Jana ALTMANOVA, Emmanuel CARTIER, Silvia Domenica ZOLLO
Introduction
Jana Altmanova
Università di Napoli L’Orientale
jaltmanova@unior.it
Emmanuel Cartier
Université Sorbonne Paris Nord
emmanuel.cartier@lipn.univ-paris13.fr
Silvia Domenica Zollo
Università degli Studi di Napoli Parthenope
silvia.zollo@uniparthenope.it
Les conséquences du dérèglement climatique, dû au développement des activités humaines depuis le début de l’ère industrielle, sont l’objet d’une attention croissante à l’échelle mondiale, de la part aussi bien des scientifiques que de la société civile, en raison notamment des nombreuses inquiétudes qu’elles suscitent pour la préservation de la biodiversité. Les communautés scientifiques, politiques, institutionnelles et privées, jusqu’au citoyen, se saisissent du problème et proposent des solutions pour minimiser ou inverser le processus. Cette prise de conscience se manifeste, entre autres, par l’émergence et la diffusion de nouvelles terminologies dans une grande variété de discours (institutionnel, juridique, politique, médiatique, de vulgarisation, etc.).
À cet égard, biodiversité est emblématique : forgé en anglais à partir de biological diversity (RAKOTONOELINA 2020), biodiversity se développe dans le contexte scientifique puis, à partir de la Conférence des Nations Unies de Rio de 1992, le terme biodiversité (et ses traductions dans de nombreuses langues) se répand dans les discours des décideurs politiques, ensuite dans celui des médias et enfin des citoyens (REBOUL-TOURÉ 2019). Par ailleurs, la circulation des termes provoque inévitablement des variations lexicales et sémantiques, comme dans le cas de changement climatique ou dérèglement climatique qui sont utilisés par les experts dans les rapports du GIEC (rédigés en anglais, avec une traduction partielle ultérieure dans différentes langues), mais qui sont souvent remplacés par réchauffement climatique dans les textes de vulgarisation et dans le débat public (PARRENIN, VARGAS 2020). Cela est révélateur de l’orientation du concept en fonction des discours, qui a notamment pour conséquence la réduction de la complexité du phénomène (PAISSA 2018).
Bien que de nombreuses bases lexicographiques existent sur le sujet, la grande variété des types de discours qui traitent des sous-domaines de la protection de l’environnement – la biodiversité et le climat – représente un corpus qui mérite d’être davantage approfondi du point de vue lexical, terminologique et textuel. C’est à partir de ce constat qu’une recherche a été menée dans le cadre du projet franco-italien Galilée 2020-2022, « Variations et innovations lexicales dans le domaine du climat et de la biodiversité en français et en italien », mis en place par l’Université de Naples L’Orientale (Responsable scientifique : Jana ALTMANOVA) et l’Université Sorbonne Paris Nord (Responsable scientifique : Emmanuel CARTIER), visant à analyser les variations et innovations lexicales dans le domaine de la biodiversité et du climat, en français et en italien, à partir, entre autres, du corpus Bioclimat (ALTMANOVA, J., CARTIER, E., et alii, 2022). Une première exploration du corpus a permis de relever une importante créativité lexicale, notamment à partir de formants productifs comme bio-, éco- ou climato-, aussi bien en français qu’en italien. Ainsi bio-, dérivé du grec bios, dont le premier sens correspond à « vie/vivant », se charge aujourd’hui du sens « protection de la vie, de l’environnement », certainement par l’intermédiaire de biodiversité, comme dans bioproduit, bioconstruction, biogas. Construit à partir de la troncation de biologique, ce nouveau formant, qui émerge avec les emplois autonomes (le bio), se diffuse dans les dérivés et les composés lorsqu’ils s’appliquent à des domaines autres que la biologie. Une grande souplesse sémantique et une mobilité morphosyntaxique tout à fait remarquable en français et en italien semblent donc être déterminantes dans la productivité du formant bio-.
L’objectif de ce numéro est donc d’élargir cette réflexion à des problématiques textuelles, discursives et terminologiques plus générales, y compris dans une perspective bilingue voire plurilingue, à partir, entre autres, de plusieurs pistes de recherche, telles que la variation lexicale et terminologique en discours, la néologie lexicale et terminologique, les ressources lexicographiques et terminographiques, la normalisation et les politiques linguistiques dans le domaine de la biodiversité et du changement climatique.
Le numéro s’ouvre par l’essai de l’expert Ferdinando BOERO, « Biodiversité et changement climatique : de quoi parlons-nous ? », qui offre une réflexion passionnante sur les concepts de biodiversité et changement climatique en relation avec d’autres notions émergentes (métabolisme économique, capital naturel, décroissance, etc.) dans les domaines de l’économie bleue, de la transition écologique et de la zoologie. Selon BOERO, il ne suffit pas de consulter un dictionnaire pour comprendre le sens de ces mots : il faut interroger les experts en écologie (ou écologistes) qui ont le mérite d’avoir défini la nature et qui peuvent jouer un rôle politique et culturel capital pour la diffusion de bonnes pratiques dans la société.
Dans sa contribution intitulée « Le DiCoEnviro : découverte et représentation de structures terminologiques dans le domaine de l’environnement » Marie-Claude L’HOMME aborde la question de la prise en compte des aspects linguistiques des termes (par opposition à l’approche dominante en terminologie qui se focalise sur le plan conceptuel) dans le domaine de l’environnement. Elle décrit quelques choix théoriques et les grandes lignes d’une méthode guidant l’élaboration du DiCoEnviro, Dictionnaire fondamental de l’environnement (2023) et propose des pistes afin de mettre au jour la structure terminologique du domaine de l’environnement et de connecter les plans linguistique et conceptuel en s’appuyant sur la sémantique des cadres.
Micaela ROSSI, dans « Le pouvoir modélisateur de la langue : néologies métaphoriques dans les discours autour du changement climatique », se propose d’approfondir un phénomène de création néologique particulièrement évident au cours des dernières décennies, à savoir la formation de termes complexes à base métaphorique autour de la thématique du changement climatique. À travers l’analyse d’un corpus de presse, ROSSI fait une étude quantitative et qualitative concernant la présence de syntagmes tels que catastrophe climatique, tsunami climatique, lutte climatique, bataille climatique dans les discours publics autour du changement climatique. Ces expressions témoignent de métaphores conceptuelles sous-jacentes, susceptibles d’orienter l’opinion publique selon un cadrage précis : la guerre, l’apocalypse et le drame chacun ayant ses retombées dans la perception des citoyens, ainsi que dans leurs attitudes et comportements.
De son côté, Etienne QUILLOT dans « Normalisation de la terminologie et de la néologie de l’environnement : des qualificatifs et des formants d’intérêt variable » présente le travail de normalisation réalisé par le dispositif interministériel français d’enrichissement de la langue française dans la phase de création et de définition des termes scientifiques et techniques du domaine de l’environnement. À partir d’un ensemble de plus de 250 termes recommandés depuis 20 ans dans le domaine de l’environnement, il offre un aperçu suffisamment précis des qualificatifs et des préfixes les plus utiles en situation de création néologique pour décrire ce qui a trait à l’environnement, à la biodiversité, à l’écologie ou au climat.
L’article de Pascaline DURY – « Variations diachroniques dans le domaine de l’environnement, en français et en anglais, une étude basée sur corpus » – s’attache à décrire différents types de variation diachronique à l’œuvre dans un corpus bilingue (anglais-français) d’experts de l’environnement couvrant 14 années (2007-2021). L’accent est mis sur l’observation de quelques phénomènes en particulier, comme la multiplication de l’utilisation du formant « bio » par les auteurs du corpus, contrairement à « éco », et la dilution sémantique qui en résulte, mais aussi les changements de cooccurrents de certains adjectifs dits « transdisciplinaires du domaine ».
Sarah Nora PINTO et Sergio PISCOPO, dans « Analyse morphosémantique de formants significatifs dans les domaines de la biodiversité et du changement climatique en français et en italien », s’intéressent aux innovations lexicales dans le domaine de l’environnement, tant dans la langue courante que dans les domaines spécialisés. Ils mettent en évidence les éléments de formation transnationaux et transdomaniales qui contribuent à cette dynamique linguistique, en se concentrant sur les formants agri/agro-, climato– et carbo-, ainsi que les préfixes dé-, re-/ri-, et anti-, identifiés dans un corpus bilingue français-italien créé dans le cadre du projet Galilée.
Dans « Les notions de « transition écologique » et « transition énergétique » au prisme du discours institutionnel : entre variation et enjeux environnementaux », Camilla NAPPI analyse l’évolution conceptuelle et le fonctionnement discursif des notions de « transition écologique » et de « transition énergétique » dans les discours du ministère de l’Environnement en France entre 2007 et 2017. S’insérant dans le cadre de l’analyse du discours institutionnel, NAPPI montre dans quelle mesure les discours ministériels de la période concernée ont joué un rôle déterminant dans l’émergence, l’implantation et la diffusion des deux notions au sein des allocutions officielles de la période étudiée, aussi bien que dans le processus d’institutionnalisation en France des enjeux écologique et énergétique.
Par l’article intitulé « Le terme métaphorique passoire thermique : genèse, évolution, traduction », Rosa CETRO retrace la genèse du terme métaphorique passoire thermique, utilisé pour désigner les logements énergivores. Elle se propose, d’un côté, de retracer la genèse de ce terme et d’en suivre l’évolution et la circulation discursive dans différents corpus monolingues en français et, de l’autre, de vérifier quelles traductions du terme en anglais, en espagnol et en italien ont été proposées dans des corpus parallèles constitués à partir de textes plurilingues des institutions européennes.
Dans « Biodiversité et changement climatique : une analyse de leur présence dans le discours de la campagne présidentielle française de 2022 sur Twitter », Maria CENTRELLA s’intéresse à la présence et à l’impact des expressions biodiversité et changement climatique dans les discours des politiques durant la campagne électorale pour l’élection présidentielle française de 2022, spécifiquement sur le réseau social Twitter (aujourd’hui X). L’analyse des tweets des principaux candidats à cette élection présidentielle démontre l’importance que ces questions revêtent dans leur discours politique et quelle valeur sémantique est attribuée à la terminologie de l’environnement au sein des réseaux conceptuels propres à chaque candidat.
Dans la contribution intitulée « La terminologie du cuir et de sa durabilité : analyse d’un corpus », Martina ALÌ vise à relever les termes relatifs à la durabilité dans l’industrie du cuir, à partir de la constitution d’un corpus spécialisé qui permet de relever les termes objet de cette altération/modification sémantique aussi bien en italien qu’en français.
Dans « Créations néologiques autour du vocabulaire de la transition énergétique. Le profil sémantique et lexical du terme ‘carbone’ », Sabrina AULITTO s’intéresse aux nouvelles formations lexicales et l’enrichissement du vocabulaire lié à la transition énergétique en France de 2006 à 2023 dans un corpus composé de ressources lexicographiques et terminographiques, avec une attention particulière à l’évolution sémantique du terme carbone et ses dérivés.
Une section à part est consacrée aux « Études interdisciplinaires et témoignages de terrain » qui s’enrichit de deux contributions illustrant l’ampleur des défis écologiques actuels ainsi que l’urgence d’agir en interpellant le monde des professionnels et des éducateurs relativement à l’environnement, à la finance durable et à l’écocitoyenneté.
Susanna QUADRI, Professeur en droit international, offre une contribution sur le terme taxonomie dans le domaine de la finance durable à partir d’un corpus de textes de la réglementation de l’Union Européenne. Son objectif est de montrer que dans ce domaine, le terme taxonomie a un sens très précis : il n’a pas seulement pour fonction d’indiquer une classification, mais de certifier la durabilité des activités identifiées, avec des conséquences importantes en termes de financements.
Domenico SGAMBATI, Olivier RIKIR, Paul DESCŒUR, Le Projet M.A.R.E. – Marine Adventures Respecting the Environment dans « Le Projet M.A.R.E. – Marine Adventures Respecting the Environment » présentent les résultats d’une enquête menée dans le cadre du projet M.A.R.E., un projet de bénévolat international organisé par le Corps européen de solidarité (anciennement Service volontaire européen) mis en place pour soutenir les activités de conservation de l’Aire Marine Protégée de Punta Campanella (Campanie, Italie), grâce aux financements du programme Erasmus+ et à l’implication de jeunes activistes du monde entier, qui travaillent à la définition de pratiques citoyennes durables visant à la conservation et à la protection de la biodiversité océanique.
Par la variété des contributions recueillies, ce numéro thématique se propose de sensibiliser les linguistes, les experts et le grand public, à améliorer les stratégies de divulgation et de définition des terminologies et des discours autour de ce domaine, et à stimuler les recherches interdisciplinaires sur la biodiversité et le changement climatique.
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Per citare questo articolo:
Jana ALTMANOVA, Emmanuel CARTIER, Silvia Domenica ZOLLO, « Introduction », Repères DoRiF, numéro 30 : Variations terminologiques et innovations lexicales dans le domaine de la biodiversité et du changement climatique, DoRiF Università, Roma, giugno 2024, https://www.dorif.it/reperes/jana-altmanova-emmanuel-cartier-silvia-domenica-zollo-introduction/
ISSN 2281-3020
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