Yannick Hamon

Appréhender l’erreur à l’écrit en classe de FLE : rôle des erreurs et pistes de remédiation

Yannick HAMON
Università di Bologna
yannick.hamon@unibo.it


Résumé

Notre travail s’inscrit dans le cadre d’une formation visant les enseignants de collège-lycée. Co-organisée par le Do.R.I.F. et la Fédération des Alliances Françaises d’Italie, cette séance de formation vise le traitement didactique de l’erreur. Notre contribution porte spécifiquement sur l’erreur en production écrite.
La première partie de notre article est consacrée au statut et à la perception de l’erreur à l’écrit en didactique des langues et du FLE.
La deuxième partie vise une définition et une catégorisation de l’erreur.
La troisième partie a pour objet les pratiques pédagogiques et les possibilités didactiques offertes par le recours aux technologies (wiki, outils de révision formelle).
Enfin, nous conclurons par une synthèse des principaux points abordés et reviendrons plus particulièrement sur le rôle constructif de l’erreur.


Introduction

Cet article fait suite à l’intervention que nous avons proposée à Matera et à Venise dans le cadre des Formations Atelier FLE co-organisée par le Do.R.I.F. et la fédération des Alliances Françaises d’Italie. Notre propos est de revenir sur un axe de recherche abondamment traité des années 1970 aux années 1990 mais qui a ensuite été un peu mis de côté : le traitement de l’erreur à l’écrit. Dans la mesure où l’écrit constitue un support de communication culturellement et socialement situé, il nous a paru important d’aborder le statut et la perception de l’erreur à l’écrit en didactique des langues et en didactique du FLE. Qu’il s’agisse des approches pédagogiques ou des approches didactiques, les erreurs des apprenants soulèvent des problématiques relatives aussi bien à leur nature qu’à leur remédiation.

Mais avant de passer à la dimension praxéologique, il s’agit de définir l’erreur en didactique du FLE et d’en proposer une catégorisation afin de mieux la cerner dans sa complexité.

Le cheminement que nous avons adopté nous conduit ainsi, dans une perspective plus liée aux pratiques enseignantes, à aborder les principes et moments clés de l’intervention pédagogique attachés à la remédiation des erreurs, qu’il s’agisse du type d’écrit utilisé en input, de la révision ou encore de l’archivage.

Enfin, comment ne pas envisager les possibles didactiques permis par les propriétés des technologies ? Outils collaboratifs, traitement de texte se sont sensiblement diversifiés et permettent aujourd’hui aux enseignants de concevoir, de proposer des tâches mais aussi de signaler les erreurs, de les annoter ou encore de les archiver. Toutefois, leur utilisation nécessite un cadrage méthodologique et un recul critique.

1. La place de l’écrit dans les méthodologies d’enseignement du FLE

Cornaire et Raymond (1999 : 4-13) font observer que la place de l’écrit d’abord prédominante au moment de la méthode grammaire-traduction tend ensuite à perdre du terrain avec la méthode audio-orale et la méthode Structuro-Globale-AudioVisuelle (SGAV). En effet, dans ces deux approches, l’on tend à concentrer tous les efforts sur l’apprentissage de l’oral. Cette centration quasi exclusive sur l’oral est en partie due à une réaction de rejet vis-à-vis de l’enseignement de l’écrit, qui a longtemps été marqué par le recours aux textes littéraires et une décontextualisation de l’écrit se traduisant par des exercices artificiels et peu motivants (CORNAIRE et RAYMOND, 1999 : 5)

L’écrit reprend de l’importance sous l’impulsion des approches communicative et cognitive, qui s’efforcent d’articuler apprentissage de l’oral et apprentissage de l’écrit (BIBEAU, 1986). Malgré un regain d’intérêt, la production écrite reste, malgré tout, fortement ancrée dans une logique d’apprentissage normatif de l’écrit où la grammaire et le lexique jouent un rôle quasiment exclusif. Toutefois, vers la fin des années 1970, sous l’impulsion des travaux en linguistique pragmatique qui ont abouti à la notion d’actes de parole[1], l’on s’efforce de centrer l’expression écrite sur des besoins langagiers établis. Le statut de l’erreur change également (MOIRAND, 1979 : 157-158). Celle-ci ne doit plus « bloquer » la production du fait de la crainte par les apprenants de ne pas respecter les codes syntaxiques et grammaticaux. Enfin, l’on passe progressivement d’une approche segmentée (le mot, la phrase ou le paragraphe) à une approche globalisante (au niveau du message textuel), où l’on s’efforce davantage de libérer la créativité des apprenants. Il s’agit de conduire ces derniers à une attention plus soutenue sur les éléments de haut niveau (sens) afin de ne pas susciter de blocages sur les éléments de bas niveau (forme), privilégiant ainsi une approche de type top-down (ou onomasiologique). En Didactique du Français Langue Maternelle (désormais désignée sous l’acronyme DFLM), Barré-de-Miniac (1995 : 120) souligne le rôle de l’écriture en tant que support cognitif pour d’autres apprentissages, tandis que Bronckart (2005) insiste sur les apports des recherches en anthropologie et en sociologie. Outre les aspects cognitifs (liés au sujet) et textuels (liés à l’objet), le statut social et l’importance culturelle accordée à l’écrit constituent, selon Goody (1979, 1986), l’un des fondements des sociétés occidentales. Or, la sacralisation de l’écrit peut susciter, surtout en France, où la norme langagière fait loi, des effets d’exclusion sociale conduisant à des effets d’insécurité scripturale chez les apprenants (DABÈNE 1987, 1996 ; BARRÉ-DE MINIAC 1995 ; BRONCKART 2005 : 366) : du fait de la crainte des erreurs, Dabène fait remarquer que les apprenants hésitent à écrire ou qu’ils se concentrent sur les éléments langagiers de bas niveau (normes orthographiques, grammaticales). En somme, dans une société basée sur la transmission écrite, la non-maîtrise des codes formels (syntaxe, grammaire, orthographe) peut être discriminante, notamment pour l’accès à l’emploi ou pour la communication avec les administrations publiques. C’est pourquoi l’écrit constitue un enjeu majeur pour les apprenants de FLE, comme pour les élèves français.

Sous l’impulsion des travaux du Conseil de l’Europe (2001, 2018), et de ceux de Puren (2004, 2009), la perspective (co)actionnelle poursuit la recherche de l’équilibre entre oral et écrit. L’enseignement/apprentissage (désormais désigné sous l’acronyme E/A) du français écrit s’opère ainsi, depuis les années 2000, dans la perspective proactive des « agirs sociaux » et de genres authentiques, s’alignant en outre sur des situations de la vie quotidienne ou de la vie professionnelle. Aujourd’hui, la didactique de l’écrit est dominée par la notion de littéracie (BARTON et HAMILTON, 2010 ; DAVID, 2015) et de littéracie numérique (GERBAULT, 2012) qui, au-delà de l’alphabétisation, intègrent aussi bien le rapport étroit entre réception et production de l’écrit que l’acquisition des compétences numériques associées à l’écrit scolaire, universitaire et professionnel telles que la recherche de documentation ou la restitution de sources documentaires.

En FLE, le croisement des approches actionnelles et des travaux sur les littéracies a suscité une prise en compte plus large des différents types d’écrits, qui s’ajoutent aux écrits scolaires (résumé, dissertation, commentaire, explication de texte, dictées). Cet élargissement du répertoire textuel (BRONCKART, 2005 : 369) se traduit en DFLM comme en FLE par l’intégration de pratiques visant des écrits domestiques et pragmatiques (correspondance administrative, listes de courses, modes d’emploi, notices pharmaceutiques, petites annonces etc.), d’écrits professionnels (le curriculum vitae, la lettre de motivation pour la recherche d’un emploi, correspondance interne, mémos, synthèses, présentations de produits etc.) ou d’écrits discursifs et sociaux (discours politique, slogans, publicité, articles de journaux, commentaires et interactions sur la presse en ligne). Et ce, sans renoncer aux écrits ludiques, créatifs et poétiques qu’intègre d’ailleurs la version enrichie du CECRL (Conseil de l’Europe 2018).

2. L’erreur à l’écrit

2.1 Évolution de la conception et du rôle de l’erreur

Jusque dans les années 1960, l’erreur a pu être envisagée comme un obstacle, une faiblesse de l’apprenant ou tout simplement ignorée voire exclue de l’apprentissage (DEMIRTAS, 2009 : 126).

Les travaux sur l’interlangue de Corder (1980) et Selinker (1972), relayés en France par Besse et Porquier (1984) ont fortement contribué à faire évoluer la représentation didactique de l’erreur en langue étrangère. Couplés aux recherches constructivistes de Freinet en pédagogie (1949, 1964), les travaux sur l’interlangue permettent d’envisager l’erreur non seulement comme un phénomène inhérent à l’acte d’apprendre mais aussi comme un ressort de l’apprentissage, qu’il convient de comprendre et d’analyser (MOIRAND, 1979), afin de proposer des stratégies de remédiation (CORNAIRE et RAYMOND, 1999). Justo-Meza souligne :

« Sous l’approche écrit-parole, l’erreur est vue comme quelque chose de positif qui montre le niveau d’appropriation de la langue cible ; sous l’approche écrit-langue les erreurs sont pénalisées à la moindre petite apparition, elles sont une preuve des défaillances de l’apprenant » (JUSTO-MEZA, 2007 : 105).

Le souci de prendre en compte l’identification et le traitement de l’erreur se justifie par la volonté de répondre à sa portée anxiogène (ASTOLFI, 1997 : 118). Depuis quelques décennies, nous nous sommes progressivement éloignés de la « faute », chargée de connotations négatives, qui a longtemps participé à la culpabilisation des apprenants et conduit à des effets contre-productifs chez ces derniers (augmentation du stress, baisse de l’estime de soi, inhibitions).

2.2 Définition et catégorisation de l’erreur en didactique des langues

Calvé définit l’erreur comme « une notion relative dont l’identification et le traitement dépendent en grande partie du jugement de l’enseignement quant à ce que chacun de ses étudiants est vraiment capable de produire relativement à la langue des autochtones » (CALVÉ, 1992 : 46). Pour Cuq (2004 : 269), « l’erreur en didactique des langues est considérée comme la transgression d’une norme jugée comme bonne » ou comme « un écart par rapport à la représentation d’un fonctionnement normé » (CUQ, 2004 : 86). L’on fera remarquer que ces deux notions de norme et d’écart à la norme envisagent l’erreur dans sa subjectivité, sa relativité et sa variabilité[2].

Demirtaş distingue quant à lui l’erreur conçue comme le résultat « de la méconnaissance d’une règle de fonctionnement » de la faute, qui désigne un oubli, ou une inattention passagère de l’apprenant, qui connaît la règle de fonctionnement, mais ne l’applique pas ponctuellement (DEMIRTAS, 2009 : 126). Pourtant, cette perception d’une faute-distraction n’est pas partagée dans l’inconscient collectif des praticiens : la faute renvoie beaucoup plus à quelque chose de blâmable associé à l’évaluation-sanction (que l’on pense aux barèmes de notation des dictées ou des thèmes conduisant à des notes négatives). La faute est plus crainte et plus diabolisée que l’erreur. De plus, dans de nombreux contextes, elle ne s’applique exclusivement et systématiquement qu’aux écarts de forme sans prendre en compte les réussites créatives et/ou communicatives.

Tagliante identifie cinq types d’erreurs « de type linguistique, phonétique, socioculturel, discursif et stratégique » (TAGLIANTE, 2001 : 152-153), tandis que Demirtaş (2009 : 129-130) distingue plus globalement deux grandes catégories : au niveau macrosegmental, peuvent intervenir des erreurs de contenus incluant le respect de la consigne, l’adéquation au type de texte visé par la production, la cohésion et la cohérence textuelle. Au niveau microsegmental, les erreurs de forme (syntaxiques, lexicales, morphologiques et orthographiques) peuvent affecter les productions des apprenants au niveau du groupe nominal, du groupe verbal ou de la proposition (DEMIRTAS, 2008 : 181). L’auteur souligne l’importance des erreurs macro-segmentales relatives à l’architecture du texte, davantage susceptibles d’affecter la compréhension par un locuteur natif du texte produit par l’apprenant de FLE.

Besse et Porquier (1984 : 210) font quant à eux la distinction entre erreurs intralinguales (dues à la langue maternelle des apprenants) et erreurs interlinguales (intériorisation de la grammaire étrangère à même de faire commettre des erreurs par généralisation analogique). Cette distinction devient d’autant plus importante lorsque les deux langues en présence sont des langues voisines, comme c’est le cas de l’italien et du français. En effet, si le voisinage linguistique peut susciter des erreurs de calques de structures et de lexique (JAMET : 2009), il peut également aider les apprenants, comme le souligne Dabène (1996 : 398). Le voisinage linguistique constitue un apport et peut fonctionner comme une bouée de sauvetage pour l’apprenant dans les premières phases de l’apprentissage, notamment pour ce qui est de la compréhension (JAMET, 2009). Par la suite, le contact des deux langues suscite, chez les apprenants français et italiens, des erreurs de nature essentiellement microsegmentales qui affectent les productions écrites (syntaxe, morphologie, orthographe). Le problème essentiel des enseignants et des apprenants de FLE réside dans la fossilisation des erreurs :

« Le terme de fossilisation fait ici référence au phénomène de la permanence, chez un apprenant, dans l’état de développement de sa L2, de formes déviantes ou erronées, qui continuent de se produire en dépit de la poursuite d’une exposition à la L2, d’une pratique systématique, ou encore, des explications d’un enseignant. La fossilisation linguistique ne signifie pas la cessation de l’apprentissage mais bien la stabilisation de formes linguistiques erronées ». (GASS et SELINKER, 1994)

Or, la prégnance des erreurs dues aux interférences entre l’italien et le français peut aussi bien servir de levier pour l’apprentissage que susciter des situations anxiogènes chez les apprenants comme chez les enseignants qui, dans le dernier cas, peuvent tous deux ressentir cette persistance des erreurs fossilisées comme un échec. Prendre conscience de cette grande difficulté permet d’une part de dédramatiser mais aussi de proposer des interventions ciblées sur les erreurs type les plus fréquentes (la confusion entre les pronoms relatifs « qui » et « que », les omissions d’article, le comparatif et le superlatif pour ne prendre que quelques exemples…). Cela nous amène à nous pencher sur la nature et les modalités de l’intervention didactique.

2.3 Le lien oral-écrit et la compétence orthographique

L’une des plus grandes difficultés des apprenants italophones, mais aussi d’autres apprenants, dont les élèves français eux-mêmes (FAYOL, 2003) réside sans doute dans la maîtrise du code orthographique et dans le décalage entre la chaîne parlée et la chaîne écrite. Outre la possibilité offerte par l’écrit d’exercer un contrôle différé sur la forme et de planifier son message (PIAGET, 2002 : 27)[3], l’une des grandes difficultés liées à l’orthographe consiste à appréhender la saisie de formes non prononcées[4]. Mais des difficultés d’adaptation peuvent également apparaître au niveau macro-segmental au niveau du choix de registre de langue, des conventions rhétoriques.

En ce qui concerne l’orthographe, il est évident que les apprenants italophones sont susceptibles de rencontrer des difficultés accrues par rapport à un jeune scripteur natif (Robert : 2008), notamment parce qu’en italien, le lien entre oral et graphie est transparent hormis de rares exceptions (JAFFRÉ & FAYOL, 1997, 2005). La graphie du mot « oiseau » comprenant pas moins de cinq voyelles pour deux syllabes et deux voyelles prononcées constitue un exemple significatif de cet écart. Mais il n’est malheureusement pas le seul, loin s’en faut : le français « ne fait pas correspondre à chaque phonème une configuration graphique (ou graphème) unique » (FAYOL, 2003, p. 2). De plus, la langue compte 35 phonèmes réalisés à travers 190 graphèmes (CELENTIN, 2012, p. 606). Enfin, pour compléter ce tableau des défis que doivent relever apprenants et enseignants, les décalages entre oral et écrit peuvent également survenir pour ce qui est de l’orthographe grammaticale, avec les désinences du pluriel non prononcé, ce qui entraîne chez les apprenants italophones, des erreurs de prononciation à l’oral (ces désinences, graphiées mais muettes, sont régulièrement prononcées par les apprenants). Pour autant, selon Hidden (2014 : 101), l’enseignant ne gagne pas à négliger l’orthographe dans la première phase d’apprentissage, dans la mesure où l’écrit porte encore sur la production de segments courts. Cette question de la temporalité dans l’intervention didactique nous amène donc à préciser sur quelles bases, sur quels principes faire reposer la remédiation des erreurs.

3. Le traitement didactique de l’erreur à l’écrit

3.1 Quand intervenir, quelle progression et quelle complémentarité ?

Après avoir dressé un état des lieux des recherches sur la production écrite, la systématisation du processus d’intervention didactique que nous proposons ici repose essentiellement sur des données acquises par l’expérience de terrain et vise avant tout à fournir un cadre méthodologique des possibles didactiques, des conseils non normatifs mais qui peuvent toutefois aider les collèges du secondaire à mieux appréhender les pratiques pédagogiques visant l’acquisition d’habiletés rédactionnelles chez les apprenants. L’enseignant peut intervenir sur l’erreur à l’écrit, de façon cumulée, séquentielle et complémentaire : il peut en effet agir en amont dans le choix des tâches proposées aux apprenants, mais aussi dans la préparation des activités proposées. L’intervention en amont vise avant tout à inhiber l’erreur, à la prévenir. Ainsi, par exemple, des micro-activités grammaticales ciblées sur l’interrogation et la comparaison peuvent précéder la réalisation d’une tâche authentique de production écrite telle que la réalisation d’un sondage dans un premier temps et les commentaires que susciteront les résultats du sondage. À cet égard, l’observation, toujours en amont, de documents modèles en réception peut aider à identifier des différences de structure entre l’italien et le français (absence de l’article devant les pourcentages, la conjonction “que” pour le deuxième élément de la comparaison, la répétition de l’article en français pour le superlatif). L’intervention préventive en appelle finalement à la conception pédagogique des tâches ou des activités de production écrite : tandis que le choix des intrants langagiers et/ou des textes à produire va agir sur la motivation, le recours à des modèles (modèle de CV, modèle de recette de cuisine, modèle de lettre de réclamation, de carte postale etc.) accompagnés d’une phase d’observation des structures types en français et/ou de différences morphologiques possibles avec l’italien peuvent faciliter l’acquisition de macro-types textuels. La préparation grammaticale ciblée va pouvoir, quant à elle, prévenir certaines erreurs et lier l’acquisition de règles par leur réutilisation directe dans une tâche authentique (ici une révision de l’interrogation par l’observation d’un sondage existant – apprentissage inductif). Des préparations ciblées peuvent également viser le lexique (par un remue-méninges initial, une consultation des définitions sur le dictionnaire). Enfin, en ce qui concerne le document de sortie, signalons que l’élaboration, en mode projet, de recueil de textes des apprenants sous forme de livres ou de posts sur un blog (pour les collèges, il est possible de viser des genres brefs comme les cartes postales) peut s’avérer très motivant.

Dans le cas d’ateliers de production écrite pendant la classe, l’intervention peut être locale et méthodologique. Que la tâche soit proposée sur supports papiers ou électroniques, l’enseignant gagne à s’effacer et à n’intervenir que sur requête ponctuelle des apprenants de sorte à leur laisser du champ pour des résolutions de problèmes entre pairs ou des démarches autonomisantes d’autocorrection. Ces pratiques d’écriture dans les temps de la leçon sont assez peu en usage car les devoirs écrits sont le plus souvent requis sous forme de devoirs ou travaux à la maison. Pourtant, ces moments peuvent être l’occasion de voir comment les apprenants se comportent lors d’une tâche de production, s’ils se documentent et comment ils se documentent (vérifications formelles ou lexicales, élaboration de plans ou de schémas avant de passer à la rédaction). Si les enseignants ont à leur disposition des tableaux blancs interactifs, des wikis peuvent être utilisés pour des séances d’écriture collective recourant aux fonctionnalités de correction des logiciels de traitement de texte. Le travail sur l’erreur formelle est alors finalement dispensé par un agent neutre qui souligne les formes erronées. Une réflexion peut ainsi être engagée sur la nature de l’erreur et sur sa remédiation, suivi d’une vérification sur le logiciel de traitement de texte. Cette neutralisation ponctuelle de l’intervention didactique sur l’erreur peut non seulement dédramatiser la réception de la rétroaction[5] mais peut aussi impulser des pratiques métacognitives en groupe classe.

Enfin, l’enseignant peut intervenir sur l’erreur en aval de la production : il choisira de ne signaler que les erreurs ciblées par la production, ou bien décidera de tout signaler en faisant catégoriser les erreurs sous forme de tableaux ou de schémas. Rien n’empêche le praticien de placer ses élèves dans la position de correcteurs et de projeter au tableau une sélection d’erreurs anonymisées en demandant aux élèves d’identifier et de corriger les erreurs. Il lui est également possible de demander des corrections mutuelles par groupes de deux élèves puis par groupe de quatre en prévoyant plusieurs phases de correction : accords, puis orthographe, puis choix lexicaux en fonction des objectifs qu’il aura fixés en amont. Enfin, signalons qu’un archivage systématique des erreurs rencontrées (collectif et/ou individuel) dans des tableaux (forme erronée, explication de l’erreur, remédiation et référence vers la règle – manuel ou lien internet) peut faciliter leur mémorisation et progressivement diminuer la récurrence des erreurs les plus fréquentes. Un tel travail permet d’opérer une boucle vertueuse entre l’acquisition des règles grammaticales, leur application en production écrite et le travail de mémorisation rétrospectif qui devient dès lors prospectif pour les productions à venir.

Il est évident qu’en présence d’une langue qui, comme nous l’avons vu précédemment, pose de nombreux problèmes en termes de lien entre oral et écrit (orthographe), mais aussi de différences de morphologie, de syntaxe et de lexique entre la langue maternelle des apprenants et le français, la progression dans le parcours d’acquisition des habiletés rédactionnelles occupe une place centrale (CHIAOU, IZQUIERDO et LESTANG, 2009). Nous ne nous attarderons pas sur cette évidence car cette progression est marquée dans la plupart des manuels. Rappelons toutefois le principe adopté par Mangenot (1996a, 1996b) dans son logiciel d’aide à la production écrite « Gammes d’écriture »[6]. L’analogie de l’apprentissage de la grammaire avec celui du solfège nous paraît pertinente : ce logiciel, aujourd’hui techniquement inutilisable, proposait une boîte à outil, des jeux, des listes d’erreurs types définies par les enseignants et pouvait être utilisé aussi bien dans un contexte DFLM que dans un contexte FLE.

Or, puisque nous mentionnons les outils informatiques d’assistance à la production écrite, un autre principe clé guide la méthodologie des praticiens : la complémentarité, au sens où les approches se complètent en fonction de leur pertinence dans tel ou tel terrain didactique[7]. Cette complémentarité peut aussi bien viser les documents source (intrants langagiers) que les documents cible (toute la gamme des écrits scolaires y compris la dictée qui peut être revisitée de façon plus ludique, les écrits authentiques correspondant à des agirs sociaux, ou bien des écrits plus ludiques et poétiques). La complémentarité s’applique également aux objectifs (travail ciblé sur la forme, travail sur les registres, travail sur le lexique…), aux modalités de rétroaction (individuelles/collectives, par l’enseignant et/ou par les pairs) ou encore aux supports (papier/informatique). Cette complémentarité garantit enfin la diversification du répertoire didactique (CADET, 2006) et permet de correspondre aux différents styles d’apprentissage des apprenants (KOLB, 1976 ; ASTOLFI, 1987). Ce qui nous conduit à un dernier principe clé, qui est celui de l’autonomisation des apprenants (GALISSON, 1989) dans l’appropriation cognitive des erreurs (de l’identification à la mémorisation en passant par la remédiation). Ce dernier principe impose de revenir sur les différentes théories concernant la correction.

3.2 (Faire) signaler et/ou corriger l’erreur ?

Cornaire et Raymond (1999 : 86-89) signalent deux grands types de correction : la correction directe et la correction stratégique. Pour la correction directe, des effets négatifs ont pu être constatés sur le plan psychologique (SEMKE, 1984 in CORNAIRE et RAYMOND, 1999 : 86). En effet, le signalement systématique de toutes les erreurs d’une production écrite peut susciter un certain découragement chez les apprenants. En se référant à Robb et coll. (1986), Cornaire et Raymond (id. : 86-87) font état de quatre variantes de ces corrections directes qui correspondent à des modalités concrètes de signalement des erreurs telles que la correction accompagnée de la solution, le codage couleur, ou l’établissement d’une liste. En ce qui concerne ce type d’intervention, les deux auteurs font remarquer :

« La correction complète, qui demande plus d’effort de la part de l’enseignant, n’aide pas les apprenants à faire moins d’erreurs en production écrite. À la lumière de ces résultats, l’enseignant aurait peut-être intérêt à recourir à des méthodes de correction qui exigent moins d’effort » (CORNAIRE et RAYMOND, 1999 : 88).

Contrairement à la correction directe, Tagliante (2001) prône quant à elle une approche qui met davantage l’accent sur une correction progressive accordant plus d’importance à la réflexivité et à la métacognition qui est l’un des principaux leviers de l’autonomie (HOUARD, 2017). L’approche de Tagliante relève du deuxième type de correction mentionné par Cornaire et Raymond, la correction stratégique. Tagliante (2001, in DEMIRTAS, 2009 : 128-129) propose des activités de systématisation, de conceptualisation, d’appropriation et de fixation des structures. Tandis que la conceptualisation opère au niveau le plus générique en insistant sur la faculté de représentation des règles, la systématisation implique, chez l’apprenant, un travail de reconnaissance et de classement des erreurs qu’il commet, mais favorise également, à l’instar du portfolio proposé par Leki (1991), des réflexes d’autoévaluation. Il s’agit avant tout de faciliter, au moyen de documents authentiques, le passage de la connaissance des règles de fonctionnement à leur application en contexte. L’appropriation et la fixation mettent davantage l’accent sur la pratique intensive de l’écriture et le réemploi régulier des structures, en lien avec des connaissances thématiques familières aux apprenants. Cette dernière modalité, déjà présente chez Krashen (1984), prévoit l’exposition régulière des apprenants à l’activité d’écriture, supposée améliorer la mise en texte, la planification ou la révision. Cependant, cette seule exposition, ne saurait suffire en soi à faire progresser les apprenants et à remédier aux erreurs. Dès le début des années 1990, partant du constat que les exercices grammaticaux ne suffisent pas à établir ou à renforcer la compétence de production écrite, Bisaillon (1991a, 1991b) suggère le recours des apprenants à l’autocorrection par auto-questionnement. Cependant, l’auteure n’envisage que la remédiation d’erreurs de type microsegmental. Cornaire et Raymond (1999 : 91-127) s’attachent en revanche à fournir un panorama très exhaustif et très concret de solutions didactiques visant à réduire les erreurs macrosegmentales pour améliorer la sensibilité des apprenants à la situation et aux acteurs de la communication écrite. Ces activités peuvent prendre la forme de portfolio partiels (portant sur la planification, la mise en texte ou la révision) où les apprenants sont amenés à s’auto-évaluer sur des points précis tels que l’adaptation du lexique à la situation de communication, la projection des attentes du lecteur, l’adéquation du registre de langue à ces attentes, la structuration en paragraphe et la cohésion textuelle. La plupart de ces grilles, qui fournissent un repérage utile pour l’autocorrection des erreurs micro et macrosegmentales, sont présentes dans de nombreux manuels de FLE, sous l’impulsion des travaux du Conseil de l’Europe (2001, 2018). En classe, un rapport équilibré et serein des apprenants à l’erreur peut être facilité par des tâches de correction collective et un discours explicite de l’enseignant allant dans le sens non seulement d’une dédramatisation de l’erreur, mais aussi d’une prise de conscience de sa valeur constructive. Sur le plan psychologique, le dosage et la pertinence des erreurs signalées par l’enseignant peuvent être déterminants. Aussi la remédiation des erreurs s’appuie-t-elle sur la capacité des enseignants à savoir quand, quoi et à quel moment la faire porter. Si les recherches en didactique fournissent des pistes de solution (DEMIRTAS, 2009 : 132-135), pour le praticien, le bon sens et la capacité à percevoir les réactions des apprenants lors d’activités de remédiation des erreurs ont également leur importance, notamment en termes de progression et de niveau de difficulté de la tâche d’écriture proposée aux apprenants, c’est-à-dire, dans l’idéal, un niveau de difficulté toujours franchissable.

En somme, l’erreur est aujourd’hui conçue de façon unanime, depuis les années 1980 comme un élément inhérent à l’apprentissage (BESSE et PORQUIER, 1984) pouvant également constituer un indice de progression (Conseil de l’Europe, 2001, 2018) ou un indice de la présence des stratégies d’apprentissage (CORDER, 1980). Les travaux sur l’interlangue ont mis en avant le fait que le processus de construction de la langue cible inclut des éléments de nature interférentielle du fait de la prégnance des structures de la langue maternelle. Depuis les années 1990, l’ensemble des travaux relatifs à l’analyse des erreurs incite les didacticiens à proposer une remédiation qui s’appuie fortement sur une démarche constructiviste et sur les stratégies d’apprentissage (CYR, 1998 ; CORNAIRE et RAYMOND, 1999 : 53-61). L’approche cognitive et la dimension stratégique sont d’ailleurs fortement reprises dans le CECRL (Conseil de l’Europe, 2001 et 2018 ; TAGLIANTE, 2016 : 128) et peuvent être intégrées dans l’évaluation des écrits.

3.3 Évaluer les erreurs en production écrite

L’évaluation et les problématiques qu’elle soulève constituent un enjeu sensible aussi bien pour les apprenants que pour les enseignants. Pendant longtemps, l’évaluation sommative s’est pratiquée soit sur des bases purement subjectives, soit sur des bases purement quantitatives en partant du nombre et de la gravité des erreurs de type micro-segmental, réduisant ainsi le travail d’évaluation à la seule notation (DE KETELE, 2013). Cette pratique a longtemps constitué la seule modalité d’évaluation en fin de parcours. Aujourd’hui, la familiarisation croissante des enseignants avec les grilles d’évaluation utilisées pour les certifications DELF et DALF permet à ces derniers de diversifier leurs critères et de ne pas noter qu’en négatif les productions des apprenants. Une meilleure prise en compte des aspects macro-segmentaux permet en effet une notation plus équilibrée qui contribue à rendre l’écrit plus accessible et à agir sur le sentiment d’insécurité. De plus, au-delà de la seule évaluation sommative (inévitable car exigée par la plupart des systèmes éducatifs), des évaluations formatives et diagnostiques, peuvent être proposées in itinere, accompagnées d’auto-évaluations sous forme de portfolios (GOUPIL et LUSIGNAN, 2006 ; TAGLIANTE, 2016 : 251-269).

Les principes sur lesquels repose le CECRL (notamment l’absence de dogmatisme prescriptif) permettent aujourd’hui aux enseignants de disposer de différents outils et de différentes modalités d’évaluation formative ou sommative (items fermés, ouverts) qui leur évitent de se cantonner aux seules évaluations basées sur le nombre d’erreurs. Pour la production écrite, Tagliante (2016 : 236-243) fournit les descripteurs du cadre en prenant en considération les types d’écrit proposés et les niveaux de compétence visés : les descripteurs ne se limitent pas à la seule maîtrise des codes morphosyntaxiques, intégrant au contraire l’adaptation du registre à la situation de communication, le respect de la consigne ou la pertinence des informations transmises au regard du destinataire ciblé dans la production écrite. Si l’auteure propose un système de pondération du barème en fonction du niveau, elle envisage et revendique une certaine part de subjectivité[8] qu’il serait d’ailleurs illusoire de vouloir totalement évacuer ; et ce, sans pour autant laisser libre cours aux seules impressions subjectives des praticiens. Si, selon Tagliante (2016 : 137-138), certaines faiblesses ont pu être identifiées dans les descripteurs du CECRL[9] (notamment pour la partie socio-culturelle et sur le « savoir-être » souvent décrié), l’adaptabilité et la transversalité de l’outil fourni par le Conseil de l’Europe garantissent, pour l’évaluation, le principe de complémentarité que nous avons mis en avant pour les pratiques, permettant ainsi de rééquilibrer les critères d’évaluation par une meilleure prise en compte des aspects macro-segmentaux de la production écrite.

3.4 Technologies et apprentissage de l’écriture

Comme Mangenot le fait observer (2005b), l’utilisation des TICE dans les années 1980, relève d’une approche didactique basée sur une conception instructionniste (« ping pong » entre l’apprenant et son écran), ou bien sur une approche « outil » (Lévy, 1997) qui évacue le potentiel et les propriétés des outils informatiques. De nombreux didacticiels apparaissent sur le marché (logiciels produits à des fins d’apprentissage, souvent sous forme de disquette ou de CD-Roms) conçus pour une utilisation en autonomie guidée ou totale. Dans le courant des années 1990, en DFLM, apparaissent des programmes informatiques spécialisés qui visent le plus souvent des élèves en difficulté dans les cycles primaires et secondaires. Certains auteurs (MANGENOT 2003 ; CRINON, MARIN et LEGROS 2003) notent que le traitement de texte intégré aux didacticiels, permet de surmonter un rapport problématique à l’écrit en déculpabilisant l’erreur. Avec le logiciel, cette dernière peut être immédiatement corrigée sans l’habituelle succession de brouillons raturés qui rendent visible l’échec des élèves en difficulté. Le recours au logiciel, avec une forte médiation de l’enseignant, peut ainsi être conçu comme un moyen de surmonter l’insécurité scripturale. Dès lors, le recours à l’outil informatique consistera essentiellement en l’utilisation du traitement de texte (logiciel produit à des fins bureautiques et non pédagogiques), des dictionnaires en ligne, des logiciels de communication (courriel, chat), ou plus récemment des programmes permettant de réaliser des cartes mentales pour faire surgir les idées, les concepts, les arguments avant leur mise en texte et favoriser ainsi les stratégies de planification. Dans la mesure où le traitement de texte n’est pas en mesure d’aider l’apprenant pour tous les aspects de la production écrite (MANGENOT 2000b : 188), le recours aux dispositifs collaboratifs (le wiki par exemple[10]) peut combler ce manque et susciter des interactions entre pairs, sous forme de corrections, de suggestions ou d’annotations (fonction commentaire).

Sur le plan pédagogique, le recours aux instruments informatiques ne consiste bien évidemment pas à déléguer à la machine le travail de remédiation sur l’erreur. Dans le cas d’ateliers d’écriture sur ordinateur, si l’erreur est signalée par un agent neutre[11], l’enseignant est toujours là pour accompagner, guider les apprenants dans le choix des solutions de correction proposées par le logiciel. Il gagnera à préciser que le logiciel ne repère pas toutes les erreurs de forme et qu’il ne signale pas les problèmes d’organisation des contenus ou de registre. Lors de ces ateliers ciblés, la remédiation collective autour d’une sélection anonymisée d’erreurs de formulation ou de syntaxe peut également constituer une autre stratégie d’enseignement. Cette modalité collaborative en groupe classe, couplée à une approche plus technique, place les apprenants en position de correcteurs et pourrait conduire à une neutralisation ou, du moins à une atténuation du sentiment d’échec, l’intervention collective réduisant potentiellement le risque de perte de motivation[12]. Encore une fois, le recours aux outils de production écrite assistée par ordinateur ne constitue pas une fin en soi et l’utilisation des correcteurs ne se substitue pas à l’apprentissage des règles formelles. Il s’agit de pratiques accompagnées et complémentaires visant à faire adopter des routines nécessaires dans le cadre par exemple des écrits professionnels (CV, lettres de motivation, courriels administratifs). Or, l’un des atouts principaux des outils des logiciels d’écriture est leur capacité à faire produire en sortie des documents clairs, soignés sans ratures[13], voire des documents esthétiques pouvant intégrer des images, une mise en page originale (par exemple pour une activité où l’on demande aux apprenants de présenter leur quartier avec des photographies, pour la réalisation d’une brochure touristique). L’utilisation de modèles existant aujourd’hui proposés dans la plupart des logiciels de traitement de texte peut aussi être d’une grande aide pour l’acquisition des macrostructures de genres authentiques (CV, recette de cuisine, rapport, post de blog…).
Enfin, l’informatique pourrait contribuer à retrouver le plaisir d’écrire en faisant produire des documents multimédias pouvant ensuite être imprimés, affichés, partagés, commentés et valorisés.

Comme nous l’avons souligné, les outils informatiques et l’approche technique ne se substituent pas au long travail de patience de l’enseignant. Ils ne font que l’assister ponctuellement et partiellement. De plus, plusieurs études semblent converger sur le constat d’acquisitions plus solides au moyen de supports papier[14]. Cela ne signifie pas qu’il faut complètement renoncer à la lecture et à l’écriture sur écran mais que les deux supports s’inscrivent en complémentarité. Travailler avec ces outils, c’est voir au-delà de la seule production de l’écrit en facilitant en outre la mise en œuvre de compétences clés relevant des littéracies numériques. Il serait dommage de faire l’économie de ce double emploi.

En guise de conclusion

Comme nous l’avons vu, l’écrit peut être source de crispations car les attentes sociales autour de la maîtrise des codes formels écrits induisent des appréhensions chez les scripteurs, qu’il s’agisse d’apprenants mais aussi de jeunes et d’adultes. Toute la science et tout l’art du praticien va alors consister à déployer une large palette de pratiques didactiques (écrits scolaires ciblés, écrits ludiques, écrits actionnels, projets…sur ordinateur et/ou sur papier) en fonction de progressions que l’on peut envisager comme un solfège de l’écrit.

Il s’agit aussi d’articuler les modalités de rétroaction en plusieurs temps (du signalement à la correction en passant par l’auto-questionnement), sous plusieurs modalités (individuelle, collective, collective entre pairs, avec et sans outils informatiques), en variant les objectifs, les types d’écrits visés. Le praticien gagne également à ne pas se focaliser exclusivement sur les erreurs formelles, à mettre aussi en évidence les réussites des apprenants, leur créativité.

Dans la mesure où le but ultime des apprentissages est l’autonomisation des apprenants, des pratiques d’autogestion peuvent être stimulées : vérifications lexicales par auto-questionnement, vérifications orthographiques, grammaticales, ajustements liés aux registres de langue, élaboration de plans, de brouillons, de schémas, archivage catégorisé des erreurs fréquentes, appropriation progressive et accompagnée des correcteurs automatiques…
La palette des possibles est aussi étendue que les répertoires de genres textuels (actionnels, co-actionnels, ludiques et poétiques…) que l’on peut exploiter.

Comme nous le rappellent Rosen et Porquier (2003), l’erreur constitue un indicateur de sens sur les apprentissages en cours et l’appropriation de la langue cible à un moment déterminé. Elle est précieuse à des fins de recherche scientifique car elle est la trace visible des mécanismes cognitifs à l’œuvre dans le processus de passage de la langue maternelle à la langue étrangère. En cela, les erreurs des apprenants doivent être conçues comme des instruments aussi bien pour les apprenants eux-mêmes que pour les enseignants. Les recherches qui ont été menées dans une perspective plus pragmatique ont ensuite permis d’associer les erreurs aux actes de parole en situation de communication (au-delà de l’erreur micro-segmentale) pour fournir des seuils d’acceptabilité en fonction des différents paliers d’apprentissage. Ainsi, sa valeur constructive, démontrée scientifiquement à partir d’analyses de corpus d’apprenants, en fait un pivot essentiel pour l’apprentissage de la production écrite. Mobiliser les fonctions constructives de l’erreur facilite, à notre sens, la mise en œuvre d’une didactique raisonnée et dédramatisée de l’écrit, fondée sur l’autonomisation, la progressivité et la complémentarité des approches à même de faire renouer les apprenants avec le plaisir d’écrire.

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[1] La liste des énoncés performatifs s’est ensuite traduite par le Niveau Seuil (Bardière, 2016), qui a contribué à l’élaboration du CECRL (Conseil de l’Europe, 2001, 2016).

[2] De ce point de vue, les variations régionales, francophones et leurs formes devraient être unanimement acceptées, ce qui n’est pas toujours le cas, la plupart des enseignants posant comme norme le français standard, parisien, métropolitain.

[3] Suscitant ainsi potentiellement chez les enseignants des attentes plus élevées de vérification formelle des messages écrits, mais aussi de choix lexicaux puisés dans le registre soutenu.

[4] La syntaxe peut aussi poser problème (places respectives de l’adjectif et de l’adverbe, structures interrogatives et négatives, pronoms personnels, comportement des déterminants).

[5] C’est là une hypothèse qui gagnerait à être vérifiée par des recherches empiriques.

[6] L’outil a initialement été conçu par des chercheurs italiens, Ferraris, Caviglia, Degl’Innocenti (1992) sous la forme “scrivere con word prof” (Mangenot, 2000).

[7] Pendant les années 1970-1990, le caractère prescriptif des méthodologies (Puren,1994) a conduit à exclure par exemple le recours ponctuel à la langue maternelle des apprenants. Or, la complémentarité théorique et son pendant praxéologique constituent un changement de paradigme positif au sens où hétérogénéité et convergence permettent d’affiner l’action pédagogique, en juxtaposant l’application pratique des différentes théories de l’apprentissage et de l’acquisition (Rolland, 2004).

[8] Cette subjectivité est assumée en tout cas par Tagliante (2016 : 226) pour les descripteurs en production orale.

[9] Ce à quoi nous ajoutons une carence au niveau de l’évaluation des capacités de collaboration pour les productions de groupe.

[10] Pour le FLE, Sancler (2008) ou D’Haucourt (2014) proposent par exemple des pistes d’activités exploitant les wikis.

[11] À cet égard, des recherches empiriques intéressantes pourraient être menées pour évaluer les modifications introduites par la correction automatique dans la perception de l’erreur, sa compréhension et son acceptation.

[12] Bien évidemment, nous formulons cet effet potentiel comme une hypothèse qui reste à démontrer scientifiquement.

[13] Et ce, avec la possibilité pour les wikis de garder trace des ajustements successifs, d’un historique de la production.

[14] Pour cette question de l’influence du support pour la qualité de la lecture, nous renvoyons à un dossier documentaire réalisé par le Ministère français de l’Éducation Nationale, disponible en ligne sur le site Eduscol : https://eduscol.education.fr/numerique/dossier/archives/lecture-sur-ecran/modes-de-lecture/papier-ou-ecran-quelles-differences


Per citare questo articolo:

Yannick HAMON, « Appréhender l’erreur à l’écrit en classe de FLE : rôle des erreurs et pistes de remédiation », Repères DoRiF,  Ateliers Didactique et Recherches,  n. 2 – La didactique de l’erreur, Fédération Alliances Françaises d’Italie et DoRiF Università, Roma dicembre 2020, https://www.dorif.it/reperes/yannick-hamon-apprehender-lerreur-a-lecrit-en-classe-de-fle-role-des-erreurs-et-pistes-de-remediation/

ISSN 2281-3020