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Virginie ANDRE, Clara COUSINARD

 

Accompagner l’exploitation de corpus pour apprendre à interagir : des exemples d’utilisation pour passer de la théorie à la pratique

 

 

Virginie André
ATILF (Université de Lorraine et CNRS)
Virginie.Andre@univ-lorraine.fr

Clara Cousinard
ATILF (Université de Lorraine et CNRS)
Clara.Cousinard@univ-lorraine.fr

 


Résumé
Dans cet article, nous présentons et analysons différents exemples d’utilisation du dispositif FLEURON (français langue étrangère universitaire : ressources et outils numériques) par des apprenants et des enseignants de FLE. L’exploitation de corpus oraux multimodaux à des fins didactiques n’est pas encore une pratique répandue et peut nécessiter un accompagnement, disponible sur le site du projet FLEURON : https://projet-fleuron.atilf.fr/. Nous espérons ainsi rendre accessible la didactique de corpus en proposant les outils nécessaires et en illustrant les utilisations du dispositif par un panel varié d’exemples d’apprenants, d’enseignants, d’objectifs d’enseignement et d’apprentissage, et de contextes de formation.

Abstract
In this article, we present and analyze different examples of the use of the FLEURON project (French as a foreign language at university: digital resources and tools) by learners and teachers of French as a foreign language. The use of multimodal oral corpora for pedagogical purposes is still not a common practice in the classroom and can require support, which we present on the FLEURON project website: https://projet-fleuron.atilf.fr/. Thus, we hope to make the exploitation of corpora accessible by providing the necessary tools and by showing the uses of the device through a diverse panel of examples of learners, teachers, teaching and learning objectives, and training contexts.


 

Introduction

La didactique des langues profite incontestablement des progrès en informatique et de l’avancée des technologies. Ainsi, les outils et les dispositifs d’apprentissage sont de plus en plus nombreux, l’accès aux ressources humaines et documentaires est largement facilité par les réseaux sociaux, les méthodologies d’apprentissage sont de plus en plus variées, les outils de traduction automatique, de synthèse et de reconnaissance de la parole sont peut-être en train de modifier notre rapport aux langues étrangères. L’intelligence artificielle peut même aider les apprenants de langue en leur définissant des parcours de navigation et d’apprentissage personnalisés, c’est-à-dire adaptés à leur niveau, leurs objectifs, leur rythme ou leur préférence. Toutefois, interagir en langue étrangère reste une compétence difficile à enseigner et à apprendre. Cette compétence est très peu abordée par les outils précédemment cités, ou par les plus traditionnels manuels de langue, ou alors seulement de façon artificielle à l’aide de dialogues scriptés et normés.

Pour améliorer l’acquisition de la compétence interactionnelle, les méthodologies didactiques faisant appel à des corpus oraux et multimodaux, dans la lignée des documents authentiques (DUDA et al. 1972 ; ABÉ et al. 1979 ; HOLEC 1990 ; CORTIER 2019), semblent les plus appropriées. En effet, l’exposition à la langue cible, telle qu’elle existe réellement dans des situations de communication, ainsi que les activités didactiques qui lui sont associées, permettent aux apprenants de développer leurs compétences interactionnelles. Les dispositifs numériques et les plateformes d’apprentissage du Français Langue Étrangère (désormais FLE) qui exploitent des corpus oraux ou multimodaux à des fins didactiques sont encore rares mais ils permettent désormais d’appréhender le français parlé en interaction (RAVAZZOLO et al. 2015 ; SURCOUF, AUSONI 2018 ; ALBERDI et al. 2018 ; ETIENNE et al. 2022).

Parmi ces ressources, nous nous intéressons plus précisément au dispositif FLEURON[1] (français langue étrangère universitaire : ressources et outils numériques). Il bénéficie à la fois de la « révolution numérique » et de la « révolution corpus » (MCCARTHY 2008). Il met à disposition, des enseignants et des apprenants, un corpus multimodal outillé d’un concordancier (ANDRE 2016). L’exploitation des corpus à des fins didactiques n’est pas encore intégrée aux pratiques professionnelles de tous les enseignants et formateurs, ni aux pratiques d’apprentissage, notamment FLE. Ces pratiques doivent donc être accompagnées pour que les moins sensibilisés et les moins formés à l’approche sur corpus puissent tirer profit de ces nouvelles méthodologies didactiques. Nous montrons comment, grâce à la diffusion d’exemples d’utilisation du dispositif FLEURON, par des apprenants et par des enseignants, nous tentons de passer des aspects théoriques de notre approche didactique à une pratique concrète en situation. Au-delà de notre objectif qui consiste à rendre la didactique de corpus plus accessible, nous cherchons également à créer une communauté de pratiques d’enseignants et d’apprenants autour de cette nouvelle approche des compétences interactionnelles.

1. L’exploitation de corpus d’interactions à des fins didactiques

Les corpus, puisqu’ils donnent à voir des usages réels de la langue, sont précieux tant pour la linguistique que pour la didactique. En rassemblant des données langagières produites en situation à des fins de communication (WILLIAMS 2005 ; SINCLAIR 2005), ils nous permettent d’observer et d’analyser la langue réelle. D’un point de vue sociolinguistique, ils offrent la possibilité de rendre compte de la variété des pratiques langagières permettant de réaliser de multiples activités dans des genres de discours et des situations de communication particulières (ANDRE 2015). Ils permettent d’aller au-delà de la description normative et prescriptive proposée par les grammaires, les méthodes et des manuels de langue.

L’analyse des corpus oraux et multimodaux montre que les interactions, qu’elles soient privées ou professionnelles, sont régies par plusieurs principes. En interaction, les locuteurs tentent de réaliser des activités (saluer, demander, argumenter, remercier, expliquer, etc.), en s’ajustant à la fois à leurs interlocuteurs (certaines facettes de leur identité, la relation qu’ils entretiennent, leurs connaissances partagées, etc.), au genre de discours (conversation, réunion, transaction commerciale, etc.) et à la situation de communication (cadre spatio-temporel, objectif de la communication, normes interactionnelles, etc.). Les interactions sont donc dynamiques, co-construites et situées (KERBRAT-ORECCHIONI 2005 ; PEKAREK DOEHLER 2006 ; TRAVERSO 2016). Pour interagir, les locuteurs vont mobiliser les ressources nécessaires et appropriées. Ces ressources sont à la fois verbales et multimodales (intonation, regards, expressions faciales, gestes, postures, etc.).

L’exploitation des corpus d’interactions à des fins d’enseignement et d’apprentissage de la langue semble donc particulièrement adaptée au développement de la compétence interactionnelle. Nous l’avons définie à l’aide de plusieurs composantes (ANDRE 2021). Pour être compétent, un locuteur doit être capable de : prendre en compte les différents éléments de la situation de communication et s’y ajuster, prendre son tour de parole dans l’interaction, s’ajuster à ses interlocuteurs et co-construire un discours commun avec eux. En exposant les apprenants à des corpus d’interactions, ils sont amenés à observer de quelles façons les locuteurs procèdent, c’est-à-dire ce qu’ils mobilisent, pour parvenir à leurs fins.

Il existe plusieurs façons d’exposer les apprenants à des corpus d’interactions. Tout d’abord, il est possible de leur demander d’observer le déroulement séquentiel d’une ou de plusieurs interactions afin qu’ils saisissent, tour de parole par tour de parole, le fonctionnement et la structure de l’échange (ouverture, corps et clôture), les séquences thématiques et les activités langagières (par exemple, les salutations, les requêtes, les réponses, les demandes de confirmation, les remerciements), les prises de parole, les ajustements, les négociations, les accords et les désaccords, les variations sociolinguistiques, etc. Un corpus d’interactions permet d’aller au-delà du document authentique isolé parce qu’il permet d’observer les variations, de comparer des façons de faire (lexicales, syntaxiques, prosodiques, etc.), selon des éléments contextuels (locuteurs, genre de discours, objectifs communicatifs, etc.). Exposer les apprenants à des corpus d’interactions permet aussi de les sensibiliser aux spécificités de l’oral souvent absentes des documents de référence. Alors que ces éléments (répétitions, hésitations, inachèvements, chevauchements, interruptions, etc.) font partie intégrante du discours oral et qu’ils sont fonctionnels et signifiants (BLANCHE-BENVENISTE 1990, KERBRAT-ORECCHIONI 1990), ils sont rarement représentés dans les ressources orales proposées dans les manuels de FLE. Cela conduit à présenter aux apprenants une langue factice et non une langue qu’ils seraient effectivement amenés à rencontrer lors d’échanges avec des francophones, ce qui peut freiner leur intégration langagière.

Ensuite, et c’est sur cette méthodologie que nous nous concentrerons ici, nous pouvons explorer ou faire explorer les corpus à l’aide d’un concordancier, en suivant la démarche du data-driven learning (désormais DDL). Le DDL a été défini comme « the use in the classroom of computer-generated concordances to get students to explore the regularities of patterning in the target language, and the development of activities and exercises based on concordance output[2]» (JOHNS & KING 1991, p. iii). Un concordancier est un outil de la linguistique de corpus qui permet de rechercher des occurrences dans des données langagières (transcrites). Les résultats sont affichés verticalement en plaçant l’occurrence au centre, accompagnée de ses cotextes droit et gauche. L’association d’un corpus et d’un concordancier pour rechercher dans les données est le principe technologique du DDL. La démarche didactique qui lui est associée repose sur les étapes suivantes : l’apprenant observe et analyse les données d’un corpus via un concordancier, il créé des catégories à partir des résultats de sa recherche et induit ou généralise des principes de fonctionnement de la langue à partir des observations et des catégories. Nous verrons des exemples dans les points suivants.

Plusieurs méta-analyses ont montré l’efficacité globale du DDL. BOULTON et COBB (2017) ont notamment montré, au travers de 84 études, les avantages d’exposer les apprenants directement aux données présentées sous la forme de lignes de concordances, car cette méthodologie place les apprenants au cœur de leur apprentissage, développe leurs capacités d’induction ainsi que leur conscience langagière, tout en améliorant la rétention des règles de fonctionnement de la langue. Plus récemment, BOULTON et VYATKINA (2021) ont proposé une analyse de 489 publications sur le DDL, ou plus largement sur des études proposant une utilisation d’outils et de techniques de corpus à des fins didactiques en langue étrangère ou seconde. En analysant les conclusions et les recommandations de ces publications, les auteurs mettent en évidence une croissance rapide des études scientifiques impliquant le DDL. Ils en déduisent que celui-ci devient un domaine à part entière dans le champ de la didactique. En effet, les publications sélectionnées pour cette étude ont paru (en anglais) entre 1989 et 2019, et sur les 489 publications, près de 200 entre 2016 et 2019. Ces publications visent en grande majorité l’enseignement et l’apprentissage de l’anglais, notamment écrit, mais d’autres langues peuvent être visées. A ce propos, VYATKINA (2020 : 363) précise : « Finally, and importantly, for the readership of this journal, there has been growing empirical evidence that DDL works not only for English but also for LOTEs[3]». Elle donne également trois raisons pour lesquelles le DDL reste peu utilisé : 1) 90% des études ont l’anglais pour langue cible, avec des apprenants intermédiaires et dans un contexte universitaire (alors que BOULTON et COBB (2017) ont souligné que le DDL était profitable à tout public, de tout niveau, avec tout type d’objectif et dans tout contexte), 2) les corpus et leurs outils d’exploration des corpus sont peu accessibles et 3) les interfaces d’exploration de corpus ne sont pas ou sont peu adaptées pour les enseignants et les apprenants de langue (Ibid.).

Le dispositif numérique FLEURON, que nous allons présenter dans le point suivant, répond à ces trois points. Il permet de travailler le français (oral), avec des apprenants de tout niveau dans tout contexte de formation (même s’il a d’abord été pensé pour des étudiants), son corpus multimodal est librement accessible et son interface a été ergonomiquement pensée pour des enseignants et des apprenants non formés à la linguistique de corpus.

2. Le cas du dispositif FLEURON

Le projet FLEURON a élaboré un dispositif numérique d’apprentissage du français dédié aux étudiants souhaitant faire un séjour universitaire en France ou étant déjà en mobilité dans une université française (ANDRE 2016). Ce projet est guidé par des implications sociales et cherche à améliorer l’intégration des étudiants étrangers. D’un point de vue théorique, il s’inscrit à l’interface de la sociolinguistique et de la didactique des langues, en proposant d’exploiter un corpus multimodal à des fins d’enseignement et d’apprentissage du français parlé en interaction. D’un point de vue pratique, le projet de recherche a donné naissance à un dispositif numérique librement accessible (pour rappel : https://fleuron.atilf.fr/). Comme nous l’avons mentionné en introduction, les théories qui sous-tendent le projet et le dispositif sont celles de l’analyse des interactions et de la didactique de corpus. Après être né du résultat et de la valorisation des recherches menées dans le projet, le dispositif est désormais l’objet d’étude des membres du projet (voir par exemple COUSINARD 2022).

Concrètement, FLEURON met à disposition un corpus multimodal d’interactions auxquelles les étudiants sont susceptibles de prendre part, en dehors de leurs enseignements. Pour être exploitable plus facilement, le corpus est subdivisé, actuellement, en douze catégories : démarches administratives, étudiants Erasmus, questions pédagogiques et explications du système universitaire, vie sur le campus, étudiants en doctorat, démarches à la préfecture, aides sociales, témoignages, santé, utiliser les transports, culture et lieux de culture, vie en dehors du campus. Ces catégories représentent deux macro-catégories : celles qui concernent spécifiquement la vie universitaire et celles qui concernent la vie sociale d’un étudiant. Cette dernière catégorie rend le dispositif FLEURON exploitable avec d’autres publics : des migrants, des adolescents (mineurs isolés notamment), des natifs en insécurité langagière ou encore des interprètes. Les catégories évoluent au fur et à mesure des retours et des demandes des utilisateurs. Ainsi, le corpus présente des situations de communication intéressantes pour les étudiants parce qu’elles sont représentatives de celles qu’ils peuvent vivre au quotidien.

Chaque catégorie compte plusieurs interactions, chacune étant présentée avec une vignette et une description (comprenant les métadonnées de la ressource).

 

Image 1 : présentation de l’interaction.

Chaque interaction est également sous-titrée et transcrite.

 

Image 2 : interaction sous-titrée et transcrite.

Selon les activités réalisées à partir des ressources, les apprenants peuvent masquer les sous-titres et/ou la transcription.

Le dispositif FLEURON propose un concordancier, qui permet de pratiquer le DDL ou l’apprentissage sur corpus (ASC) en français (BOULTON, TYNE 2014). Ce concordancier présente une interface simple, avec un espace pour écrire une chaîne de caractères (un ou plusieurs mots, sans expression régulière) et une option « mot exact » (si elle n’est pas activée, le concordancier affiche également les féminins et les pluriels des mots recherchés). Le résultat de la recherche est affiché en présentant verticalement les lignes de concordances dans lesquelles l’occurrence recherchée est au centre. Nous pouvons le voir avec la recherche de « tout à l’heure » :

Image 3 : Début de la liste des occurrences (15/28) de « tout à l’heure » recherchées par le concordancier de FLEURON[4]

Avec cet exemple, nous pouvons illustrer rapidement la méthodologie du DDL. On remarque tout d’abord que « tout à l’heure » peut apparaître en fin de tour ou en fin d’unité de tour, c’est-à-dire à la fin d’un énoncé ou d’un segment d’énoncé porteur de sens. On remarque aussi que « tout à l’heure » peut être utilisé pour faire référence à un moment passé (3, 5, 9, 10, 11, 14, 15) ou à un moment futur (1, 2, 4, 6, 7, 12, 13). Ces catégories sont notamment déterminées à l’aide des cotextes droit et gauche, mais aussi de la situation décrite pour chaque interaction. On observe aussi une salutation (8) dans laquelle « tout à l’heure » est précédé de « à ». La particularité de ce concordancier est qu’il permet des allers-retours dans les vidéos des interactions. Si on clique sur l’occurrence de la ligne 8, la vidéo s’ouvre au moment où « tout à l’heure » est prononcé et il est en gras dans la transcription. L’apprenant a alors accès aux informations et à l’échange suivant :

Titre de la ressource : Problème d’inscription dans un groupe de TD
Description : Une étudiante (E) en sociologie vient à la scolarité car elle n’arrive pas à s’inscrire dans un groupe de TD (Travaux Dirigés). L’agent (A) l’invite à revenir plus tard.

A: entrez bonjour
E: bonjour
A: dites-moi
E: alors voilà c’est par rapport à mon inscription en fait euh j’ai pu m’inscrire à un cours c’était pour le CM mais les TD en fait euh tous les groupes étaient fermés
A: vous êtes en quoi
E: en L3 de sociologie
A: il faudra par contre revenir à 13h30 il faut voir votre gestionnaire madame ***Nom***
E: à 13h30 d’accord
A: voilà
E: bon bah voilà bah je reviendrai alors ça marche
A: à tout à l’heure
E: merci bonne journée
A: vous aussi au revoir
E: au revoir

L’apprenant peut comprendre le sens de « à tout à l’heure » en visualisant l’échange, ainsi que ses sous-titres et sa transcription, et en s’appuyant sur des indices langagiers (en gras ci-dessus). Nous pouvons également constater, dans la vidéo, que l’étudiante s’apprête à partir au moment où l’agent lui dit « à tout à l’heure ». Cet élément multimodal est également un indice qui facilite la compréhension de cette expression.

Le DDL est une méthodologie tout à fait innovante qui s’est révélée pertinente pour enseigner et apprendre à interagir en FLE, ainsi qu’en Français Langue d’Intégration (FLI) (ANDRE 2021). Non seulement, l’accès aux données améliore l’input mais l’ASC permet d’impliquer les apprenants dans un processus inductif qui peut être qualifié de « deep processing (analysis, inferencing)[5] » (VYATKINA 2020 : 362). Ce traitement des données, par les apprenants, déclenche des activités métalangagières et métacognitives qui vont déclencher elles-mêmes des moments opportuns d’apprentissage. Cependant, cette méthodologie est éloignée des méthodologies didactiques traditionnelles, elle mérite donc d’être accompagnée afin qu’enseignants, formateurs et apprenants puissent en tirer profit.

3. L’accompagnement du dispositif par des exemples

La diffusion de corpus, outillés d’un concordancier, présente un potentiel immense pour les enseignants et les apprenants de langue, comme nous l’avons mentionné précédemment, notamment en termes d’exposition à la langue cible et à ses variations ainsi qu’en termes d’activités didactiques à proposer. Toutefois, ces corpus et leurs outils sont généralement constitués et exploités par et pour des linguistes, experts dans leur manipulation. A cette difficulté technologique s’ajoute la démarche didactique proposée, éloignée des pratiques pédagogiques habituelles et plus traditionnelles. Il semble donc nécessaire de prévoir un accompagnement, une formation des enseignants ou la création de guides pour introduire l’approche sur corpus dans les salles de classe ou pour faciliter leur exploitation en autonomie (KERR 2013). L’objectif est de rendre accessible le DDL à des enseignants non formés à la didactique de corpus et de combler le fossé entre la théorie et la pratique. Nous nous associons à CHAMBERS (2019 : 5) qui regrette le manque de diffusion aux praticiens :

Indeed, one of the reasons for the research–practice gap may well be that the means of dissemination of the research, namely the research articles or book chapters, are very often published in collections, such as special issues of journals or edited volumes, which are aimed primarily at other specialists and not at non-specialist practitioners[6].

C’est dans cette perspective que nous développons l’accompagnement du dispositif FLEURON. Nous cherchons à rendre abordable le DDL pour des enseignants et des apprenants. Cet accompagnement est disponible sur le site du projet FLEURON : https://projet-fleuron.atilf.fr/. Ce site présente différents aspects liés au dispositif : les recherches en cours et les publications, mais également des tutoriels abordant les aspects techniques, pratiques et didactiques du dispositif, ou encore des fiches descriptives de certaines interactions. Le site propose également plusieurs exemples d’utilisations concrètes du dispositif, par des enseignants et des apprenants, dans le but de les sensibiliser à la (socio)linguistique de corpus et de leur donner les outils nécessaires pour intégrer cette pratique dans leurs salles de classe. Nous avons choisi de montrer des utilisateurs en train de faire, afin d’aller au-delà de la description et des explications des savoirs et des savoir-faire techniques et didactiques. Nous illustrons les utilisations du dispositif par différents exemples afin de proposer un panel varié d’apprenants, d’enseignants, de formateurs, d’objectifs d’enseignement et d’apprentissage et de contextes de formation.

Les exemples que nous avons choisis d’analyser ici ont été filmés à l’Université de Lorraine, au Département de Français Langue Etrangère (DéFLE) de Nancy. Ils montrent des étudiants/apprenants travaillant en binôme et des enseignants lors de leur utilisation de FLEURON et de leur pratique du DDL. Ils ont été enregistrés, soit avec une caméra posée sur un trépied pour filmer l’enseignant ou la restitution des travaux des binômes à la classe, soit avec le logiciel libre OBS[7] pour filmer les binômes d’apprenants ainsi que leur écran afin de suivre leur navigation dans le dispositif. Nous avons choisi d’intégrer ces exemples au site d’accompagnement du dispositif FLEURON parce qu’ils illustrent différents aspects. Ils permettent de rendre compte des activités métalangagières et métacognitives réalisées par les apprenants (en binôme ou en salle de classe) lors de l’analyse des variations sociolinguistiques du français, de la variété des pratiques pour accomplir une activité langagière, des transpositions graphies-phonies ou encore de l’usage d’une expression temporelle. Ces exemples montrent également de quelles façons les apprenants trouvent leurs propres astuces et se mettent eux-mêmes en situation.

3.1. Une analyse sociolinguistique de « grave »

Nous prenons ici l’exemple du binôme JOA et SAN[8], qui a décidé d’interroger le concordancier du dispositif pour en savoir davantage sur le mot « grave ». Ils avaient rencontré ce terme au cours d’une autre vidéo dans l’énoncé « euh ouais grave », qui avait attiré leur attention puisque porteur d’un sens éloigné de celui qu’ils connaissaient déjà (comme dans l’énoncé « c’est pas grave »). JOA et SAN ont donc décidé de le chercher dans le concordancier et d’analyser les occurrences correspondant à l’utilisation qu’ils ne maîtrisaient pas. Au cours d’autres séances, lorsqu’il leur était demandé d’analyser une pratique langagière, les participants devaient également s’intéresser au contexte dans lequel cette pratique était employée. Ainsi, JOA et SAN ont appliqué la même méthode à « grave ».

 

Image 4 : Binôme JOA et SAN faisant l’analyse sociolinguistique de « grave ».

Extrait 1 – Début de l’échange entre JOA et SAN[9]

1 JOA (cherche « grave » dans le concordancier) (choisit une vidéo et lit la description en insistant sur « étudiante »)
2 SAN ah une étudiante
3 JOA donc c’est assez c’est assez euhm pas formel
4 SAN oui c’est pas formel
5 JOA (prend des notes) euh contexte informel entre amis entre amis est-ce qu’il y a un s après entre pour que il y a plusieurs pluriels amis↑

Nous le voyons l.1 et l.2, tous deux s’exclament lorsqu’ils lisent « une étudiante » dans la description qui accompagne la ressource. Ils comprennent alors que « grave » est utilisé ici entre un doctorant et une étudiante, donc en contexte relativement informel entre deux jeunes personnes. JOA en conclut l.3 : « c’est assez pas formel », SAN ratifie son explication par « oui c’est pas formel » l.4, puis JOA formalise leur réflexion en prenant en notes « contexte pas formel, entre les amis/doctorant raconte à une étudiante » (voir image 5) et SAN écrit « grave → informelle, entre des amis » (voir image 6).

 Image 5 : Notes personnelles prises par JOA lors du travail sur « grave ».

 

 Image 6 : Notes personnelles prises par SAN lors du travail sur « grave ».

Les deux apprenants ont mis à profit les métadonnées à disposition pour mieux comprendre le contexte dans lequel « grave » a été énoncé et ainsi en dégager une analyse sociolinguistique. Deux autres occurrences de ce type sont présentes dans le corpus, également utilisées par de jeunes locuteurs, entre amis lors d’une conversation autour d’un jeu de société. L’analyse des autres occurrences de « grave » a été réalisée en créant des catégories grâce aux cotextes droit et gauche (« c’est/ce n’est (très) pas grave », « c’était grave difficile », « c’est grave grave bien »).

3.2. Plusieurs pratiques pour une même activité langagière

Dans certains cas, les apprenants utilisent le dispositif pour enrichir leur répertoire lexical. Nous prenons l’exemple de ARM et JUL qui rencontrent l’expression « tout à fait » au cours d’une vidéo. ARM remarque que, bien qu’elle la connaisse, elle ne sait pas l’utiliser, comme nous pouvons le voir dans l’extrait suivant :

Extrait 2 – Début de l’échange entre ARM et JUL

1 ARM tout à fait pour un dossier par exemple je n’utilise pas tout à fait
2 JUL tout à fait
3 ARM tout à fait c’est comme ok oui
4 JUL tout à fait ouais
5 ARM oui c’est c’est j’aime bien ce mot
6 JUL oui moi aussi
7 ARM je ne sais pas comment on l’utilise par contre
8 JUL mais oui parce que je on on on se souvient pas c’est ça moi aussi il y a beaucoup de mots que je sais comment utiliser
9 ARM c’est ça
10 JUL je connais
11 ARM oui
12 JUL mais quand je parle je me souviens pas

Un peu plus tard, ARM dit : « je dis toujours par exemple ok » et réalise ainsi qu’il lui manque des synonymes pour exprimer son accord ou son approbation et qu’elle pourrait employer moins souvent le terme « ok ». Les apprenantes terminent leur exploration de « tout à fait » en concluant : « tout à fait c’est joli ça » et se donnent pour tâche de l’utiliser en interaction.

ARM propose ensuite « effectivement », en précisant : « j’aime bien aussi effectivement », comme alternative à « ok », sans en connaître la signification. Elle demande à en écouter un exemple. Toutes deux ont le réflexe de lancer une recherche dans le concordancier et lorsque les résultats s’affichent, JUL propose à ARM de visionner l’occurrence de son choix. Celle-ci prend d’abord son temps pour lire plusieurs lignes de concordance et vérifier son hypothèse selon laquelle « effectivement » peut remplacer « ok », et verbalise son incompréhension à JUL par « je ne comprends pas effectivement qu’est-ce que signifie ». Nous pouvons examiner le cheminement des apprenantes dans l’extrait suivant :

Extrait 3 – Analyse de « effectivement » par ARM et JUL

27 ARM je ne comprends pas effectivement qu’est-ce que signifie
28 JUL effectivement c’est effectivement (rires)
29 ARM hmm tu es très claire tu as réfléchi beaucoup pour trouver le synonyme (rires)
30 JUL oui oui beaucoup j’ai fait beaucoup d’efforts pour t’expliquer bien effectivement oui c’est::
31 ARM attends on regarde↑
32 JUL oui allez
33 ARM wow c’est très long (regarde la vidéo)
34 JUL c’est concrètement vraiment
35 ARM ok vraiment
36 JUL effectivement

JUL tente de lui expliquer en vain et les apprenantes plaisantent sur la tentative de définition (l.28). ARM propose de visionner une ressource pour essayer de déduire le sens (l.31). Elles décident de commencer leur visionnage plus en amont que ce qui est automatiquement proposé, de façon à pouvoir placer « effectivement » dans un contexte plus large, avant de discuter de leurs hypothèses. JUL propose deux synonymes, l.34 : « c’est concrètement vraiment », que ARM accepte en répétant « ok vraiment » l.35. L’objectif initial de ARM était de relever plusieurs variétés de « ok » pour développer son éventail de pratiques, ce qu’elle fait en ajoutant à sa liste « tout à fait » et « effectivement ».

Dans ce cas, les recherches et l’analyse de certaines occurrences ont permis aux apprenantes d’accéder au sens d’éléments non maitrisés. Cet extrait ne montre qu’une petite partie de la démarche mise en œuvre par les apprenantes. Dans certains cas, celle-ci peut être longue, faite de retours en arrière, de tâtonnements et de nouvelles recherches avant d’induire les règles de fonctionnement des éléments recherchés. Selon leurs difficultés de maitrise de la langue, les apprenants font parfois des catégories de phénomènes assez larges (bien plus que celles que pourraient faire des linguistes) mais suffisantes pour comprendre les apparitions de ces phénomènes en interaction et pour les utiliser de façon appropriée.

3.3. Des mises en situation

A la suite de cette discussion, ARM et JUL décident de visionner la ressource intitulée « Musée lorrain à Nancy » sur la demande de ARM qui était intéressée par le contenu culturel du dispositif. JUL pense que le musée est momentanément fermé et en fait part à ARM. Parallèlement, JUL propose de « créer une situation » pour utiliser un terme auquel elles s’étaient intéressées plus tôt dans la séance. Pour répondre à la demande de ARM, elle cherche « musée lorrain » dans un moteur de recherche et s’aperçoit que l’établissement est bien fermé.

Extrait 4 – Mise en situation de JUL et ARM

1 JUL et je crois que c’est fermé le musée maintenant
2 ARM ah bon↑ je ne sais pas et après c’est nous allons regarder autre↑
3 JUL je vais créer une situation pour nous utiliser un mot un mot que on a appris
4 ARM ok je réponse
5 JUL attends (cherche « musée lorrain » dans le moteur de recherche) oui EFFECTIVEMENT (geste) le musée est fermé maintenant
6 ARM (rires)
7 JUL tu as vu↑ ah ah (gestes)

Elle s’exclame l.5 : « oui EFFECTIVEMENT le musée est fermé maintenant », en insistant sur l’adverbe. En réutilisant le terme « effectivement » que le binôme avait analysé lors d’une précédente recherche dans le concordancier, JUL démontre qu’elle en a acquis le sens et l’utilisation correcte dans un énoncé.

3.4. La fréquence d’utilisation

Ce même binôme souhaite ensuite faire part de sa découverte aux deux enseignantes (CLA et FLO). JUL explique qu’elle vient de créer une situation pour utiliser le mot qu’elle vient d’apprendre. ARM précise qu’elles connaissaient déjà le terme mais qu’elles « oubliaient » de l’utiliser. CLA demande si le terme « effectivement » est très présent dans le corpus, puis FLO fait la recherche dans le concordancier, qui affiche 53 occurrences. Le dispositif est ici utilisé pour vérifier la fréquence d’utilisation, et ARM conclut « oui c’est utilisé » . Si nous comparons le nombre d’occurrences de « effectivement » (53) avec celui de « tout à fait » (28) et celui de « en effet » (6), il est exact de dire qu’ « effectivement » est utilisé et qu’il n’est pas rare en français parlé.

Un autre exemple tentant de répondre à la question de la fréquence d’apparition d’un phénomène, également disponible sur le site du projet, apparait lorsqu’un enseignant explique le fonctionnement du concordancier à sa classe. Pour illustrer la démarche, il cherche « ouais » dans le concordancier.

Extrait 5 – Présentation du concordancier en classe et des 932 occurrences de « ouais » dans le corpus

WIL donc ici ouais on va voir que c’est un mot qui est (fait défiler les lignes de concordances)
ETU ah ah (rires)
WIL très utilisé ou pas beaucoup utilisé ↑
ETU très utilisé
WIL voilà et c’est ça qui va être aussi très intéressant c’est de regarder si le mot que vous cherchez est très utilisé par les étudiants ou les personnels qui travaillent à l’université ou est-ce que c’est un mot qui n’est presque jamais utilisé donc ça vous permet de savoir si c’est un mot qui est important et donc il faut essayer de l’utiliser et de le connaitre si c’est un mot que vous voyez qu’une fois c’est peut-être pas nécessaire de l’apprendre

Après avoir expliqué la démarche du DDL pour analyser les occurrences de « ouais », l’enseignant ajoute que la recherche d’occurrences permet également de savoir si un mot est fréquemment utilisé ou pas, donc pertinent à apprendre ou non selon lui. Plusieurs exemples de présentation du fonctionnement du concordancier sont présents sur le site qui accompagne le dispositif dans la mesure où cet outil n’est pas un outil habituellement utilisé par les enseignants de FLE. Ces présentations peuvent servir non pas de modèles mais d’exemples pour les enseignants qui voudraient mettre en place la méthodologie du DDL.

3.5. Comprendre une expression temporelle

Nous accompagnons également les enseignants qui souhaitent utiliser le dispositif en leur montrant des extraits de situations de classe. Un des exemples présents sur le site est un film de 3 minutes 45 secondes d’une enseignante qui fait une séance de DDL avec son groupe d’apprenants.

Image 7 : Séance collective de DDL en salle de classe.

Dans cet extrait, l’enseignante recherche « tout à l’heure » dans le concordancier, projette les résultats, et commence par demander à ses apprenants (non visibles sur la vidéo) s’ils connaissent l’expression « tout à l’heure ». Tous répondent positivement à la question et certains ajoutent « bien sûr », pour insister sur l’évidence. Toutefois, même si un des apprenants du groupe a un niveau plus avancé que les autres en français, la première réaction est « ça fixe le temps pas très loin un peu proche mais dans le futur ». L’enseignante analyse chacune des occurrences de « tout à l’heure » (cf. point 2) en pointant les indices temporels (exprimant le futur ou le passé) ainsi que la salutation. Ces exemples permettent à d’autres enseignants d’observer facilement les pratiques liées à la démarche proposée, de se les approprier et de les reproduire.

3.6. Transposition graphie-phonie

Outre les aspects sociolinguistiques, lexicaux ou grammaticaux majoritairement travaillés par les apprenants, nous avons noté des utilisations visant un éclairage phonologique. Nous illustrons cette utilisation par le travail du binôme KOK et JUL. Ces deux participantes ont fait part de leurs difficultés à discriminer les phonèmes [e] et [ɛ]. Dans sa langue première, le portugais, JUL explique que les différences entre les sons sont plus tranchées : « c’est plus noir et blanc c’est plus clair », ce qui explique en partie ses difficultés en français. KOK fait part de son astuce personnelle qui consiste à choisir un terme qui contient les deux sons, ce qui lui permet ainsi d’entendre les nuances : « parce que pour moi par exemple je l’utilise élève pour faire la différence ». Le binôme cherche alors d’autres mots dans lesquels il entend ces deux phonèmes, pour les chercher dans le concordancier et visionner par la suite les ressources afférentes. En écoutant l’énoncé « j’ai rencontré une grève de bus », KOK affine son écoute et accompagne la formalisation de ses perceptions par des gestes : elle fait un geste de la main vers le haut lorsqu’elle dit « rencontré » et vers le bas lorsqu’elle dit « grève ». Nous voyons qu’elle commence à percevoir plus clairement l’opposition, et la précise : « grève c’est plus court pour le grève le le le le aigu c’est long » et avec « grève c’est [ɛ:] comme grève grève eh oui c’est plus court c’est c’est c’est oui c’est vraiment plus court le aigu c’est plus long ». Elle a ainsi développé sa propre astuce pour différencier les deux sons en écoutant les locuteurs du corpus. La confusion entre la voyelle ouverte et fermée est levée grâce aux possibilités du concordancier et les explications des apprenantes sont validées par l’enseignante. JUL, de son côté, semble avoir une révélation après avoir écouté l’énoncé « j’ai rencontré une grève » et s’exclame : « mais c’est tout le contraire français [ø] pour moi c’est <e> avec accent circonflexe tous les autres sont le contraire du portugais ».

Image 8 : Binôme KOK et JUL sur la discrimination des phonèmes [e] et [ɛ].

 

Image 9 : Notes personnelles prises par KOK et JUL lors du travail sur la discrimination des phonèmes [e] et [ɛ].

JUL prend ainsi conscience des différences phonétiques entre le portugais et le français, qui se répercutent sur la graphie. Tout comme KOK qui avait développé son astuce avec les sons « court » et « long », JUL choisit l’opposition « ouvert » et « fermé ». Un peu plus tard dans leurs analyses, JUL relève le terme « arrivé », qu’elle pointe du doigt. C’est en effet grâce à la multiplicité des exemples que les participantes peuvent observer des récurrences (« c’est le même accent ») et dégager leurs propres règles : « donc le aigu aigu c’est [e] rencontré arrivé [e] et le grave c’est [ɛ] grève concrètement ».

3.7. Des astuces individuelles

Lors de la restitution de leurs résultats en groupe-classe, le binôme KOK et JUL explique très bien sa démarche en distinguant leurs deux approches : « on a pas trouvé la même façon d’expliquer » (l.4). Nous le voyons dans l’extrait suivant :

Extrait 6 – Début de la restitution du travail en binôme de KOK et JUL

1 KOK on a com- on a cherché les accents parce que (rires) on a des problèmes avec les accents l’accent aigu et l’accent grave et on a cherché seulement on a cherché seulement élève
2 JUL ah oui c’est ça
3 KOK (écrit au tableau) élevé et élève donc euh beaucoup de temps moi j’ai eu des problèmes quand j’écris je savais pas trop où mettre surtout pour le accent grave et oui même pour toi (montre JUL) et on a trouvé que pour le accent grave quand on parle le son est plus bas enfin pour moi je trouve que le son est plus bas
4 JUL ouais on a pas trouvé la même façon d’expliquer
5 KOK oui
6 JUL KOK elle dit que le son est plus bas pour moi le son c’est plus ouvert
7 KOK oui donc élève pour moi j’ai j’ai j’écouté le son et j’entends que c’est plus bas pour elle
8 JUL pour moi c’est plus ouvert
9 KOK et pour différencier avec le accent aigu euh moi je trouve que le son est plus haut je vais dire élevÉ donc le son est plus *** il me semble toujours plus haut et elle elle a trouvé que
10 JUL c’est plus fermé (rires)

De façon très intéressante, JUL déclare ensuite (8 tours de parole après le dernier de la transcription ci-dessus) : « en fait on a pas on a pas cherché les règles les vraies règles euh on a essayé de faire une règle qui pour nous il y a le sens ». Nous voyons ici que le binôme s’est parfaitement approprié la démarche d’apprentissage sur corpus en ne cherchant pas à dégager les « vraies règles » de prononciation, mais bien en créant les leurs, en des termes qui leur sont propres. Chacune a ainsi développé ses astuces personnelles en se basant sur ses ressentis, en comparant avec sa langue première, etc.

Conclusion

En proposant un accompagnement du dispositif FLEURON, nous avons voulu faciliter la transition des aspects théoriques qui régissent la sociolinguistique et la didactique de corpus aux pratiques pédagogiques. L’exploitation de corpus oraux multimodaux à des fins d’apprentissage et d’enseignement de la compétence interactionnelle n’est encore que rarement intégrée aux cours de FLE, car parfois jugée trop complexe à mettre en application. Ainsi, nous cherchons à la rendre plus accessible en proposant plusieurs exemples concrets d’utilisation, de la part d’apprenants et d’enseignants, et ainsi accompagner des nouvelles démarches didactiques. Le recours aux corpus peut se montrer bénéfique à plusieurs égards comme nous l’avons illustré dans cet article : analyse sociolinguistique, développement du registre lexical, transposition graphie-phonie, compréhension des règles de fonctionnement de la langue, etc. Nous espérons, par la diffusion d’un nombre grandissant d’exemples, profiter aux professionnels qui souhaiteraient utiliser le DDL dans leur salle de classe de façon plus régulière. L’application de cette méthodologie permet notamment le développement de compétences métalinguistiques, qui produisent par conséquent une meilleure conscience langagière (COUSINARD 2022).

Le site du projet FLEURON permet aussi aux enseignants qui le souhaitent, dans l’onglet « Participez ! », d’aider à l’évolution du corpus du dispositif, en envoyant leurs propres vidéos d’interactions, et à l’enrichissement du site d’accompagnement en partageant leurs expériences d’utilisation. Nous mettons à disposition un « guide de bonnes pratiques » pour le recueil de données, listant les aspects méthodologiques et techniques à prendre en compte et quelques idées de thématiques dont les contributeurs peuvent s’inspirer. En ce qui concerne les expériences d’utilisation, nous pouvons recevoir des vidéos filmées directement en salle de classe pour partager une pratique, ou bien des témoignages écrits, audio ou vidéo. Les utilisateurs du dispositif sont également invités à faire part à l’équipe du projet de toute ressource qu’ils souhaiteraient voir figurer dans le corpus. Nous souhaitons de cette façon impliquer les utilisateurs et diffuser le dispositif tant que possible dans les salles de classe pour faire profiter des avantages certains du DDL.

 

Bibliographie

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[1] https://fleuron.atilf.fr/

[2] « l’utilisation en classe de concordances générées par ordinateur pour amener les étudiants à explorer les régularités des modèles dans la langue cible, et le développement d’activités et d’exercices basés sur les résultats des concordances » (Notre traduction).

[3] « Enfin, et c’est important pour les lecteurs de cette revue, de plus en plus d’éléments empiriques montrent que le DDL fonctionne non seulement pour l’anglais, mais aussi pour les langues étrangères » (Notre traduction).

[4] Le corpus FLEURON est sans cesse enrichi, le nombre d’occurrences est donc amené à évoluer. En novembre 2023, le corpus compte un presque 17 heures d’enregistrement.

[5] « traitement approfondi (analyse, inférence) » (Notre traduction)

[6] « En effet, l’une des raisons du fossé entre la recherche et la pratique pourrait bien être que les moyens de diffusion de la recherche, à savoir les articles de recherche ou les chapitres de livres, sont très souvent publiés dans des collections, telles que des numéros spéciaux de revues ou des volumes coordonnés, qui s’adressent principalement à d’autres spécialistes et non à des praticiens non-spécialistes. » (Notre traduction).

[7] https://obsproject.com/ (consulté le 21/05/2023).

[8] Les exemples impliquant des étudiants présentés dans cet article sont extraits de l’étude longitudinale menée par Clara Cousinard dans le cadre de sa thèse de doctorat. Un des objectifs de cette étude consiste à comprendre comment les apprenants s’approprient le dispositif et quelles en sont leurs utilisations, après avoir travaillé avec de façon plus médiée pendant plusieurs semaines.

[9] Conventions de transcription : (x) indiquent les gestes, regards, et manipulations d’objets ; ↑ indique une intonation montante ; :: indiquent un allongement ; *** indiquent un passage inaudible ; les majuscules indiquent une saillance perceptuelle.

 


Per citare questo articolo:

Virginie ANDRE, Clara COUSINARD, «Accompagner l’exploitation de corpus pour apprendre à interagir : des exemples d’utilisation pour passer de la théorie à la pratique», Repères DoRiF, n. 28 – Entre le théorique et l’expérientiel : l’oral en didactique du FLE. Questionnements et perspectives, DoRiF Università, Roma, novembre 2023, https://www.dorif.it/reperes/virginie-andre-clara-cousinard-accompagner-lexploitation-de-corpus-pour-apprendre-a-interagir-des-exemples-dutilisation-pour-passer-de-la-theorie-a-la-pratique/

ISSN 2281-3020

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