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Ilaria CENNAMO

 

COMPTE RENDU:  Analyse du discours et comparaison :

enjeux théoriques et méthodologiques

 

 

 

Ilaria Cennamo
Università degli Studi di Torino
Ilaria.cennamo@unito.it

 

VIEIRA DE CAMARGO GRILLO, Sheila, REBOUL-TOURÉ, Sandrine et GLUSHKOVA, Maria (dir.), Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques, EC Études Contrastives, vol.16, Peter Lang, Bruxelles, 2021.

 

Cet ouvrage vise à présenter une étude théorique et méthodologique concernant l’intérêt du champ de la comparaison dans le domaine de l’analyse du discours. Le volume rassemble des recherches provenant du Brésil, de la France et de la Russie qui se caractérisent par l’adoption de corpus diversifiés et qui, dans leur ensemble, témoignent de la coopération scientifique internationale établie entre les analystes du discours du Centre de recherche sur les discours ordinaires et spécialisés (Cediscor, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3) et du groupe de recherche Diálogo (dirigé par Sheila Vieira De Camargo Grillo, Université de São Paulo, et par et Dária Schúkina, Université Gornyi à Saint- Pétersbourg) dans le cadre du réseau Logos. Les quatre parties qui composent cet ouvrage concourent à cerner l’articulation entre analyse du discours et comparaison, à partir de l’identification de deux précurseurs du comparatisme : l’analyse comparative des langues et la littérature comparée (p.17). Les auteur.e.s ayant contribué à l’ouvrage se revendiquent notamment de l’approche bakhtinienne et de la pensée de Wilhelm von Humboldt, en convergeant dans l’adoption de deux axes théoriques et méthodologiques : le premier concerne la notion de culture discursive sous le prisme de laquelle on vise à faire émerger les régularités et les dissemblances qui relèvent du rapport entre cultures, langues et discours ; le deuxième est centré sur la notion de genre de discours en tant que tertium comparationis ou invariant (de nature verbale et extra-verbale) de la comparaison (p.22).

Au sein de la première partie de l’ouvrage (1. Analyse du discours comparative/ contrastive : éléments pour un cadre théorique) les auteur.e.s développent une réflexion sur la méthodologie de comparaison de discours produits dans des langues et des cultures différentes. Cette réflexion débouche sur l’importance liée à l’adoption d’un tertium comparationis en tant que base commune sur laquelle fonder l’analyse du discours « comparative/contrastive » (p.13).

Patricia von Münchow (L’analyse du discours contrastive, un voyage au cœur du discours, p.35) vise à proposer une définition de l’ « analyse du discours contrastive » (ADC) à l’aide des résultats obtenus dans le cadre de l’analyse d’un corpus de manuels scolaires d’histoire français et allemands, une étude qui s’appuie notamment sur les réflexions théoriques et méthodologiques qu’elle a menées au cours des vingt dernières années.  Les résultats présentés montrent l’intérêt lié à la prise en compte d’une certaine hétérogénéité discursive aussi bien sur le plan descriptif et interprétatif que sur le plan méthodologique et théorique. D’après l’auteure, l’hétérogénéité intratextuelle permet à l’analyste d’accéder au « non-dit » et au « peu-dit » (p.47) relevant des représentations les plus partagées au sein des communautés discursives concernées.

Sheila Vieira de Camargo Grillo (Fondements théorico-méthodologiques pour les analyses comparatives/ contrastives des discours : les documents officiels de l’éducation de base au Brésil et en Russie, p.55) présente une comparaison qui porte sur le genre discursif du « document officiel d’éducation », au Brésil et en Russie, afin d’aborder le concept de culture discursive. L’auteure développe ainsi une approche théorique pour l’analyse des spécificités culturelles et discursives en rapport avec l’éducation dans les deux pays. La construction d’une telle approche se fonde sur les textes de Bakhtine, Medvedev et Volóchinov ainsi que sur l’intégration de ces études avec les concepts de culture discursive développés par le Cediscor : le concept de culture discursive est ici compris en tant que l’ensemble des « manifestations discursives ou [des] matérialisations en énoncés et signes idéologiques des représentations sociales, entendues comme valeurs, croyances et significations acquièrent une relative stabilité dans les genres » (p.61).

Chantal Claudel (Comparer des genres de discours en français et en japonais : questionnements théoriques et méthodologiques, p.87) revient sur « la place centrale occupée par la notion de genre discursif dans les recherches comparatives » (p.88) en s’interrogeant sur les catégories d’analyse à retenir lorsqu’on compare le fonctionnement d’un même genre discursif produit dans deux langues et cultures différentes, telles que le français et le japonais. L’auteure vise à montrer que les catégories choisies (méta-cognitives, énonciatives ou pragmatiques) doivent être identifiées comme  « congruentes au regard des données, mais aussi, des communautés engagées dans la comparaison » (p.108).

Dans la deuxième partie (2. L ’articulation langue et culture) on associe à l’analyse du discours contrastive une approche interprétative de la culture, une mise en relation qui est au cœur également de la discipline scientifique de la « linguoculturologie », telle qu’elle est définie au sein de cette partie de l’ouvrage.

À partir du constat selon lequel l’entreprise du XXIe siècle se caractérise par un recours généralisé à l’anglais en tant que lingua franca (ELF), Geneviève Tréguer-Felten (L’analyse du discours contrastive et les discours professionnels, p.117) se penche sur l’intérêt que présente l’ADC pour « éclairer la transposition culturelle qui s’impose quand la démarche traductive vise reproduire sur le nouveau public l’effet voulu pour le texte source » (pp.117-118). Il s’agit d’une ADC à visée ethnographique qui concerne, tout particulièrement, le cas de la diffusion des documents (codes éthiques ou similaires) visant à convaincre les publics internes ou externes du bien-fondé des actions menées par l’entreprise. Dans la majorité des cas, l’entreprise émettrice n’appartient pas à un pays anglophone et propose ces documents sous la forme de bi-textes, à savoir des couples de textes bilingues et biculturels dont l’un résulte de la traduction de l’autre. L’analyse présentée, qui intègre dans sa démarche l’approche interprétative de la culture, vise à mettre en avant le lien qui existe entre discours professionnels et culturelles professionnelles (à savoir, les univers professionnels états-unien et français) et qui se manifeste dans le processus d’élaboration de ces documents.

La contribution de Darya Alekseevna Shchukina (Linguoculturologie : la comparaison entre les langages et les cultures, p.137) est centrée spécifiquement sur la « linguoculturologie », une discipline qui s’est développée en Russie au cours de ces dix dernières années au croisement des domaines de la communication, de la linguistique, de la culturologie et de la psychologie. L’objectif de ses recherches est de « révéler les oppositions fondamentales culturelles sur la base des données linguistiques, fixées dans la langue et qui se manifestent dans le langage » (p.143). Dans le cadre de cet article, l’auteure adopte la définition de « linguoculturologie » formulée par Zinovieva, Yurkov (2006 : 15) et décrit cette approche théorico-méthodologique, à l’aide des résultats obtenus dans le cadre d’une étude linguoculturologique du discours commémoratif de la fondation de la ville (p.150), en prenant l’exemple de Saint-Pétersbourg (Russie, 2003) et de la ville de Riga (Lettonie, 2001).

La troisième partie (3.Comparaison et genres de discours : la transmission des connaissances) concerne la comparaison de discours – écrits ou oraux – de transmission des connaissances en matière de vulgarisation et de divulgation scientifique ou de philosophie. Les contributions présentées au sein de cette partie de l’ouvrage ont le mérite de proposer des catégories d’analyse utiles à des fins de comparaison, telles que l’hétérogénéité énonciative, la notion de sphère d’activité langagière, et la didacticité. Les deux premiers articles sont issus des travaux de recherche menés par le groupe Dialogo sur la comparaison des discours de vulgarisation/divulgation scientifique dans différentes communautés ethnolinguistiques brésiliennes, portugaises et françaises (p.172). D’une part, Sandrine Reboul-Touré (Comparaison et catégories pour l’analyse du discours – L’exemple des blogs de vulgarisation scientifique, p.171) étudie un corpus de blogs de vulgarisation scientifique en français « dans l’aire culturelle de la France » (p.172) en proposant l’adaptation voire la création de catégories d’analyses pour l’étude de cette typologie de blog en tant qu’objet discursif. Elle s’interroge sur la reformulation intralinguistique, les hétérogénéités énonciatives, et l’hyperdiscursivité d’Internet comme notion qui rassemble « l’ensemble des discours reliés à un discours source par différentes marques technologiques » (p.184) en prenant en compte également les « sphères d’activités langagières », et ce, au profit d’une opération de catégorisation des communautés discursives. D’autre part, Flavia Silvia Machado (Aspects de la divulgation scientifique dans les blogs brésiliens, p.201) analyse des blogs de divulgation de la science dont les auteurs, brésiliens, se situent dans différentes sphères de communication. L’auteure dresse ainsi une cartographie des sphères idéologiques à partir desquelles émergent les discours considérés. F. Machado a pu constater que les catégories identifiées par S. Reboul-Touré sont tout aussi productives dans le corpus brésilien, tout en mettant en avant la présence de différents rapports dialogiques hypertextuels ainsi que différentes manifestations de la bivocalité au sein de son corpus.

Les dimensions de la didacticité et de la pédagogie sont au cœur des deux contributions suivantes : celle d’Urbano Cavalcante Filho (Traces de didacticité dans la vulgarisation scientifique : une analyse dialogique- comparative du discours de Ciência Hoje et de La Recherche, p.221) et celle de Daniela Nienkotter Sarda (Philosophie Magazine et Filosofia Ciência & Vida : un support pédagogique et un outil d’interprétation de l’actualité médiatique, p.247). U. Cavalcante analyse  dans une perspective dialogique bakhtinienne et comparative les traces de didacticité (p.221) matérialisées dans les énoncés brésiliens et français de vulgarisation scientifique issus des revues Ciência Hoje (SBPC) et La Recherche (Société d’éditions scientifiques). Sur la base du repérage d’indices de didacticité dans leurs dimensions situationnelles, fonctionnelles et formelles (p.233), cette recherche concerne le fonctionnement des opérations langagières de didacticité (p.227) de définition, nomination, exemplification, explication, de questionnement adressé au lecteur et de l’usage de la voix du spécialiste.

D. Nienkötter Sardá propose une autre comparaison franco-brésilienne en perspective diachronique centrée sur les discours de deux magazines de philosophie publiés : Philosophie Magazine et Filosofia Ciência & Vida. Le genre analysé est celui de « l’article/ dossier de couverture » dans le sens où ce que l’on prend en compte est non seulement l’article ou le dossier en soi, mais aussi « la façon dont ces articles / dossiers apparaissent dans les couvertures des magazines » (p.248), et ce, dans le but de montrer que le magazine représente à la fois un support pédagogique (pour les élèves, dans un cas, et pour les enseignants, dans l’autre) et un outil d’interprétation de l’actualité médiatique.

Maria Glushkova (Une analyse comparative des conversations médiatiques avec des scientifiques : le manque d’eau au Brésil et en Russie, p.269) présente une analyse comparative qui concerne notamment les énoncés oraux des conversations avec des scientifiques au Brésil et en Russie au sujet du manque d’eau. Ces conversations, d’intérêt pour l’étude de la formation du dialogue entre science et société (p.217), ont eu lieu lors d’émissions audiovisuelles de vulgarisation scientifique dans les deux pays. Les résultats issus de cette analyse comparative ont permis d’observer deux approches discursives et rhétoriques distinctes : si l’émission russe est axée notamment sur la centralité d’une médiation gouvernementale dans le dialogue entre les scientifiques et la société, et ce dans l’esprit d’un engagement collectif dans l’espace public (mondial et russe), le discours brésilien est, quant à lui, plutôt centré sur la sphère locale et domestique (qui part de l’État de São Paulo pour aborder ensuite le Brésil) et se base sur une conception plus passive de la science et de la société par rapport à la prédominance de la nature.

Pour conclure, la quatrième partie du volume (4. De la comparaison : ouverture théorique) vise à mieux cerner la place qu’occupe la comparaison dans le domaine des sciences du langage, en resituant cette notion au niveau des fondements théoriques et méthodologiques de l’analyse du discours, conçue en tant que discipline au carrefour des sciences du langage et des sciences sociales.

Sophie Moirand (Des exigences théoriques de la comparaison aux contingences d’un corpus particulier : « immigrationniste » dans un discours politique à vocation polémique, p. 295) développe une réflexion sur la valeur polémique de mots « construits » et de mots « associés », en se concentrant tout particulièrement sur les mots dérivés en – isme / iste dans des langues et cultures différentes. La notion de moment discursif est au cœur des comparaisons ici concernées : l’auteure souligne, en effet, que lors de la campagne présidentielle 2017, les dires rapportés ou représentés par la presse quotidienne nationale, à cet instant discursif précis des élections présidentielles de 2017, à savoir dix jours avant le premier tour, peuvent témoigner de « positions sociopolitiques différentes, positions que l’on peut retrouver dans d’autres langues / cultures de l’Europe des 28, et au Parlement européen – même si les partis politiques de l’UE ne sont pas superposables aux partis de chacun des pays » (p.306). Ces positions sociopolitiques peuvent être porteuses de  ressemblances et de différences qui « s’expliquent moins par la langue, comme le montrent les traductions simultanées en huit langues lors des débats au Parlement, mais par des positionnements politiques identitaires « partiellement » communs (attitudes face aux migrants), nés cependant d’une histoire politique et de cultures différentes, mais qui souvent se manifestent à propos d’un événement (attentats en Europe, élections) ou face à une crise » (pp. 306-307). Dans le cadre de cette contribution, l’auteure montre qu’à travers les dires représentés (analysés en articulant entrées lexicales, cadres énonciatifs et sémantique discursive), les médias construisent ou redessinent l’éthos pré-discursif du/des candidat.s aux élections, au fil des campagnes électorales nationales et européennes.

Florimond Rakotonoelina (Comparer pour comprendre la communication institutionnelle : analyses discursives des logiques communicationnelles des campagnes d’information et d’éducation, p. 329) propose une analyse du discours comparative basées sur des campagnes d’information et d’éducation institutionnelles publiées sur le web visant à cerner les enjeux sociaux de ce type de communication. La prise en compte du web comme dispositif de communication est au centre de cette étude qui se propose d’appréhender ces formes de communication institutionnelle à partir de leurs logiques pragmatiques et énonciatives. Pour reprendre les mots de l’auteure, il s’agit ici « de comparer non seulement les logiques pragmatiques selon les différents domaines » (l’interruption volontaire de grossesse et la lutte contre le terrorisme), « mais également les logiques pragmatiques selon les publics visés par ces domaines » (p.336). La même démarche, selon le domaine et selon le public, est adoptée pour la comparaison des logiques énonciatives propres à aux instances d’énonciation (les institutions), s’appuyant sur deux autres corpus : l’un sur la prévention des violences contre les femmes, et l’autre sur la prévention contre l’alcoolisme. L’hétérogénéité des communications abordées, au croisement du discursif et du sociétal, concourt à resituer la comparaison comme « le fondement même des sciences humaines et sociales » (p. 345).


Per citare questo articolo:

Ilaria CENNAMO, « Compte rendu:  Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques », Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/ilaria-cennamo-compte-rendu-analyse-du-discours-et-comparaison-enjeux-theoriques-et-methodologiques/

ISSN 2281-3020

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