Edith COGNIGNI, Martine DERIVRY, Micaela ROSSI
La valeur des mots: pour une cartographie collaborative des notions au cœur de la pluralité linguistique et culturelle ??
Edith Cognigni
TRANSIT-LINGUA
Martine Derivry
TRANSIT-LINGUA
Micaela Rossi
Do.Ri.F. Università
Le colloque de Rome en 2021 se voulait avant tout un moment d’analyse critique de la notion de distance dans ses multiples avatars ; le but fondamental de la rencontre était celui de réduire les distances : les distances physiques, par un retour aux colloques en présence (ou du moins, en modalité mixte), les distances scientifiques entre chercheurs et chercheuses aux horizons épistémologiques différents, entre disciplines, entre traditions culturelles et disciplinaires.
Au cours des deux journées, ce travail de rapprochement est bien souvent passé par les mots. Des sondages ont été réalisés pour chaque session, rassemblant les termes-clés des interventions, afin de faire ressortir une sorte de première ébauche de cartographie des notions liées au concept fondateur de distance :
Un travail sur les mots et sur les notions permet d‘approfondir l‘analyse des valeurs communes, mais également de mesurer et préserver les distances nécessaires à maintenir les spécificités, à protéger la diversité.
Une première piste de travail qui peut rassembler les deux associations, ainsi que d‘autres chercheurs et chercheuses provenant d‘autres disciplines, peut se concrétiser dans la création d‘un projet lexical, qui peut prendre la forme d‘un dictionnaire collaboratif, d‘un thesaurus interactif, ou d‘une carte notionnelle, un arbre conceptuel de domaine, où les rapports entre les notions convoquées trouvent une définition et une représentation dynamique. Un travail de négociation sur l‘étendue sémantique des notions est préalable ensuite à la discussion sur les expressions de ces mêmes notions dans des langues et cultures différentes, parfois plus proches, parfois plus éloignées, impliquant des connaissances communes, une encyclopédie partagée.
Les mots sont habités, disait Bakhtine, et tout travail lexical ne peut faire l’impasse d’une étude culturelle au sens large, pour redonner aux mots toute leur épaisseur historique, leur restituer la richesse des voix qui les ont habités et pour pouvoir ainsi les transmettre aux générations suivantes. Un travail sur le lexique de la distance peut enfin produire des ressources de formation à la citoyenneté, contribuant à réduire la distance entre recherche scientifique et société civile : le partage des mots est une condition nécessaire pour la communication et pour la formation des citoyens, à partir des écoles pour arriver à la formation tout au long de la vie.
Un premier chantier pour le travail conjoint des deux associations nous semble donc s’ouvrir autour du lexique.
Travailler sur un tel projet dans nos domaines est réjouissant car ils sont pluriels : didactique du FLE en contexte italien, en contextes francophones, didactique de l’Italien, langue additionnelle ou étrangère, didactique des langues et des cultures, sociolinguistique, psycholinguistique, éducation aux langues, au plurilinguisme… Il s’agirait peut-être à la manière du travail de Barbara Cassin[1] de faire dialoguer les mots que nous utilisons, que nous façonnons entre les langues dans nos domaines pluriels. Donner corps ainsi de façon performative à nos disciplines trop souvent minorées dans la hiérarchie traditionnelle des disciplines.
Ce projet s’inscrit dans une précédente collaboration qui a vu nos deux associations coopérer afin de produire un ouvrage sur des sujets d’intérêt commun, également organisé autour de notions concernant la pluralité linguistique et culturelle en tant qu’ensemble complexe, observée à travers le prisme de la pluridisciplinarité. Le Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme[2] nous a ainsi permis, il y a plus de 15 ans, de jeter les bases d’un dialogue fructueux sur des thèmes qui sont non seulement d’actualité dans le débat scientifique encore à présent, mais qui sont aussi au centre d’intérêts mutuels de recherche et d’action sociale, invitant ainsi nos deux associations à une réflexion commune renouvelée, menée à travers de nouveaux outils, y compris numériques.
Au cours du colloque, on a pu constater de manière encore plus concrète comment TRANSIT-Lingua et Dorif-Università, chacune de son point d’observation et par ses propres spécificités disciplinaires et outils d’analyse, peuvent continuer à dialoguer sur des questions d’intérêt commun – tels que le plurilinguisme et le pluriculturalisme, l’intercompréhension entre langues romanes, la télécollaboration, la formation à distance, la mobilité, l’inclusion des publics vulnérables ou marginalisés, la médiation linguistique et culturelle sous ses différentes formes… – tout en prenant en considération la société civile comme interlocuteur privilégié et/ou point de référence dans la réflexion et l’action.
Nous proposons donc une entreprise plurilingue et pluridisciplinaire de construction de sens des mots utilisés et construits dans nos disciplines, nos langues et nos traditions académiques pouvant croiser champ lexical et champ sémantique. Un outil numérique qui permette tous les hypertextes renvoyant à d’autres langues, d’autres contextes et aux philologies serait à imaginer et peut-être Wikipedia comme encyclopédie ouverte pourrait-elle s’inscrire dans ce projet.
Pour cela, il y aurait un travail préparatoire auprès des membres de nos associations mais aussi de nos étudiants, de nos doctorants de nos réseaux et sans doute la recherche commune d’un budget financé (Europe, national ou régional). Un projet ambitieux car en paraphrasant quelque peu Malraux, ce sont bien les grands rêves qui poussent les humains aux grandes actions !
Pourquoi est-ce un grand rêve ? Nos disciplines en langues et cultures sont minorées, instrumentalisées dans une vision réductrice du “switch” d’une langue à l’autre, perception d’autant plus puissante avec les traducteurs automatiques, les Chat GPT, la reconnaissance vocale. Alors qu’elles sont essentielles pour penser, critiquer, comparer, informer et communiquer au sens large et noble du terme, pas celui de la communication packagée pour certaines cibles ou publics.
Travailler à rendre visible notre champ de recherche et nos disciplines oeuvre ainsi au lien social, aux valeurs humaines de partage et de solidarité face aux défis actuels de la planète que sont le réchauffement climatique, l’explosion des inégalités, les crises migratoires et toutes les mobilités forcées, contraintes ou consommées, désirées, souhaitées.
Par les langues, nous travaillons à la communication entre les humains car c’est par cette dernière qu’ils pourront échanger, s’écouter, réfléchir ensemble pour répondre à ces défis.
[1] Cassin, B. (dir.) (2004). Vocabulaire européen des philosophies : Dictionnaire des intraduisibles. Seuil, 1 532 p English translation: Emily Apter, Jacques Lezra and Michael Wood (ed.)(2015). Dictionary of Untranslatables: A Philosophical Lexicon. Princeton University Press, 1 284 p.
[2] Zarate, G., Lévy, D., Kramsch, C. (dir.) (2008). Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Editions des Archives Contemporaines, Paris.
Per citare questo articolo:
Edith COGNIGNI, Martine DERIVRY, Micaela ROSSI, « La valeur des mots: pour une cartographie collaborative des notions au cœur de la pluralité linguistique et culturelle??», Repères DoRiF, n. 27 – 2021 l’Odyssée des langues. La distance dans la dynamique des plurilinguismes, DoRiF Università, Roma, luglio 2023, https://www.dorif.it/reperes/edith-cognigni-martine-derivry-micaela-rossi-la-valeur-des-mots-pour-une-cartographie-collaborative-des-notions-au-coeur-de-la-pluralite-linguistique-et-culturelle/
ISSN 2281-3020
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