret n° 72-19 du 7 janvier 1972 relatif à l’enrichissement de la langue française.

[2]    Si le masculin est privilégié ici et ensuite dans le texte, les représentants et les personnalités contribuant au dispositif sont aussi bien des femmes que des hommes.

[3]    Des experts ont étudié la terminologie de l’environnement de 1984 à 1987, puis de 1993 à 1995.

[4]    Intitulé du ministère au moment du dépôt de cet article.

[5]    Principalement : Association française de normalisation, Bureau de la traduction du Gouvernement fédéral du Canada, Conseil de la langue française, des langues régionales endogènes et des politiques linguistiques (Belgique), Département linguistique de langue française de la Direction générale de la Traduction de la Commission européenne, Office québécois de la langue française.

[6]    Cette date et toutes les suivantes sont celles de l’année de la publication du terme par la Commission d’enrichissement de la langue française (intitulée Commission générale de terminologie et de néologie de 1996 à 2015), dans la section avis du Journal officiel.

[7]    « 1. Relatif à l’écologie. 2. Cour. Qui respecte l’environnement » (LE ROBERT 2023).

[8]    Il s’agit du Trésor de la langue française et de la 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française.

[9]    « emballage dont le recyclage s’inscrit dans le respect de l’environnement » (LE ROBERT 2023).

[10]  « qui fait preuve de responsabilité à l’égard de l’environnement » (LE ROBERT 2023).

[11]  « tourisme centré sur la découverte de la nature, dans le respect de l’environnement et de la culture locale » (LE ROBERT 2023).

 


Per citare questo articolo:

Étienne QUILLOT, « Normalisation de la terminologie et de la néologie de l’environnement : des qualificatifs et des formants d’intérêt variable », Repères DoRiF, n. 30 – Variations terminologiques et innovations lexicales dans le domaine de la biodiversité et du changement climatique, DoRiF Università, Roma, giugno 2024, https://www.dorif.it/reperes/etienne-quillot-normalisation-de-la-terminologie-et-de-la-neologie-de-lenvironnement-des-qualificatifs-et-des-formants-dinteret-variable/

ISSN 2281-3020

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