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Paola LABADESSA

 

Expériences didactiques de l’oral dans une classe plurilingue entre FLE, FOU et FLP

 

 

Paola Labadessa
Università degli Studi di Messina
plabadessa@unime.it


 

Résumé
La professionnalisation entrée dans les établissements académiques pendant les dernières années doit souvent se mesurer à la pratique du discours universitaire traditionnellement concentré sur l’écrit ou sur un écrit oralisé. Dans cette contribution nous allons présenter deux situations de pratique de l’oral à l’intérieur des cours de FLE dans une classe plurilingue. La première situation est reliée à une activité curriculaire (l’exposé oral du résumé de mémoire), l’autre concerne des objectifs professionnels (médiation interculturelle). Le défi d’un apprentissage d’autant plus complexe que les apprenants allophones, parfois débutants en langue française, destinés à une formation académique et professionnelle à la fois, se pose, alors, dans toute son ampleur.

Abstract
The traditional practice of university discourse focused on writing or oralized writing must often respond to the needs of professionalization introduced in recent years. This issue questions us about the type of oral to consider and practice. In this contribution we are going to present two situations of oral practice within FLE courses in a multilingual class. The first connected to a curricular activity (the oral abstract of bachelor’s thesis), the other related to professional objectives (cross-cultural mediation). Troubles and advantages of a learning for allophone students who are beginners in French language but intended for both academic and professional training.


 

1. Introduction

Le retour d’expérience que l’on va présenter s’inscrit dans le cadre des cours FLE de l’Université Pour Étrangers de Reggio Calabria, Département de Sciences Sociales, au cours de l’année académique 2021-2022.

Par l’acquisition de compétences multidisciplinaires, le parcours universitaire vise à la formation de figures professionnelles orientées vers le domaine des services sociaux et également de médiateurs interculturels destinés à des contextes multilingues afin de promouvoir l’inclusion et l’intégration des peuples. Les compétences linguistiques s’imposent, donc, comme une condition nécessaire et préalable pour le savoir-faire dans des milieux de travail de ce type.

La formation en Langue Française dans le cours L39, placée à la troisième année, est prévue en modalité mixte (distanciel + présence) : un cours général en présence (36 heures) niveau B1 du CECR pour le développement des compétences exploitables dans la profession (Français Langue Professionnelle), et une formation facultative additionnelle en ligne (20 heures), spécifique pour le renforcement des compétences orales pour des objectifs universitaires (Français sur Objectif Universitaire).

Notre focus va se situer sur le traitement de l’oral et le développement des compétences associées, dans une classe plurilingue, à l’occasion de l’exposé du résumé de mémoire de fin d’études (abstract) et des activités de médiation linguistique. Dès le début du cours, en effet, des questions se sont posées, sur la démarche à activer pour la réalisation des objectifs professionnels et universitaires, étant donné que la langue orale à laquelle les apprenants sont confrontés – en situation professionnelle, surtout – est très variée. Réaliser une formation traditionnelle s’avérait une opération peu efficace. Concevoir un enseignement de français sur mesure parait prioritaire pour des apprenants demandant de satisfaire leurs besoins en langue dans des contextes spécifiques et à l’aide de ressources appropriées.

2. Données de départ, facteurs de blocage et choix épistémologiques

L’apprentissage des langues et, y compris, de la compétence d’expression et interaction orale, dans un cours tel que L39, était habituellement orienté sur des objectifs universitaires (examens, séminaires, interventions aux conférences, rédaction de brefs documents, soutenance d’une partie de son propre mémoire de fin d’études en langue étrangère, réflexions métagrammaticales) comme, d’autre part, dans beaucoup d’autres cours académiques et, rarement, se concentrait sur une approche communicative et actionnelle.

L’évolution du rapport écrit/oral au fil du temps et selon les évolutions de la société (GADET  2019 : 35), a inévitablement impliqué le monde universitaire. La professionnalisation a obligé, quant à elle, à concevoir des programmes et contenus spécifiques qui correspondent aux besoins (pratiques) des apprenants. Par conséquent, la réadaptation des programmes dans les dernières années a entraîné un rapprochement aux compétences à mettre en place en milieu professionnel.

A Reggio on conçoit une formation pour étudiants allophones et plurilingues qui nécessitent d’un apprentissage pratique, rapide et utilisable.

Durant l’année académique en question, l’activation additionnelle d’un cours (coorganisé par le Centre Linguistique) pour l’amélioration de l’expression orale, a remis en question la pratique de l’oral fortement relié à l’écrit, aux documents (compte-rendu, reformulation, explication, résumé, etc.) – même si pour la plupart des cas, il demeure encore, dans l’imaginaire et la pratique des étudiants, un écrit oralisé.

Avant de nous concentrer sur les pratiques d’entraînement de l’oral susmentionnées, il semble pertinent de présenter la situation initiale de la classe, enregistrée par des interviews et test d’entrée :

Le tableau révèle la fréquentation du cours par des Africains francophones – élément à double valeur, décourageant d’une part, enrichissant de l’autre –[1] ; les étudiants connaissent et parlent italien (sauf l’Espagnole) et l’emploient entre eux comme langue de communication (ils se sont pour la plupart installés en Italie depuis un certain temps, de quelques mois à une quinzaine d’années).

Des interviews et épreuves initiales, ainsi que l’observation directe, ont fait émerger des données qui se sont révélées intéressantes pour les choix méthodologiques à faire :

  • Les étudiantes du Maghreb reflètent l’attitude envers la langue française qui est propre à leurs pays :
    • La Marocaine révèle ne pas se trouver à l’aise avec la langue française et cela est dû non pas exclusivement aux études effectuées dans un lycée religieux consacré au Coran, mais également au peu de fréquentation de la langue française. Elle insiste sur la spécificité de la langue marocaine par rapport à l’arabe.
    • L’Algérienne comprend bien mais parle peu français. Elle est consciente d’avoir besoin d’améliorer sa langue.

Les deux n’ont jamais employé l’arabe en classe.

  • L’étudiante de Moldavie dévoile une attitude de refus envers l’usage de la langue L1 – à présent utilisée seulement en famille – et la préférence pour l’italien dans tous les cas ;
  • L’étudiante espagnole qui ne parle pas italien, affirme préférer la langue italienne pour les réflexions métagrammaticales.

Dans une classe plurilingue, de plus, les facteurs de blocage traditionnels semblent redoubler. Pour aborder tout acte de parole (du dialogue au « je» simulé et authentique, au canevas, au jeu de rôle), l’anxiété langagière (WILLIAMS 1991 : 25) [2] et l’insécurité linguistique (KLINKENBERG 2001: 35-36)[3] restent les obstacles les plus évidents (dans la relation étudiant-professeur et étudiant-étudiant(s)). De par la présence de Francophones le malaise est intensifié et le risque de diviser le groupe est imminent. Même si ce n’est pas le lieu pour envisager les données psycholinguistiques ou sociolinguistiques impliqués, on a essayé de comprendre la nature des facteurs d’incertitude.

Les étudiants proviennent d’une formation scolaire en langue française qui a souvent négligé l’oral et ils n’ont pas pratiqué la langue hors de l’école. C’est une situation de stress de départ qui n’encourage pas les apprenants.

L’observation directe et les réponses obtenues aux interviews ont essayé de mettre en place des tentatives de prise de conscience :

  • stress qui justifierait le manque de sérénité pour s’exprimer (« je ne suis pas sûre », « je ne me rappelle pas », « je suis fatigué»)
  • timidité ou peu de confiance en soi (« je ne réussis pas », « c’est difficile », « je travaille »)
  • manque d’habitude (« je ne parle pas français », « je ne me rappelle rien »)
  • âge et distance par rapport à l’époque de la scolarité.

Solliciter des interventions et des échanges pour atténuer ces blocages s’est révélé fondamental. La classe n’a pas été divisée en sous-groupes, les objectifs de la formation étant communs, le biais de l’italien a été réduit, les corrections ont toujours été placées à la fin des activités pour ne pas inquiéter l’apprenant et ne pas accroître les moments d’hésitation. Et souvent ils ont été invités à s’enregistrer et s’autocorriger. Il ne faut pas sous-estimer le rôle des Francophones qui, eux aussi, ont montré le besoin d’apprendre des savoir-faire d’une part et, d’autre part, ont contribué à enrichir l’apprentissage par leurs apports et leurs variétés régionales.

Des questions se sont posées en vue de l’entraînement oral. Comment concilier le référentiel de compétences B1 du CECR avec les objectifs de la formation ? Est-ce qu’on peut entraîner les apprenants à la production orale sans une véritable pratique en compréhension ? Peut-on diviser les deux ? Si le choix d’une mise en relief entre grammaire, lexique (général ou spécialisé), écrit, oral, se présente pour le cours général, le FOU ne peut pas se réduire au lexique spécialisé (MANGIANTE, 2017 : 21) et cela vaut encore plus pour le FLP.

Comme le Guide Belin de l’Enseignement le souligne, « l’oral implique un travail sur les sons, sur le rythme, sur l’intonation et il s’agit pour l’apprenant de se familiariser avec ces différents moyens, de se les approprier peu à peu » (2005 :30). Or si ces compétences sont censées être déjà possédées par les apprenants – et préalables au cours mais non pas effectivement maîtrisées -, d’autres questions se posent :

  • comment concilier l’apprentissage des compétences de communication orale – compétences générales de l’apprentissage d’une langue étrangère et capacité à s’exprimer dans des situations concrètes de vie – sans oublier que l’oral englobe les registres de langue, le parler jeune, les variétés régionales, le gestuel, etc., avec l’apprentissage et pratique d’un oral sur objectifs universitaires et professionnels ?
  • comment peut-on former des étudiants de L39 à maîtriser les compétences pour une expression orale – qui requiert en pratique un niveau avancé – dans le peu de temps consacré ?
  • quel oral, alors ? Raconter ? Dire ? Argumenter ? Exposer ? Médier ?

Le référentiel de compétences a été tenu en compte, on a essayé de rapprocher les objectifs de la formation (et notamment de l’oral) avec les demandes des apprenants et surtout on s’est appuyé sur une approche actionnelle par tâches (étude de cas, réflexions sur des documents, résolution de problèmes, planification ou choix de quelque chose, prise de décisions)[4] qui a entendu mobiliser des compétences linguistiques, des savoir-faire pragmatiques, socio-affectifs et la maîtrise des codes culturels, le « savoir agir » (LE BOTERF 2011: 101) :

[…] j’accorde une attention particulière à la pratique professionnelle, qui correspond à la façon d’agir, c’est aussi parce qu’elle permet d’introduire la notion de « décision », totalement absente des raisonnements en termes de compétences. Je fais confiance à un professionnel, je le reconnais comme compétent s’il sait prendre des décisions dans les situations qu’il doit traiter.
Savoir agir ne saurait se réduire à savoir faire : c’est aussi prendre des initiatives et des décisions ; c’est savoir non seulement exécuter des procédures mais aussi, quand il le faut, aller au-delà des procédures.

3. L’oral pour des objectifs universitaires : l’exposé/discussion du résumé de mémoire

Pour renforcer les compétences dans l’exposé oral en langue française du résumé de mémoire (désormais RM) qui précède la soutenance du mémoire de licence, les étudiants en fin d’études ont la possibilité de fréquenter un cours additionnel.

Au premier abord cela semblerait un oral tout à fait officiel, d’un registre soutenu, suivant les mêmes règles que l’écrit et les critères des textes argumentatifs.

Livrer un cours basé sur l’argumentation et une série de ces discours oraux pourrait se révéler une opération qui ne contribue qu’à stresser davantage les étudiants. Le parcours abordé a acquis les caractères d’une formation en FOU, s’appuyant sur des compétences transversales – compréhension du discours, compréhension des textes, restitution des connaissances, reformulation – (MANGIANTE 2017 : 29) et bien sûr sur la pratique et la rédaction d’un RM.

Le RM requis par le Département ne s’adapte pas au standard de 150 mots ou d’une page, mais en implique huit, selon la structure et les sections prévues (mots-clés, sujet, motivations, objectifs, méthode, résultats, conclusions). Traditionnellement la pratique académique du résumé à oral est perçue telle qu’une obligation. Les étudiants disposent d’un dossier de normes pour la rédaction (écrite) du résumé qu’ils sentent trop restrictif et négligent souvent. Ils arrivent au moment de l’oral sans une véritable conscience de la progression logique et cohérente d’un exposé.

Il s’agit d’exposer son propre résumé, face à un jury qui rarement contredit le contenu, son rôle n’étant pas d’évaluer le mémoire mais l’expression en langue étrangère.

L’activité rentre dans des objectifs purement universitaires et requiert des compétences langagières tout à fait semblables à la situation d’un examen, de la soutenance du mémoire de fin de cours (exposé + réponses aux questions du jury + défense de ses propres thèses). Pour les apprenants il ne s’agit que d’un écrit oralisé, puisqu’il intègre les deux. Du moins cela est leur idée initiale. L’orientation commune est, donc, de rapporter exactement à l’oral ce qu’ils ont écrit (ou parfois mal copié). Le risque est, par conséquent, d’avoir un oral livresque, classique ou, pis encore, un copier-coller de l’écrit.

Le cours en question, bien accueilli par les étudiants, a regroupé plus de participants que le cours en présence et cela plus pour l’intérêt soulevé par les contenus que pour l’emploi du moyen à distance.  Les consignes académiques étant assez peu flexibles, elles confrontent l’apprenant à un rapport à l’oral formel. En pratique on leur demande de produire un texte argumentatif avec toutes les caractéristiques d’une discussion. En bref, un monologue suivi (qui va des informations à la description de procédures, passant par des explications et distinctions et aboutissant à la défense de ses propres thèses) qui devient parfois une interaction formelle (échanges sur des problèmes pratiques, compréhension et réponses adéquates, défense de son point de vue avec conviction).

Par rapport à un oral en contexte quotidien ou informel, l’exposé du résumé se caractérise par des éléments, tels que :

  • vocabulaire technique
  • emploi du bon synonyme
  • intensité et participation émotive
  • pas d’interrogatives directes
  • références à des sujets que l’interlocuteur ne connaît pas.

N’oublions pas qu’il s’agit aussi d’un acte perlocutoire. Cela n’exclut pas l’insertion d’éléments de l’oralité :

  • interjections
  • répétitions
  • pauses, ralentissements, changement de volume
  • interruptions et reprises du discours
  • emploi d’expressions pour entrer en contact avec le jury (« est-ce que vous m’entendez bien? ») ou pour demander s’il y a des problèmes de compréhension (« est-ce que je dois répéter ? », etc.).

Au niveau de la méthode abordée, on a entrepris les interventions suivantes :

  • un entraînement sur les compétences demandées par un RM que les étudiants (de toute provenance) ignoraient presque totalement s’est avéré nécessaire ;
  • un parcours de renforcement des compétences orales a été nécessaire mais par étapes (questions > dialogue > expression opinion> monologue bref > conversation > discussion sur un sujet). Aucun sous-groupe (entre étudiants ayant le français comme langue maternelle et les autres) n’a été réalisé, les objectifs étant communs pour tout le monde ;
  • l’introduction du plan à l’oral, ainsi que la question de la problématique, est apparu comme totalement nouveau pour les étudiants et a provoqué le plus d’inquiétude (à plus forte raison à l’oral). Le lien logique et discursif entre les parties, marqué par des connecteurs, était le grand inconnu chez les étudiants de toute nationalité.
  • sur le plan du discours il s’agissait du passage de « je » authentique à « on ». C’est une épreuve où l’on peut passer du « je » (déictique de personne) de l’introduction et de l’annonce du plan à « on » (non-personne) des parties où l’on parle de la méthode, par exemple, pour revenir au « je » dans les conclusions personnelles.

L’un des défis dans telle situation est d’annuler le « je » – ce qui pourrait paraître contraire à toute forme d’expression orale impliquant une participation personnelle – pour être capable de s’exprimer d’une façon objective et critique envers son propre travail tout en gardant les caractères de l’expression orale. Or la difficulté révélée est, justement, la tendance à ne pas utiliser la forme impersonnelle, ou le recommandé « nous », mais d’insister sur la première personne.

A ce propos il semble pertinent de remarquer les implications linguistiques au sujet du pronom « on ». Au-delà des caractéristiques morphosyntaxiques, en situation d’énonciation il « présente en effet la particularité de référer à une subjectivité, mais sans prendre en compte la distinction entre énonciateur, co-énonciateur et non personne, en effaçant en quelque sorte les frontières entre les positions de 1re, 2e, et 3e personne » (MAINGUENEAU 2007 : 18-19).

Au niveau lexical, il s’agit de concilier les compétences d’un travail qui requiert un vocabulaire universitaire (mémoire, thèse, frontispice, etc.), un lexique spécialisé selon les sujets des mémoires et des expressions typiques de l’exposé et de l’oral.

Une fois acquise la structure du RM, la présentation de mauvais exemples à commenter et corriger s’est révélée la démarche qui a stimulé les plus d’interventions et d’interaction parmi les étudiants.

4. L’oral pour des fins professionnelles

Compte tenu que le CECR a ajouté aux compétences dites « traditionnelles » de réception et de production, les compétences d’interaction et récemment de médiation écrite et orale (transmission d’informations, explication de données, traitement de textes, traduction, prise de notes, analyse et critique, décomposition, adaptation, etc.) et que les manuels commencent à prévoir des activités reliées à la médiation, pour l’apprentissage et la pratique de l’oral à des fins professionnelles, des activités sur mesure ont été privilégiées conjointement aux  traditionnels jeux de rôle qui se sont révélés, eux aussi, appropriés à nos objectifs. Encore une fois, le rôle de l’enseignant concepteur des ressources pédagogiques dans un cours de FOS ou FLP a été mis à l’épreuve. Un corpus de documents authentiques a été choisi parmi des discours oraux en contexte de migration/médiation.

Les activités ont été développées selon trois directions :

  • compréhension, analyse, reformulation de textes oraux (parfois mis à l’écrit) (interviews, dialogues, etc.) à l’aide du multimédia. On a recouru à des dialogues originaux et appropriés pour se familiariser avec le français des migrants. Voici ci-dessous un extrait d’un témoignage d’un Ivoirien sur lequel on a effectué une série d’activités telles que « relever des informations concrètes, comprendre les points principaux et les informations essentielles, distinguer l’humeur, les attitudes et les points de vue du locuteur » (CECR 2021 : 54). De plus, on a proposé aux étudiants de relever les variations de langue. Reformuler ce texte, l’analyser, le commenter s’est révélé une opération très complexe :

Pour rien au monde, je ne referai ce voyage. C’est pas digne d’un être humain, toutes ces humiliations… j’ai vu des gens mourir ; je sais pas combien de fois j’ai flirté avec la mort…Franchement, j’ai perdu quatre années. Avec mon ami, on s’est dit que c’était pas une vie. […] On a entendu par le bouche à oreille qu’il y avait du boulot en Libye, que c’était un pays en reconstruction…
On s’est embarqués dans quelque chose d’inimaginable, qui nous laissé beaucoup de dégâts, «Tu es venu pour travailler, mais tu ne peux pas sortir au risque de te faire kidnapper»…
Quand on te parle de la Méditerranée, ils te mettent dans la tête que la traversée dure 30 minutes (…) Des amis sont là-bas, on se dit pourquoi ne pas tenter notre chance. […]
Si tu n’as pas d’argent, tu pourris en prison ; j’ai vu des gens dans des états là-bas (…) ils ont la peau sur les os (…) tu bois de l’eau salée, il y a des bestioles qui te piquent …On était 100, le mec envoie 70 morceaux de pain et là les gens se battent, et les gardiens de prison nous filment, ça les fait rire… J’ai pas un endroit fixe où rester, je pars de famille en famille […] Tu te dis que t’es pas utile, que tu sers à rien… (L’EXPRESS, le 07 Mars 2018).

  • jeux de rôle et mises en scène concentrés sur des situations d’accueil et de séjour (avec les problématiques afférentes). Un ensemble de situations a été imaginé ou reproposé. Cette activité s’est révélée fondamentale pour simuler la pratique professionnelle. Des situations réelles et possibles ont été prévues, l’imagination, la créativité et l’interaction ont été développées.

De plus, les avantages du jeu de rôle sont multiples : la passivité est vaincue, la mémorisation est activée, les structures grammaticales et lexicales sont employées en contexte, l’apprenant est encouragé à s’exprimer dans une langue étrangère, la situation est clairement tirée de la vie réelle ; il a ainsi le sentiment qu’il pourra se débrouiller tout seul en réalité lors d’un contact direct avec un natif (MANOLESCU 2013 : 115).

  • activités d’explication/clarification/transmission des pratiques culturelles reliées au milieu calabrais (les étudiants étrangers travaillent ou désirent travailler en Calabre). On a exploité des ressources concernant des pratiques qui concernent la gastronomie et les produits typiques calabrais pour constituer un ensemble de connaissances reliées à la culture du pays d’accueil et également des compétences linguistiques et langagières. Pour l’extrait publicitaire : « È un locale storico di Tropea dove provare i gelati salati. Oltre ai gusti classici si trovano anche specialità con la cipolla rossa di Tropea e la ‘nduja », les incertitudes constatées ont concerné l’explication de la glace en général, de la glace salée, l’oignon rouge et surtout du produit typique très piquant, nommé ’nduja [5].
    Les traditions et certaines pratiques culturelles reliées à la pêche (notamment la chasse à l’espadon) ou à la religion (ex. la Varia di Palmi) ont été considérées comme des arguments à partir desquels entreprendre des activités d’explication par le biais d’images ou de l’expérience directe.
    D’autres incertitudes ont été causées par la faible connaissance de certaines pratiques culturelles calabraises de la part des étudiants.

La profession de médiateur interculturel implique aussi des compétences linguistiques qui font référence au système culturel du pays de départ. L’attention s’est concentrée sur le français d’Afrique, compte tenu de la provenance des migrants francophones. Pour identifier les pays de départ on a fait référence au World Migration report 2022 (qui analyse l’évolution entre 1990-2020). Parmi les 16 pays recensés avec le plus grand nombre de migrants on relève les francophones suivants : Maroc, Algérie, DRC, Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Tunisie. En 2020 les flux principaux (vers l’Europe) ont été représentés dans l’ordre par Maroc, Algérie, DRC, Burkina Faso, Mali, Côte d’Ivoire, Tunisie.

Pour un corpus oral de discours dans ces variétés, on a employé des extraits de journaux télévisés (TV5 monde), d’émissions radio (RFI Afrique), interviews, documentaires. Comme F. Gadet le souligne, en effet, l’emploi de la radio et de la télévision confrontent l’auditeur/spectateur, d’une façon passive, à une ouverture à la diversité (2019 : 37). Les activités qui y étaient reliées ont prévu l’identification des points importants, les changements de sujet, l’attention à l’élocution (un parler clair ou peu compréhensible pour la présence de mots inconnus, argotiques, idiomatiques).

Pour les variétés du Congo, Côte d’Ivoire, Mali, on a également fait recours à un répertoire d’expressions figées qui ont rendu plus ludique l’apprentissage, dans une approche contrastive avec le français de l’Hexagone et les langues maternelles des apprenants.

5. Analyse de la performance et observations finales

A côté des facteurs de blocage mentionnés ci-dessus, avant d’entrer au cœur des résultats de la performance des étudiants, d’autres éléments apparaissent essentiels pour notre analyse :

  • pour les non Francophones, un sentiment (souvent caché) d’inquiétude pour les fautes, les critiques, la comparaison avec les Francophones demeure inévitable pour presque tous les étudiants (et cela s’accentue dans un cours en ligne où l’attention à l’écoute est plus renforcée qu’en salle de classe) ;
  • les étudiants francophones se placent parfois en juges des textes qu’on leur soumet (la Mauricienne trouve inapproprié l’emploi du verbe « porter » dans l’expression «ce mémoire porte sur…») ;
  • par contre certaines contributions des Francophones apportent des éléments enrichissant l’acquisition des variétés du français (à Madagascar on parle d’« école moyenne » – comme en Italie) ;
  • aucune intervention n’a été enregistrée en ce sens par les Maghrébines ;
  • aucune interférence de la langue arabe n’a été enregistrée.

Quant à la performance des étudiants dans les deux occasions, des directions parfois convergentes ont été remarquées au cours de l’entraînement et de l’épreuve finale. Dans ce contexte on néglige ce qui est relié aux phénomènes paralinguistiques.

Pendant l’entraînement, les attitudes et comportements les plus fréquemment détectés chez les apprenants peuvent être regroupés selon les observations suivantes :

  • ils peuvent répondre à des questions faciles ou participer à un simple échange ;
  • ils ont besoin de temps pour réfléchir et trouver le (bon) mot pour exprimer des idées, des objectifs, des opinions ;
  • des épisodes d’alternance codique sont souvent dûs à un sens de frustration, anxiété, impatience ;
  • quelques-uns ont montré de l’impatience à s’exprimer, parfois à débuter avant les autres ;
  • ils ont tendance à s’autocorriger dans la langue L1 (surtout l’Espagnole) ;
  • ils négligent la présentation de ce qu’ils vont dire et ne donnent pas de structuration logique à leur discours ;
  • ils montrent des difficultés à générer un texte cohérent, relié et équilibré (surtout dans le RM) ;
  • ils sont fortement influencés par la L1 au niveau du lexique et du discours ;
  • ils négligent la justesse d’expression et l’adéquation socioculturelle.

Lorsqu’ils sont mis en situation (jeux de rôle, par exemple), la production est fragmentaire. Si on leur pose des questions personnelles ou qu’on leur demande le récit d’une expérience vécue, les locuteurs – les plus âgés, surtout -, en fonction de « je » authentique, se trouvent plus à l’aise et n’hésitent pas même à raconter des situations de difficultés réellement expérimentées. Au contraire, un « je simulé », n’impliquant pas une participation personnelle, relève le plus d’embarras en termes d’imagination et production de texte oral. Le principe selon lequel avoir plus d’expérience produit plus d’idées s’avère effectivement appliqué.

Au cours de la performance finale, à côté des fautes et erreurs liées à la prononciation, au rythme et à l’intonation, et également à la compréhension et à la grammaire (« qu’il » au lieu de « ce qui » ; « de les » au lieu de « des » parmi les plus fréquents), certaines tendances se répètent :

  • absence d’autocorrection ;
  • les fautes et erreurs dans la version écrite du RM se reflètent à l’oral ;
  • tendance à ne pas centrer les réponses (surtout pour le RM).

Au niveau du lexique et de la morphosyntaxe :

  • présence de faux amis et d’anglicismes (« if », « and » parmi les plus récurrents) ;
  • néologismes et calques («strage» pour « massacre », « novités », « aiuté », «sicure», «conseguer», «affronter») ;
  • déformation des termes français (« meravilles ») ;
  • échanges intralinguistiques (« poire » au lieu de « peur », « moi » au lieu de « mon », « roi » pour « rouge », « beaucoup » et « très » confondus dans l’emploi) et interlinguistiques (langue italienne : « thèse » au lieu de « mémoire » ; « globalisation » pour «mondialisation », espagnole : « trabajer » pour « travailler ») ;
  • influence de la langue italienne sur l’emploi des pronoms relatifs (« que » en fonction de sujet).

Pour l’analyse du discours :

  • prolifération du déictique de personne (et notamment l’emploi du pronom de la première personne du singulier (« j’ai décidé de », « comme j’ai déjà dit », « j’ai consacré le premier chapitre à ») ;
  • présence des marques de subjectivité (« la recherche a été mauvaise », « c’est un beau travail », «  j’ai fait un bon travail ») ;
  • verbes employés aux temps du passé et notamment au passé composé (« j’ai cherché », « je suis parti de »).

Au niveau du texte :

  • production d’un texte fragmentaire à paragraphes isolés ;
  • présence d’anaphores lexicales fidèles (une recherche > la recherche) et répétitions (mon mémoire> mon mémoire) ;
  • difficulté à générer un texte argumentatif et tendance à produire un texte narratif ou descriptif ;
  • quant aux marqueurs discursifs et connecteurs logiques, leur emploi est assez faible et se réduit à quelques adverbes, prépositions ou conjonctions (« après », « depuis » – souvent confondu avec « puis » – , « généralement », « mais »). Seul « parce que » s’impose d’une façon récurrente, alors que d’autres (« car », ou « pour + infinitif ») restent complètement négligés.

En guise de conclusion, la collecte des données relevées dans les performances, et surtout la reconnaissance du poids des interférences d’autres langues, notamment de la L1, au transfert de laquelle « un tiers des erreurs peut être attribué » (HAMERS ET BLANC 1983 : 361), ne rentrent pas exclusivement dans une activité d’analyse et d’évaluation de l’oral.

Si on a récemment reconnu l’opportunité de modifier les grilles pour le Delf-Dalf, à la suite d’une réflexion concernant l’évaluation de l’oral, par exemple, l’expérience peut rentrer dans une discussion plus large qui interroge à plusieurs niveaux et qui concerne la langue française dans l’université italienne et l’enseignement aux étudiants étrangers.

L’apprentissage du français pour les étrangers est une question croissante à Reggio Calabria. Le nombre des immigrés qui fréquentent un cours universitaire est en hausse dans les dernières années et, en parallèle, le nombre de ceux qui insèrent le français dans leur curriculum. Or, au-delà des raisons multiples de ce choix, il s’agit d’un parcours universitaire qui encourage la formation en langues, mais pour laquelle 36 heures peuvent se révéler insuffisantes pour couvrir les besoins et les composantes que prévoit un cours de langue. Une formation qui a suscité la curiosité et rencontré l’enthousiasme d’une part, mais qui met l’accent sur les insuffisances des compétences discursives des apprenants. De plus, le cours a montré la forte influence de l’italien, au détriment des autres langues maternelles, pour des étudiants qui sont parfois bi- ou trilingues.

Enfin, l’expérience a concerné les travaux (dirigés) en milieu universitaire, une fois encore en discussion. Les étudiants mêmes les conçoivent, parfois, comme une imposition. Et, dans notre cas, les étudiants de L39 réclament leur position de futurs assistants de services sociaux et non pas de traducteurs ou spécialistes en langue.

 

Références bibliographiques

CONSEIL DE L’EUROPE, Cadre Européen Commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer. Volume complémentaire, Décembre 2021.

DESMONS, Fabienne et al., Guide Belin de l’enseignement. Enseigner le FLE (français langue étrangère. Pratiques de classe, Paris, Éditions Belin, 2005.

GADET, Françoise, « Émergence et enjeux de réflexions sur l’oral. L’exemple du français » in AA.VV., Le tendenze dell’italiano contemporaneo rivisitate, Milano, Società di Linguistica Italiana, 2019, p. 35-55.

HAMERS, Josiane, BLANC Michel, Bilingualité et bilinguisme, Bruxelles, Mardaga Éditeur, 1983.

KLINKENBERG, Jean-Marie, La langue et le citoyen : pour une autre politique de la langue française, Paris, Presses universitaire de France, 2001.

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[1] La présence des francophones d’Afrique se motive par le besoin exprimé d’acquérir les compétences prévues par le résumé de mémoire.

[2] « I will define anxiety in the foreign-language classroom as a response to a condition in which the external element is or is perceived as presenting a demand that threatens to exceed the student’s capabilities and resources for meeting it» (p. 25).

[3] « Il y a insécurité, par contre, dans cette situation de distorsion : lorsque le locuteur a une conscience assez nette de l’existence d’un idéal linguistique, mais qu’il n’est pas sûr d’avoir la maitrise de cette variété légitime » (p. 35-36).

[4]  « Permettre aux apprenants d’agir dans des situations de la vie réelle, de s’exprimer et d’accomplir des tâches de nature différente est le message méthodologique que fait passer le CECR sur l’apprentissage des langues. Le critère proposé pour l’évaluation est la capacité à communiquer dans la vie réelle, relié à un continuum de capacités (niveaux A1 à C2). » (CECR, 2021 : 29).

[5] La question englobe aussi le domaine de la traduction et de l’équivalence mais pour cela nous renvoyons aux débats et aux études de la traductologie.

 


Per citare questo articolo:

Paola LABADESSA, « Expériences didactiques de l’oral dans une classe plurilingue entre FLE, FOU et FLP », Repères DoRiF, numéro hors-série Oral en didactique du FLE et expérientiel : Questionnements et perspectives, DoRiF Università, Roma, dicembre 2023, https://www.dorif.it/reperes/paola-labadessa-experiences-didactiques-de-loral-dans-une-classe-plurilingue-entre-fle-fou-et-flp/

ISSN 2281-3020

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