Jamila GUIZA
La marchandisation des langues étrangères en Tunisie : une réponse à l’économie mondialisée
Jamila Guiza
Université de Tunis El Manar-Tunisie
jamila.guiza@enit.utm.tn
Résumé
Les langues étrangères en Tunisie constituent une partie de la solution dans la conquête d’un espace mondial globalisé. Muettes sur leurs substrats culturels, éthérées, elles font partie de l’ensemble des objets qui permettent le confort de la libre circulation. Propulsées dans une économie de marché et obéissant aux lois de l’offre et de la demande, elles sont redevables de pertes comme de profits et relèvent de ce point de vue de la comptabilité de leur acquéreur. Dans ce passage d’une représentation identitaire à une conception matérialiste des langues, le locuteur tunisien, plurilingue intéressé et averti, défie le politique. Le temps n’est plus aux slogans ni aux idéologies mais à l’emploi.
Abstract
In Tunisia, foreign languages are but a necessary tool in the conquest of a globalized world. Stripped of their inherent cultural baggage, languages are now viewed as a means to climb the social ladder. Analyzed in economic terms, language learning is no longer considered the first step towards language acquisition but instead as a financial investment fundamental in growing one’s economic – rather than cultural – capital. In shifting from an identity conception to a capitalistic conception of languages, the multilingual Tunisian youth challenges the political power, predictions, and fatalism. The time for ideals is over, job security is the priority.
1. Quelles langues en Tunisie face à la mondialisation ?
Depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à l’avènement de la révolution en 2011, le clivage idéologique entre les traditionalistes conservateurs (nationalistes et/ou panarabes), partisans d’une arabisation totale du système éducatif et les modernistes progressistes, nationalistes, plutôt francophiles ou plutôt arabophiles, a eu pour effet de transposer le conflit entre arabité, islamité et occidentalité au conflit entre les langues arabe et française.
L’instrumentalisation politique de ces langues par leur idéologisation conduit à une grave fragilisation du système éducatif. Le bilinguisme nettement déséquilibré entre régions, quartiers et familles, cristallise le sentiment d’acculturation des francophones qui constituent l’élite, et des arabophones qui accèdent difficilement aux postes de responsabilité. Les liens sociaux se disloquent et les revendications de nature identitaire creusent le lit de tensions déjà en mouvement. Si l’arabisation du système éducatif en 1975 permet de juguler certaines d’entre elles en arabisant la philosophie, l’histoire et la géographie, elle ne pourra constituer qu’une réponse de surface. Instituée dans l’urgence, cette réforme[1] de l’enseignement continue à osciller entre l’abandon du français et son maintien. En 1990, une autre réforme verra le jour mais les effets cumulés de politiques éducatives le plus souvent bicéphales et incohérentes auront laissé des séquelles profondes. La problématique de l’enseignement en français ou en arabe des disciplines scientifiques n’est pas réglée. Le calcul, les sciences de la vie et de la terre sont en arabe jusqu’au collège puis soudainement en français à partir du lycée avec l’économie, la gestion et la physique-chimie. Le manque de maîtrise des langues contribue à confondre la pensée qui ne sait plus raisonner. Désormais, le taux d’abandon scolaire[2] et d’illettrisme menace les rouages d’un secteur économique déjà déstabilisé face aux exigences de compétitivité imposées par la mondialisation.
A partir de 2011, l’islamisation d’une partie de la classe politique infléchit de nouvelles alliances géopolitiques. La nation se déchire autour d’emblèmes et de symboles identitaires aux appartenances radicalement différentes entraînant du même coup une cascade de bouleversements sociaux, culturels et économiques. Le taux de chômage est en hausse, l’inflation menace l’équilibre financier de centaines de milliers de familles (Voir tableaux ci-dessous), la classe moyenne de la population s’affaisse, la pauvreté augmente et la corruption est galopante. C’est la porte ouverte à l’émigration clandestine et à la fuite des cerveaux. Tout le monde aspire ailleurs à des lendemains meilleurs.
Dans ce contexte, l’importance des langues étrangères devient cruciale mais l’état n’a plus les moyens de faire face à la déliquescence de l’école publique, rongée par tant d’années de dissensions politiques ; divisé en interne entre libéraux et socialistes, il acte ou encourage officieusement l’émergence massive d’établissements privés (scolaires et universitaires) où l’anglais est renforcé et le français prime. Les Instituts de langue rattachés aux missions culturelles étrangères (Institut français de Tunisie, British Council, Amideast, Instituto Cervantes, Goethe Institut, Centre de langue turque Yunus Emre, etc.) prospèrent et attirent une clientèle nombreuse, soucieuse de pallier les carences de l’enseignement étatique du français, de l’anglais et de toutes les autres langues étrangères. Des offres publicitaires pour l’enseignement de l’allemand et de l’italien indexées sur les destinations migratoires préférentielles restructurent la dynamique concurrentielle entre le français et l’arabe, née de la colonisation. Face à l’hégémonie de l’anglais d’une part et à l’offensive de nouvelles langues d’autre part, le français vacille mais tente de résister. Le projet bourguibien d’une école bilingue arabe et française, ouverte sur les autres langues étrangères, égalitaire et gratuite pour tous s’effondre.
Ces effets de chaîne contribuent à modifier le rapport des acteurs sociaux aux langues. La primauté est accordée à leur valeur marchande dans une économie mondialisée. Elles constituent une monnaie d’échanges que les pays d’accueil font fructifier hors sol et une assurance vie professionnelle à laquelle parents d’élèves et étudiants souscrivent avec peine mais par calcul conscient.
2. Relation aux langues étrangères : l’idée de la « bonne langue »
Les spéculations autour de l’importance d’une langue étrangère par rapport à une autre sont liées à l’accès à l’employabilité et à la mobilité internationale (études à l’étranger/émigration). L’intérêt accordé à l’étude d’une langue est proportionnel aux opportunités professionnelles qu’elle offre. C’est un placement. De là se pose la question des critères de choix d’une langue étrangère. Quelle valeur revêt telle ou telle langue sur le marché mondial ? Fait-elle partie des meilleures langues à acquérir ? Quelles caractéristiques techniques (linguistiques) offre-elle pour une acquisition optimale ? En même temps, la relation de défiance face à toute tentative de retour à l’impérialisme (occidental ou ottoman[3]) tend à hypostasier les langues et à réifier la culture (imaginaire, fantasmée ou réelle) qu’elles représentent. L’accumulation des revers de l’histoire fatigue et le brouillage identitaire auquel contribuent les trahisons politiques et religieuses, les instrumentalisations géopolitiques, les manipulations médiatiques de tout bord empêchent souvent la rencontre. La commercialisation de langues transformées en objets sans H/histoire/s paraît plus soutenable, entretenant l’illusion que les langues véhiculaires protègent de toute altérité. Inéluctablement, l’ombre des appartenances ambivalentes, des identités complexes et des mémoires refoulées surgit au détour de multiples désenchantements.
Ainsi, coincée entre la marche économique forcée vers l’ouverture et la compétitivité internationales et une peur résurgente de l’assimilation, la relation aux langues oscille entre logiques rationnelles et logiques émotionnelles.
Notre objectif est de montrer, à travers trois extraits d’articles de presse électronique tunisienne, respectivement publiés en 2000, en 2011 et en 2012 et rédigés par des citoyens tunisiens, ni journalistes professionnels ni experts, les valeurs représentatives qui sous-tendent les logiques concurrentielles entre les langues étrangères, en présence dans le champ social tunisien. Nous verrons en quoi les notions de calcul de risques (équilibre entre pertes et profits) et de responsabilité sociale (garantie de placement) participent à rationaliser et à légitimer l’adhésion à une langue étrangère. Nous analyserons également les lieux, plus souterrains, plus implicites, des effets d’une mondialisation qui troublent les loyautés, réclament des autorisations, proclament des rédemptions et se perdent ça ou là dans des plaidoiries défensives.
2.1. Une logique comptable
Afin de décider du maintien ou pas du français, en tant que « deuxième langue du pays », dans le système éducatif tunisien, l’auteur de cet article en évalue le degré d’utilité. Pour ce faire, il observe le terrain, propose l’inventaire de débits et de crédits de cette langue et calcule sa rentabilité au terme de 134 ans de présence en Tunisie.
La logique de cet exercice comptable relève des représentations suivantes :
- Corrélation entre niveau de langue, rentabilité et utilité : plus le niveau de langue des élèves, des étudiants et des enseignants augmente, plus il est rentable d’investir dans cette langue, plus elle est utile.
- Corrélation entre niveau de maîtrise d’une langue et utilité : plus les enseignants maîtrisent une langue, plus il est utile de l’enseigner : « Cela servirait à quoi de continuer à enseigner une langue que les professeurs eux-mêmes ne maîtrisent guère ? ».
- Corrélation entre usure du temps de la langue et utilité : plus la présence d’une langue étrangère est récente, plus elle est vivante, plus elle est utile : « Aujourd’hui donc, il a 134 ans. C’est beaucoup. Et on comprend qu’il soit, non pas malade, mais agonisant ! ».
- Corrélation entre usage social de la langue et utilité : plus une langue a de locuteurs, plus elle se démocratise, plus elle est utile : « le français, chez nous, a tout l’air d’être devenu la langue de l’élite…donc, excusez-nous inutile ».
- Corrélation entre niveau de difficulté de la langue et utilité : plus une langue est facile, plus elle est accessible, plus elle a de locuteurs, plus elle est utile.
La question de l’enseignement du français en Tunisie se déplace, en surface, du champ identitaire au champ commercial. Les représentations sur la langue française sont développées à partir d’un paradigme marchand[4] ; la langue figure comme un article de vente. Assimilée à un objet, elle a une durée de vie et peut donc devenir obsolète. Produit à usage difficile, elle ne s’adresse plus à une masse importante de consommateurs. Ses défaillances intrinsèques (agonisante, compliquée, élitiste et réservée aux quinquagénaires) impactent le rendement auprès des prestataires de service (enseignants) et des clients (apprenants). Pour l’auteur, le déséquilibre du rapport entre la dotation du système éducatif en ressources humaines chargées de la vente, le service rendu, le coût subi et le niveau de satisfaction du produit prouve son inutilité. Il est donc question de savoir s’il faut en suspendre la circulation, la plus-value escomptée n’étant plus présente.
Cette logique comptable aveugle l’argumentaire sur bien des dysfonctionnements du système éducatif. La perception essentialiste de la « bonne langue », entendue comme langue de « nature » utile, occulte la responsabilité des partenaires du système dans le processus d’enseignement-apprentissage et jette l’anathème sur la langue, indépendamment de la dynamique dans laquelle elle évolue. Toutes les questions autour du besoin crucial de formation initiale et continue des enseignants, des changements de programme, de l’innovation pédagogique sont passées sous silence. A cette vision désincarnée de la langue s’ajoute une autre conviction dans le discours de l’auteur : le changement de génération. Surmonter l’épreuve d’une langue ardue comme le français est une mission devenue selon lui quasi impossible. Autre temps, autre clivage, l’auteur souligne à travers le « Nous » des quinquagénaires et le « Eux » des plus jeunes que le français est passé d’époque. Le rapport à la difficulté n’étant plus le même dans la société actuelle, la langue étant compliquée, elle devient problématique. La proposition serait qu’on la remplace par une autre langue, à la hauteur des standards et des attentes de la clientèle scolaire.
La perte de valeur de la langue française en Tunisie, due en partie à son « caractère osseux », n’empêche pas sur un autre plan qu’elle puisse être appréciable. Belle mais inutile, elle se transforme en objet de nostalgie, en objet chéri par les quinquagénaires parce qu’elle fait partie de leur histoire, sorte de butin de guerre, hors contexte aujourd’hui parce qu’elle ne fait plus recette. Toutefois, la logique comptable s’arrête là où le cœur a ses raisons. Pour l’auteur, malgré tout, l’arabisation du système éducatif viendrait signifier l’enterrement d’une langue agonisante que quelques soins auraient peut-être permis de maintenir en vie. L’abandon de la langue française semble sonner comme un défaut d’assistance à objet en danger depuis 1973, soit depuis le projet d’arabisation du système éducatif tunisien et malgré la réforme dite Charfi[5], du nom du Ministre de l’Education Nationale qui l’a instiguée, réforme que l’auteur de cet article semble balayer du revers de la main.
2.2. Une logique pragmatique
Dans l’article précédent, la place du français, langue étrangère privilégiée, est mise en concurrence avec celle de l’arabe, langue maternelle. L’article présent, lui, articule la controverse autour des places respectives des deux langues étrangères, française et anglaise, dans le système éducatif tunisien.
L’argumentaire en faveur de l’anglais et au détriment du français repose sur la rationalisation des besoins suivants :
- Besoin de sécurité et d’autonomie : langue internationale, l’anglais permet de circuler partout dans le monde et en confiance.
- Besoin d’appartenance commune pour un projet commun : langue seconde dans la plupart des pays arabes, l’anglais permet de construire l’unité pour une meilleure homogénéité panarabe.
- Besoin d’employabilité : l’anglais permet d’accéder à un emploi dans tous les pays arabes alors que le français limite la population active à une émigration dans les pays arabes francophones.
- Besoin de désenclavement : le français isole. L’anglais permet le rayonnement et l’expansion.
- Besoin d’indépendance, de liberté : l’anglais permet d’affranchir la Tunisie de sa dépendance à la France.
- Besoin d’ouverture sur le monde : la mondialisation impose l’anglais comme seule véritable langue commune
- Besoin d’adaptation au monde : le français représente un frein à la marche vers le progrès.
Belle mais dangereuse parce que contre-productive, la langue française doit être reléguée à un autre rang. L’onirisme n’est pas de mise. Pour l’auteur, la « bonne langue » est celle qui nourrit les besoins fondamentaux de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’auto-accomplissement (Maslow). Indépendamment du projet politique d’avenir de la Tunisie, panarabe ou mondialiste, l’effacement du français au profit de l’anglais est un impératif et la question de la place des langues étrangères en Tunisie est suffisamment grave pour être débattue sur la place publique. On notera tout de même au passage que la langue partagée entre tous les pays arabes est d’évidence l’arabe. L’abandon du français ne serait-il pas plutôt une façon de tourner définitivement une page de l’Histoire ?
2.3. Une logique « morale »
Nous l’avons écrit plus haut, les places, positions et rôles des langues en Tunisie se définissent, se discutent et se disputent depuis les années 2011 sous la contrainte des urgences économiques, du taux de chômage à endiguer, de l’inflation à réduire et de la grogne populaire à contenir. Elles sont également agitées par le feu brûlant de l’actualité géopolitique. Malgré les calculs comptables, l’identitaire n’est jamais loin et les remous de l’Histoire peuvent refaire surface.
L’article ci-dessus pose ces enjeux. Le marché des langues impose une lecture critique dès lors qu’il engage une proximité à risque. Pour le français comme pour le turc, la mémoire coloniale fait force de rappel et il n’est pas neutre d’enseigner une langue largement consommée par un passé complexe.
De manière plus implicite, l’article fait le lien avec les slogans populaires de la révolution : « shoghl, horrya, karama watania » qui signifient « emploi, liberté, dignité citoyenne ». Faut-il vendre son âme pour quelques bouchées de pain ? C’est du moins ce que nous comprenons de « l’implication morale » qu’évoque l’auteure face à la décision d’introduire l’enseignement du turc dans les programmes scolaires.
Conclusion
La présence/absence des langues étrangères en Tunisie depuis son indépendance est tributaire des relations de proximité/distance politiques, géopolitiques, historiques, économiques, culturelles avec les pays. Toutefois, cette lecture pour être pertinente serait insuffisante à saisir la nouvelle lame de fonds qui submerge le marché des langues tunisien. Les problématiques redondantes d’islamité/arabité/occidentalité, modernité/tradition qui ont occupé la scène arabe et en l’occurrence tunisienne depuis le XIXème siècle, par instrumentalisations, par convictions idéologiques sincères ou opportunistes, soulèvent désormais peu d’enthousiasme populaire face à la peur du chômage qui menace. Le nouvel ordre mondial fait basculer les alliances autrefois jugées contre-nature avec certains pays et se marchandent, quitte à négocier avec ses propres options identitaires ou à user de double discours ou à fabriquer de nouvelles rationalisations pour se maintenir debout. Le pragmatisme l’emporte sur des revendications politiquement ou religieusement perçues comme correctes et si les langues étrangères, quelles qu’elles soient, constituent une porte d’entrée au royaume des affaires, il n’est pas de stratégies qui ne puissent bricoler ses arrangements intérieurs.
Dans ce contexte de mondialisation, c’est le rapport à la langue qui se transforme et le discours sur elle qui change. Instrument de pouvoir et de finances, la bonne langue est la langue gagnante, celle qui peut servir, se rendre utile, optimiser ses chances de succès, certifier son avenir. Retour à la mondialisation : le temps presse et la bonne langue ne s’encombre ni de culture ni de mémoire ni d’Histoire. Facile à acquérir, génératrice d’intérêts, exportable à souhait, la bonne langue n’a ni amis ni ennemis. Elle n’a que des intérêts.
Si le dilemme des langues jusqu’à la révolution se nourrissait essentiellement -dans une version de politique instrumentale – des blessures du colonialisme français ou s’il tentait– dans une version plus psychanalytique – de surmonter le trauma, il se déploie désormais dans une version plus froide de positionnement économique stratégique. Les jeunes générations connaissent généralement mal leur Histoire (Le président Ben Ali ayant fait le nécessaire pour saper les fondements de l’école, jugée menaçante pour l’équilibre d’une dictature) et l’histoire coloniale sonne comme une vieille musique que parents et grands-parents s’attachent encore à répéter. Les réseaux sociaux (YouTube, Instagram, Facebook, Tik Tok) prennent le relais. L’accès à un monde de faste, de technologies envoûtantes et de consommation rapide est instantané. Il est également anglophone. L’Eldorado se situe au-delà des frontières mais se vit virtuellement au quotidien d’une réalité plus amère. Les revendications changent de visage et la dignité prend d’autres couleurs, plus sonnantes et trébuchantes. Sur un premier plan, le passeport des langues étrangères n’a que faire des ratiocinations identitaires cuisinées dans une marmite à vapeur et dont on saurait de toute façon se sortir socialement au besoin. Le discours d’allégeance à l’islamité et à l’arabité n’a plus de secrets rhétoriques et l’usage de sa phraséologie permettra toujours de sauver la face. Sur un deuxième plan, plus secret, plus travaillé par l’inconscient collectif, la bonne distance est mère de prudence. Que les langues étrangères soient un passeport d’accès à l’émigration et au négoce avec l’Occident ou avec le Moyen-Orient n’empêchent ni le rejet ni même la haine de ce qu’ils représentent pour les siens et qu’on finit par adouber par loyauté. Sur un troisième plan encore, il y a du regret voire de la culpabilité pour les moins jeunes à quitter le français « langue de culture chère à nos cœurs » comme le partage l’auteur de l’article (Extrait 2).
Les langues étrangères en Tunisie constituent une partie de la solution dans la conquête d’un espace mondial globalisé. Muettes sur leurs substrats culturels, éthérées, elles font partie de l’ensemble des objets qui permettent le confort de la libre circulation. Propulsées dans une économie de marché et obéissant aux lois de l’offre et de la demande, elles sont redevables de pertes comme de profits et relèvent de ce point de vue de la comptabilité de leur acquéreur. Dans ce passage d’une représentation identitaire à une conception matérialiste des langues, le locuteur tunisien, plurilingue intéressé et averti, défie le politique. Le temps n’est plus aux slogans mais à l’emploi.
Bibliographie
AZOUZI Ammar, « Le discours publicitaire de la Tunisie actuelle ou « la foire aux langues » » in ELA. Etudes de linguistique appliquée, 2019/4, pp. 363-374.
BOUGHZOU, Khaled, « L’abandon scolaire en Tunisie : état des lieux, caractéristiques et perspectives », L’éducation en débats : analyse comparée, 2016.
DERIVRY, Martine, Les enseignants de langue dans la mondialisation. La guerre des représentations dans le champ linguistique de l’enseignement, Paris, Editions des archives contemporaines, Coll. PLID.
DUCHENES, Alexandre, « Marchandisation », Langage et société, 2021 (Hors-série), pp. 225-228.
SOUILEH, Emna, « L’enseignement du français en Tunisie est-il en décalage avec la demande sociale ? », Synergies Europe, n°13 – 2018, pp. 27-37.
[1] Le système éducatif tunisien a connu 3 grandes réformes :
– la réforme de 1959 dite Messâdi du nom de Mahmoud Messâdi, Ministre de l’Education Nationale (de 1958 à 1968) sous l’ère du Président Bourguiba;
– la réforme de 1975 dite Mzali, du nom de Mohamed Mzali, Ministre de l’Education Nationale (de 1969 à 1970 puis de 1971 à 1973 puis de 1976 à 1980) sous l’ère du Président Bourguiba;
– la réforme de 1990 dite Charfi, du nom de Mohamed Charfi, Ministre de l’Education Nationale (de 1989 à 1994) sous l’ère du Président Ben Ali.
[2] Khaled Boughzou (2016: 48) rapporte, en se basant sur les statistiques du Ministère de l’Education Nationale : « Le phénomène de déscolarisation a évolué considérablement depuis les années 1980 (…) pour dépasser le seuil critique de 100.000 après la révolution de 2011. ».
[3] L’arrivée au pouvoir du parti islamiste tunisien « Nahdha » en 2011 redistribue les cartes géopolitiques du pays. Un rapprochement politique et économique s’opère avec la Turquie d’Erdogan, réveillant les craintes d’une partie de la population d’un retour vers la domination de l’empire ottoman sur la Tunisie.
[4] Le même constat vaut pour les disciplines scientifiques. Ne pouvant supprimer ni les mathématiques ni la physique-chimique, le commerce des cours particuliers fleurit. Cette situation génère depuis une trentaine d’années de très forts conflits entre les syndicats, les parents d’élèves et le pouvoir en place.
[5] Troisième grande réforme du système éducatif tunisien instiguée en 1990 sous l’ère du Président Ben Ali.
Per citare questo articolo:
Jamila GUIZA, « La marchandisation des langues étrangères en Tunisie : une réponse à l’économie mondialisée », Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/jamila-guiza-la-marchandisation-des-langues-etrangeres-en-tunisie-une-reponse-a-leconomie-mondialisee/
ISSN 2281-3020
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