Francesco Attruia
Parlateci di Bibbiano ! La stratégie du renversement dans les commentaires en ligne des militants souverainistes en Italie
Francesco Attruia
Université de Pise
francesco.attruia@unipi.it
Résumé
Cet article a pour objet une analyse des discours souverainistes de la Lega et du Movimento 5 Stelledans les commentaires en ligne sur l’Affaire Bibbiano qui a fait la une des journaux en juillet 2019. En nous appuyant sur un cadre théorique puisant dans les acquis de l’analyse du discours et de la rhétorique, nous nous attacherons à observer le fonctionnement discursif de quelques formulations visant à renverser les rôles entre bourreaux et victimes au sein de l’espace discursif numérique. Il sera question, dans un deuxième temps, de mettre l’accent sur la nature fallacieuse des techniques discursives employées par les locuteurs afin d’imputer les responsabilités de l’affaire au Partito Democratico
Abstract
Parlateci di Bibbiano! The strategy of reversal in the online comments of sovereignist activists in Italy
The aim of this article is to analyse the sovereigntist discourses of the Lega and Movimento 5 Stellepolitical parties in online commentaries concerning the Bibbiano Affair, which made headlines in July 2019. Based on a theoretical framework drawing on the discourse analysis and rhetoric, we will primarily focus on the discursive functioning of some formulas aimed at reversing the roles between victimizers and victims within the digital discursive space. Secondly, we will observe the fallacies that characterise the discursive techniques by the commentators in order to impute the responsibilities of the Affair to the Italian Partito Democratico.
« Tu parles, dit-on, d’une manière, et tu vis d’une autre. » Ce reproche, esprits pleins de malignité, ennemis jurés de tout homme excellent, il est fait à Platon, fait à Épicure, fait à Zénon; car, tous ces philosophes disaient, non pas comment ils vivaient eux-mêmes, mais comment il fallait vivre.
Sénèque, De la vie heureuse
1. Introduction
Les dynamiques qui président à l’émergence et au développement de nouvelles formations sociodiscursives (FOUCAULT, 2008 [1969]) sont désormais bien connues et largement attestées dans une riche littérature scientifique relevant de plusieurs champs et domaines des humanités. Préconisée dès la fondation d’une École française d’analyse de discours, cette évolution investit aujourd’hui a fortiori les pratiques technodiscursives des internautes qui ne cessent d’inscrire leurs discours dans une panoplie de formes et de genres symptomatiques d’une nouvelle façon de concevoir la communication et les relations humaines.
Dans cet article, on se propose d’analyser les contrediscours des militants souverainistes en Italie dans les commentaires de Facebook, en réaction aux billets du Parti démocrate à propos de l’affaire Bibbiano[1]. Les acquis de la rhétorique perelmanienne (PERELMAN, 2008 [1977] ; PERELMAN, OLBRECHTS-TYTECA, 2008 [1958]) constituent le soubassement théorique à partir duquel on s’attachera à observer le fonctionnement discursif de quelques formulations visant à renverser les rôles entre bourreaux et victimes au sein de l’espace discursif numérique. L’objectif de l’analyse du corpus est de mettre en lumière le côté fallacieux des techniques discursives tournant autour de la formule « parlateci di Bibbiano ! », employées par les partisans de la Ligue (La Lega) et du Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, dorénavant M5S) pour attribuer au Parti démocrate (Partito Democratico) les responsabilités de l’affaire qui a choqué l’opinion publique italienne et fait la une des journaux en juillet 2019.
L’enquête judiciaire dénommée « Angeli e Demoni » a été menée suite à une augmentation singulière de plaintes déposées par les services sociaux de Bibbiano, dans la région de l’Émilie Romagne, contre des parents soupçonnés d’abus sexuels sur mineurs. La police de Reggio Emilia aurait donc découvert un réseau illicite de placement familial : des témoignages d’enfants auraient été manipulés afin de soustraire ces mineurs à leurs parents et de les placer auprès de familles consentantes. Dans le scandale ont été impliqués des psychologues, des assistants sociaux et des hommes politiques dont le maire de Bibbiano Andrea Carletti, élu sous les couleurs du Parti démocrate. Dès lors, les partis souverainistes italiens, notamment la Ligueet le M5S[2], ont lancé le hashtag #Bibbiano, le plus souvent accompagné de la formule « Parlateci di Bibbiano »[3] et d’autres expressions analogues, afin de souligner les réticences des démocrates à l’égard de l’affaire. Dans notre analyse, on verra que si ces expressions s’avèrent efficaces dans la rhétorique souverainiste, du fait qu’elles permettent de rétorquer à des accusations d’un adversaire politique qui se croit à l’abri de tout scandale, elles ne font qu’éluder le débat et repousser la confrontation des points de vue, aboutissant le plus souvent à un « dialogue de sourds » au sens d’Angenot (2008).
2. La rhétorique du renversement dans l’argumentation politique
La plupart des observateurs de la vie politique en Italie s’accordent aujourd’hui sur le fait que Matteo Salvini a ouvert une brèche dans le processus de médiatisation de la communication politique (PUCCIARELLI, 2016 ; DIAMANTI, PREGLIASCO, 2019)[4]. Ses stratégies argumentatives sont nombreuses et plutôt hétérogènes : appel systématique aux théories conspirationnistes, dénigrement de l’Autre, exaltation de l’identité nationale, intégration dans le discours de figures panthéonisées dans la mémoire collective, revendication des pleins pouvoirs et ostentation des symboles religieux. Tous ces leitmotiv ne représentent néanmoins qu’une partie, peut-être la plus manifeste, du riche répertoire oratoire de Salvini, commun à l’extrême droite italienne ainsi qu’à la droite souverainiste européenne, de Marine Le Pen à Viktor Orbàn, et mondiale, de Jair Bolsonaro à Donald Trump. Parallèlement, et par bien des aspects diamétralement opposés, le mouvement fondé en 2009 par Beppe Grillo a contribué à bouleverser radicalement le scénario politique italien, en privilégiant les formes de démocratie participative et l’action collective des militants. Ces dernières ont été néanmoins tout récemment obscurcies par la centralisation des choix et des responsabilités dans la personne de son ancien chef politique Luigi Di Maio[5], le tout dans une sorte de schizophrénie du numérique à travers laquelle le mouvement prétendrait canaliser toutes les décisions de la politique du pays (VITTORI, 2020, BIORCIO, NATALE, 2018, entre autres).
Dans ce matériau argumentatif aussi hétérogène que complexe, modelé par les deux leaders et repris tel quel par les militants de leurs partis et leurs sympathisants sur le web, il y a une stratégie particulièrement exploitée. Il s’agit du renversement des parties, expression issue de la traduction de victim-perpetrator reversal employée par Ruth Wodak dans The politics of fear (WODAK, 2015). Cet argument, dont l’auteure mesure l’efficacité dans les discours populistes de droite, consiste à adresser à l’adversaire les arguments dont le locuteur lui-même est généralement accusé. Le renversement s’avère un moyen rhétorique performant dans la mesure où il permet à l’orateur de neutraliser les positions adverses par un jeu de miroir qui, bousculant les rôles des victimes et des bourreaux (victim–victimizer reversal), délégitime la parole de l’opposant en lui rétorquant ses mêmes accusations. Ruth Amossy (2010) décrit la nature fallacieuse de cet argument que la tradition désigne par l’appellation tu quoque (toi aussi). Bien que sa place parmi les arguments ad hominem ne fasse pas l’unanimité, le renversement des parties repose sur une remise en question de l’honnêteté de l’accusateur, donc de sa personne. Il s’agit, en effet, d’une véritable attaque « en contrepied » de l’accusé, visant à dénoncer un manque de cohérence chez l’accusateur, au sujet de ses déclarations ou bien entre celles-ci et sa conduite. C’est d’ailleurs sur cette contradiction que se construit toute l’armature argumentative du renversement. Le bourreau, devenu victime dans le contrediscours, est investi d’une nouvelle légitimité qui découle du discrédit que son adversaire s’est attiré par le fait d’un comportement jugé blâmable.
La rhétorique classique, réhabilitée au XXe siècle par Chaïm Perelman, insiste sur la conduite ou les comportements particuliers de l’orateur et distingue, dans les liaisons qui fondent la structure du réel, entre « exemple », « illustration » et « modèle », et pour ce dernier entre « modèle » et « antimodèle » (PERELMAN et OLBRECHTS-TYTECA 2008 [1958] : 488 sq). De même que l’imitation d’un modèle sert dans l’argumentation politique à récupérer la crédibilité et le consensus, la référence à un repoussoir permet corrélativement d’atteindre des résultats analogues par l’évitement des mauvaises conduites ou des comportements inappropriés. D’après Perelman : « ceux qui se savent modèle doivent faire attention à ce qu’ils font et à ce qu’ils disent » (PERELMAN 2008 [1977] : 140). S’insérant dans ce schéma manichéen, mais sans s’y réduire totalement, le renversement des parties repose sur l’imitation des stratégies employées par les antagonistes « qui, à la longue, s’empruntent tous les procédés efficaces » (PERELMAN, OLBRECHTS-TYTECA 2008 [1958] : 495). Ainsi un leader qui aligne ses techniques sur celles de l’adversaire pour mieux s’y opposer construit-il son emprise rhétorique sur une argumentation a fortiori qui structure formellement le tu quoque : « l’introduction de l’antimodèle, au lieu de viser simplement à un effet révulsif, peut servir d’amorce à une argumentation a fortiori, l’antimodèle représentant un minimum en dessous duquel il est indécent de descendre. » (Ibid : 494)
3. Le renversement des parties dans les commentaires des militants de la Ligue et du M5S sur l’affaire Bibbiano
Comme on l’a expliqué au début de cette étude, le procédé du renversement, décrit ici brièvement à travers les acquis de la Critical Discourse Analysis anglo-saxonne et de la nouvelle rhétorique perelmanienne, est la stratégie la plus utilisée par les leaders de la Ligue et du M5S à propos de l’affaire Bibbiano. Or s’il est vrai que les chefs politiques s’empruntent souvent les procédés rhétoriques efficaces afin de s’affronter sur le même champ de bataille et par les mêmes arguments, leurs militants et sympathisants sur le web ne font qu’imiter et répliquer, à leur tour, les mêmes schèmes argumentatifs que leurs leaders. C’est pour cette raison que l’analyse ici proposée vise à étudier les commentaires en ligne de ces internautes, en réaction aux billets Facebook publiés par le Parti démocrate entre le 18 et le 26 juillet 2019. Cette période correspond au moment de l’éclatement du scandale sur les réseaux sociaux, suite aux premières interpellations de la police à la fin de juin 2019. Aussi réduit que soit cet intervalle temporel, les billets publiés tout au long de cette semaine contiennent la totalité ou presque des réactions faisant partie du corpus, à savoir 3510 commentaires. S’agissant de rendre compte de la stratégie du renversement qui présuppose que les internautes réagissent par des arguments a fortiori, on a estimé pertinent de chercher les commentaires placés sous le hashtag « Bibbiano » sur la page du Parti démocrate, plutôt que sur celles de Salvini et Di Maio où les militants se limitent tout simplement à exprimer leur soutien aux leaders politiques.
Ces commentaires s’insèrent dans la catégorie des discours numériques natifs que Marie-Anne Paveau définit comme « l’ensemble des productions verbales élaborées en ligne, quels que soient les appareils, les interfaces, les plateformes ou les outils d’écriture » (PAVEAU 2017 : 8). Pris en tant que culturèmes inscrits dans une dimension interactionnelle, les commentaires en ligne sont des technodiscours généralement perçus comme agressifs, voire insultants. On entend par commentaire, écrit toujours Paveau, « un texte produit par les internautes sur le web dans les espaces d’écriture dédiés des blogs, des sites d’information et des réseaux sociaux, à partir d’un texte premier » (PAVEAU 2017 : 36). Sans être eux-mêmes un élément structurant la conversation, les billets du Parti démocrate sur les sujets les plus disparates de la politique nationale sollicitent la haine et l’indignation des internautes qui s’y opposent, et constituent l’assise sur laquelle se bâtit, un commentaire après l’autre, tout l’édifice interactionnel.
À l’analyse quantitative, ciblée sur le nombre des occurrences de l’expression « Parlateci di Bibbiano » ainsi que de leurs variantes, on a préféré un examen qualitatif des commentaires et, plus précisément, des phénomènes linguistiques et discursifs attestés qui témoignent de la technique du renversement. D’un point de vue strictement méthodologique, il a fallu opérer un dépouillement manuel des commentaires, les interactions des internautes sur Facebook n’étant pas indexées par les moteurs de recherche. Afin d’assurer l’anonymat des internautes, les noms des auteurs ont été remplacés par leurs initiales. De par leur forme, ces noms semblent parfois renvoyer à des groupes ou à de faux profils, ce qui ne devrait pas étonner au vu de la présence de plus en plus systématique sur les réseaux sociaux de profils abusifs cherchant à manipuler l’information en propageant des fake news. On a décidé de garder en toute connaissance de cause ces exemples qui demeurent tout de même authentiques au sein de l’écosystème d’où ils sont issus et qui s’avèrent pertinents, pour cette même raison, dans l’analyse qualitative ici proposée.
Ces données ont été recueillies en suivant une approche écologique du discours qui, dans le sillage tracé par Julien Longhi, envisage le corpus comme le terrain d’analyse des objets discursifs. Et toujours à la suite de Longhi, qui s’inspire ouvertement de la sociologie de Bourdieu, on considère le discours comme « un champ qui sémiotise l’appréhension du monde social […] parler de discours, ce sera inclure la connaissance que les sujets parlants ont du monde social, et la contribution sémiotique qu’ils y apportent par leurs discours » (LONGHI 2018 : 26). Dans la mesure où le discours est le champ du social, les occurrences rassemblées dans le corpus de travail informent sur la connaissance que les internautes ont de la réalité ainsi que des moyens linguistiques et rhétoriques pour l’appréhender et la mettre en mots.
3.1 Le dialogisme comme dispositif énonciatif du renversement
Que la confrontation sur un sujet déterminé advienne dans un espace réel ou numérique, en présence physique ou virtuelle des parties adverses, le renversement repose toujours sur un soubassement dialogique qui en assure le fonctionnement énonciatif et discursif. Au-delà de la nature éminemment dialogale du commentaire en ligne – qui non seulement constitue une représentation mimétique de l’interaction authentique mais forme avec le texte premier un « seul entier discursif augmenté » (PAVEAU 2017 : 44)[6] –, l’interaction qui s’établit entre les internautes dans l’espace numérique relève du préconstruit (PAVEAU, 2006) ainsi que du dialogisme au sens bakhtinien (BAKHTINE, 1978)[7]. Dans le sillage tracé par le sémiologue russe, on peut facilement repérer, dans la totalité du corpus, de nombreux marqueurs linguistiques et technolangagiers qui signalent aussi bien l’inscription du discours sur l’affaire Bibbiano dans un espace interdiscursif ouvert (dialogisme interdiscursif) que le jeu responsif entre les interlocuteurs, qui souvent anticipe et sollicite des réactions et des répliques prévues et non dites (dialogisme interlocutif)[8].
1)T.M.: Riporto:”…una vicenda drammatica che dovrebbe tenere unite tutte le istituzioni.”
Appunto cominci lei e il suo partito! Invece di buttar via soldi “di partito” nel denunciare Di Maio, contribuite per fare chiarezza e sviscerare la brutta tragedia. Quei soldi potevate donarli alle famiglie colpite….ma forse la denuncia al vostro “avversario politico” è più importante! #PARLATECIdiBIBBIANO(18/07/2019)
2)F.P.: In pratica lo stesso che ha fatto lei accusando Salvini con i Russi…#vivalacoerenza
Dans le premier commentaire, écrit en réponse à un billet du leader du Parti démocrate Nicola Zingaretti, l’expression « parlateci di Bibbiano » contient un appel à la responsabilité, sollicité par l’emploi de la modalité jussive. Dans la perspective du renversement des parties, le militant du M5S intègre les mots du leader démocrate dans une forme échoïque de polyphonie, une polyphonie sur la voix au sens de Laurent Perrin (2009), en l’accusant de cacher au Pays les responsabilités du parti à propos de l’affaire. Or c’est le connecteur « appunto » (justement) qui met en lumière l’incohérence entre le contenu du billet et la conduite des partisans de la gauche. À l’annonce de Zingaretti de vouloir porter plainte pour diffamation contre Luigi Di Maio, qui a fait le parallèle entre le Parti démocrate et une affaire qui au contraire « devrait rapprocher les institutions », l’internaute répond par le ton accusatoire du tu quoque (justement, c’est à vous de commencer ainsi qu’à votre parti !). À cette forme d’hétérogénéité sur la voix s’accompagnent, dans le même extrait, deux autres formes de dialogisme : 1) le propos ironique signalé par la modalisation autonymique sur l’occurrence « partito » (parti) qui, suivant Authier-Revuz (1982 ; 1984), est une forme marquée de l’hétérogénéité montrée; 2) le hashtag associé à l’expression (#parlatecidibibbiano) qui inscrit automatiquement le commentaire dans une suite de billets sur le même sujet, ce qui est le propre du dialogisme interdiscursif.
Tout en prenant à notre compte la définition que Paveau propose du hashtag[9], nous estimons ici que la fonction primordiale de ce « technomot »[10] est de créer une trame interdiscursive visible qui structure le discours sur l’affaire et l’érige en mot-événement (Moirand, 2007) ou, suivant Laura Calabrese (2008), en toponyme événementiel à faible motivation[11]. Par ailleurs, le hashtag révèle beaucoup non seulement de l’événement qui lui est associé, mais aussi de ses concurrents circulant dans le même espace interdiscursif. Ainsi les occurrences de #ParlateciDiBibbiano ont-elles permis de faire émerger leurs variantes moins répandues, mais structurant le même discours autour de l’affaire[12]. Il en est ainsi de #giùLeManiDaiBambini construit sur le propos doxique « on ne touche pas aux enfants », mais aussi des appels au devoir de mémoire, sur le ton de l’avertissement #CiRicorderemo et #IoNonDimentico (on se souviendra, je ne vais pas oublier) ou sur l’action délibérative #VeritàSuBibbiano, calquée sur le moule #VéritàPer (vérité pour…) sur lequel se construisent de nombreux mots-événement (par exemple #VeritàPerGiulioRegeni). Et encore d’autres occurrences moins ponctuelles pouvant s’adapter à tout mot-événement, telles que #vergognatevi (la honte !), #BastaPD (PD, ça suffit !) ou, comme dans l’exemple 2, #vivalacoerenza (adieu la cohérence).
3.2 La nature fallacieuse du renversement
Parmi tous les arguments ad hominem, le renversement des parties est sans doute le mieux reçu dans le discours politique, ne serait-ce que pour la fréquence de ses emplois. Toujours est-il qu’il demeure une structure argumentative fallacieuse, ce dernier adjectif étant issu de la notion fallacy héritée de la tradition rhétorique anglosaxonne[13]. Au lieu de porter sur la qualité du raisonnement de l’adversaire, le renversement se « contente » en effet de discréditer l’orateur en visant sa personne. Nous ne pouvons pas nous attarder sur les différences conceptuelles qui empêchent de traiter comme équivalents les notions de fallacy, paralogisme, sophismes, faute, erreur, etc., pas plus que nous n’avons le loisir de dresser une liste exhaustive des fallacies sur la base des taxonomies largement attitrées en littérature[14]. Il s’agira plutôt d’observer, à même le matériau discursif puisé dans l’écosystème natif des commentaires, les techniques macrodiscursives qui recèlent des arguments fallacieux. Il ne fait aucun doute que la première des qualités que l’homme rationnel doit posséder est la fiabilité de ses propos. La question des fallacies rejoint donc celle beaucoup plus complexe et épineuse de la recherche de la vérité.
Dans le corpus recueilli, les techniques argumentatives qui remettent en cause l’honnêteté rhétorique des interlocuteurs oscillent souvent entre les fallacies d’observation et les paralogismes stricto sensu qui récusent la validité d’un syllogisme sous l’apparence d’un faux raisonnement. Suivant Christian Plantin, il s’agit d’une violation des normes qui gouvernent le jeu argumentatif : « le paralogisme est ainsi une argumentation (inférence) non valide dont la forme rappelle celle d’un raisonnement valide ; une théorie des paralogismes suppose donc une théorie de l’argumentation valide, dont elle est le négatif » (PLANTIN 1995 : 252). Or dans les exemples sélectionnés, le paralogisme le plus exploité par les souverainistes consiste à dénoncer un détournement de l’attention chez l’accusateur qui, afin de cacher une réalité incommode, réoriente la conversation vers un autre sujet.
3)V. V. L. Come mai nessun commento da parte vostra?? Vi opponente al fatto del censimento dei rom quando gli italiani con la nuova carta d’identità vengono schedati. Loro no invece come mai?? (18/07/2019)
4) M. A. Secondo me quelli che difendono il PD sugli affidamenti sarebbero da consegnare a Doti per essere curati con scariche elettriche leggere tipo sedia elettrica . Se il russiagate esiste i colpevoli vanno puniti, comunque rispetto agli affidi questo è una scorreggia nel vento !! (26/07/2019)
Dans l’exemple 3, le paralogisme, ou si l’on veut le défaut syllogistique, réside dans une fausse analogie qui trahit la mauvaise conscience du locuteur. De fait, V.V.L. construit une argumentation incohérente en établissant d’abord un parallèle impossible entre l’affaire Bibbiano et l’introduction, en Italie, de la nouvelle carte nationale d’identité. Ensuite, le locuteur enveloppe cette nouvelle d’un argument ad superstitionem (HAMBLIN 1970 : 48), c’est-à-dire d’un argument a priori suivant lequel ce nouveau système d’identification permettrait de ficher les Italiens, alors que la population rom habitant en Italie serait libre de circuler sans être identifiée par les autorités. La référence au complot, qui comme on le verra est largement attestée dans les pratiques discursives des militants de droite, réside en l’occurrence dans la question finale pourquoi pas eux ?, qui laisse en suspens le jugement et insinue le doute par la puissance évocatrice de l’implicite. Dans l’exemple 4, le locuteur réagit lui-même à une fausse analogie présente dans le billet du Parti démocrate du 26 juillet, où la référence voilée à Bibbiano qualifiée de « nouvelle inexistante » est mise sur le même plan que l’affaire Russiagateconcernant les financements illicites que la Ligue aurait reçus de Poutine. Tout en invalidant le parallèle abusif, le locuteur s’en sert à son tour dans la concession argumentative Se P, comunque Q qui invalide le point de vue adverse, sans néanmoins apporter le moindre argument rationnel. Le renvoi aux analogies abusives s’accompagne souvent d’un marquage linguistique explicite qui structure le fonctionnement discursif du renversement.
5) D. G.Fossero stati i bambini di famiglie immigrate il PD avrebbe fatto una guerra, siccome sono semplicemente figli di povere famiglie italiane nulla, anzi sciacallaggio.
6) L. A…..casomai e’ il contrario, e’ il pd che di fronte all’ennesimo scandalo targato pd, cercano (sic.) di distogliere l’attenzione parlando di ipotetiche sconfitte 5s, evitando di dare spiegazioni per l’ennesima volta delle atrocita’ commesse!!!!!!!!!!! (24/07/2019)
7) D. P.Se Salvini dovessero (sic.) denunciare tutte quelle brave persone del PD che offendono e trattano tutti come razzisti come andrebbe? Ma si sa il PD può tutto, guai chi li offende, loro offendono regolarmente ma a loro non puoi giudicarli.
Ainsi, l’apodase « Fossero stati… » (si c’était…), en absence de la conjonction si, ainsi que l’occurrence « casomai » (au cas où…) marquent linguistiquement la construction du renversement chez les locuteurs. Ceci est particulièrement évident dans l’exemple 5 où D.G. mobilise l’argument si cher à la Ligue des injustices sociales subies par les Italiens à cause des migrants. De même, dans le commentaire 7, on rétorque au Parti démocrate l’accusation de « racisme » que la gauche adresse régulièrement à Salvini, se rapprochant de cette manière du tu quoque de la rhétorique lepéniste du « racisme social » (SINI, 2018).
Souvent les locuteurs puisent directement dans l’interdiscours des événements supposés être analogues. Il en est ainsi dans l’exemple suivant, où M.C. évoque l’affaire Forteto qui secoua en 1978 la communauté de Vicchio, près de Florence, à propos d’une histoire troublante de mineurs abusés sexuellement dans la coopérative agricole du Forteto.
8) M. C.Giusto. Parliamo del FORTETO allora
Au-delà des analogies plus ou moins discutables vis-à-vis de Bibbiano[15], les internautes[16] accusent dans ce cas aussi le Parti démocrate de connivence avec les responsables des crimes[17]. Le même procédé de renversement, qui dans les exemples 3-8 a permis de ramener à la surface les scandales des uns et des autres, est aussi employé par les parties adverses dans le but de mettre en lumière une défaillance dans la communication politique.
9) D.F.D. Come avete fatto voi con la foto del bimbo siriano morto in spiaggia ? W la coerenza (22/07/2019)
10) C. S. Mi ricordo una certa signora, vostra esponente di partito, che usava bambini morti in mare per attaccare gli avversari politici; quella non fu “strumentalizzazione”? (22/07/2019)
11) D. M. Detta da voi che li schieravate [i bambini] in prima fila nei cortei più inutili per sensibilizzare la massa (22/07/2019)
En réaction au billet du Parti démocrate daté du 22 juillet 2019, dénonçant l’instrumentalisation des mineurs de Bibbiano dans la propagande politique de droite, plusieurs internautes accusent la gauche d’avoir utilisé le même schéma propagandiste en publiant la photo choquante d’un enfant mort sur la plage de Bodrum, en Turquie, devenu le symbole de la crise des réfugiés syriens. Plus voilée, mais non moins brutale, est l’allusion de l’auteur du commentaire 11 à la participation des enfants aux « cortèges les plus inutiles » pour « sensibiliser la masse » à l’égard des droits des couples homosexuels.
Le recours systématique aux théories complotistes occupe une place prépondérante au sein des commentaires des militants souverainistes. Nous n’avons sélectionné ici que deux exemples parmi beaucoup d’autres relevés dans le corpus de référence.
12) G. M. Grande bugia. Quello che c’è c’è (sic.) dietro non è un singolo episodio di cronaca nera, ma una parte importante dell’ideologia sottesa al Partito Democratico. Quell’ideologia che sostiene le adozioni per LGBT, teoria del gender, femminismo, odio verso la famiglia tradizionale e verso gli uomini in genere. Ascoltate bene Alessandro Meluzzi (22/07/2019)
13) A. N. Ma taci poverina. State dimostrando che i comunisti mangiano davvero i bambini e avete la faccia di fare la morale ad altri !! Sei ripugnante !!! (24/07/2019)
À l’ère du numérique, la communication politique s’alimente des théories conspirationnistes et contribue à la diffusion massive des fake news[18]. Dans le cas du renversement des exemples 12 et 13, le raisonnement fallacieux réside dans la tentative de ramener l’affaire Bibbiano à des théories complotistes hors de tout propos raisonnable. En 13, par exemple, on fait le rapprochement entre les violences subies par les enfants et le vieux lieu commun du communiste mangeur d’enfants (vous montrez que les communistes mangent vraiment les enfants), alors que, en 12, le locuteur se dit persuadé que derrière ce fait divers à l’apparence singulier se cache le lobby des communautés LGBTQ+ et féministes, infiltrés dans le Parti démocrate et susceptibles de menacer respectivement la famille traditionnelle et les hommes (au sens de mâle adulte).
Cet argument, difficile à cerner sur le plan rhétorique, s’accompagne toujours dans le même exemple d’un argument ad verecundiam, dont la nature fallacieuse repose sur l’appel à une autorité qui, de fait, n’en est pas une. Alessandro Meluzzi, érigé en source de validation incontestable et crédible de l’infox, est en fait un psychiatre et académicien italien, élu dès 1994 dans les files du parti de Berlusconi Forza Italia. Meluzzi est connu en Italie pour ses positions extrémistes contre l’avortement, les homosexuels et les musulmans, son adhésion aux théories complotistes comme celle dite du Plan Kalergi, ainsi que pour ses propos virulents contre le pape François. Le recours des militants de droite à ce genre d’argument fallacieux n’est pas rare, l’autorité convoquée pour attester de la validité des propos étant souvent faible[19]. On dira toujours avec Perelman et Olbrechts-Tyteca que : « si l’argumentation est faible, et même comique, ce n’est point en raison du schème qui la sous-tend, mais parce que c’est une argumentation par le modèle, employée en dehors de ses conditions d’application, alors que le modèle manque totalement de prestige » (PERELMAN et OLBRECHTS-TYTECA 2008 [1958] : 411). Autrement dit, ce qui est remis en cause n’est donc pas la technique employée mais le modèle érigé en garant fiable.
La dernière forme de fallacy ici décrite concerne le recours à l’ironie des militants de la Ligue et du M5S. Sans nous attarder sur le mécanisme antiphrastique qui régit la structure énonciative de l’ironie, nous avons relevé dans le corpus plusieurs de ses formes qui vont du simple détournement jusqu’à des propos plus venimeux filtrés par l’humour et souvent assortis d’émoticônes[20].
14) G. P. Babbioni (22/07/2019)
15) G. B. Zingarelliiiii….da quand’e’ che siete diventati garantisti????? Dai per piacere che se invece del pd il sindaco era di un altro schieramento mettavate un barcone sul Po….Zingarelliiiiiiiiiiiiii (18/07/2019)
Ainsi, dans 14 et 15, le toponyme Bibbiano et le nom du chef du Parti démocrate Nicola Zingaretti deviennent respectivement « Babbioni » (imbéciles) et « Zingarelli » (emploi péjoratif de « piccolo zingaro », petit gitan). Dans les quatre derniers exemples ci-dessous, les internautes expriment des propos comiques et dubitatifs sur l’intégrité éthique et morale du parti (16-18) en convoquant aussi la sagesse populaire (19). Dans tous ces cas, les locuteurs n’argumentent pas vraiment au sujet des propos exposés dans le billet, mais se limitent à dissimuler derrière le comique un raisonnement qui fait défaut car il renonce à l’argumentation dialectique.
16) G. S. Volevo avvisare quelli del PD, di non morire, perché in paradiso non c’è più posto (26/07/2019)
17) C. N. Ma comunque è stata molto utile, a Genova vedo tante famiglie con figli che passeggiano tranquilli senza la paura che li (sic.) portino via i figli, mai più!? (26/07/2019)
18) M. M. Gli avvocati ringraziano sentitamente ? ? (18/07/2019)
19) A. T. il corvo dice al merlo belin come sei nero (22/07/2019)
4. L’impossible dialogue
Le propos de cette étude a été d’observer les techniques qui président au fonctionnement, ou pour mieux dire au dysfonctionnement argumentatif du renversement des parties dans les technodiscours des militants souverainistes de la Ligue et du M5S en Italie. Loin de vouloir nous limiter à confirmer la nature fallacieuse de cette stratégie, nous nous sommes attaché en effet à mettre plutôt l’accent sur les schèmes argumentatifs sous-jacents, tels que l’éclatement formulaire des hashtags, le recours à des analogies trompeuses, le renvoi à des théories complotistes ainsi qu’à des garants ne faisant pas autorité, et l’emploi systématique de l’ironie dérisoire. Aucune de ces techniques ne respecte les règles de la bonne argumentation qui se veut logique et surtout efficace chez l’homme rationnel. Paralogismes dans le paralogisme, les stratégies employées par les locuteurs pour dénoncer les responsabilités du Parti démocrate à Bibbiano n’aboutissent jamais à la construction d’une armature argumentative efficace, les accusés devenant à leur tour accusateurs dans un jeu antagonique sans fin, sur un sujet épineux qui demanderait beaucoup plus de pudeur et de décence discursives. Il est donc légitime de parler ici, suivant Marc Angenot, d’une rhétorique antilogique dont l’échec dépend essentiellement de l’incapacité des interlocuteurs à faire admettre leurs thèses à travers le partage d’un code logique commun su lequel construire l’emprise argumentative.
Les résultats illustrés dans cette étude sont bien loin de s’épuiser dans l’analyse d’une vingtaine d’exemples, sélectionnés sur une totalité de 3000 commentaires, qui, par souci de représentativité et de clôture du corpus, ont porté sur un sujet déterminé et sur un matériau discursif forcément délimité. Toujours est-il que les mêmes conclusions sur le renversement pourraient être approfondies en étudiant la circulation de formules et expressions analogues portant sur d’autres sujets politiques, institutionnels et sociaux. Dans le vaste corpus générique que nous avons recueilli avant de restreindre l’objet de la recherche aux seules occurrences sur l’affaire Bibbiano, nous avons relevé un florilège d’expressions susceptibles d’être soumises à l’épreuve des stratégies rhétoriques au sein des technodiscours, telles que « e allora i marò ? », « la Commissione Segre ora dov’è ? », « e allora il PD ? », « e Renzi che fa ? ». Nous espérons que cette étude pourra servir à ouvrir des pistes de recherche dans ce sens, en contribuant, très modestement, à appliquer les acquis de l’argumentation dans ses rapports à l’analyse du discours sur des corpus italiens aussi.
Références bibliographiques
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[1]
Le nom et adjectif « souverainiste » apparaît au Québec, en 1974, pour désigner les partisans de la souveraineté de la Province à l’égard de la Confédération canadienne. Dans le Vieux Continent, il désigne les tenants d’une « Europe formée de nations souveraines » (Petit Robert, s.v. « souverainiste ») par opposition aux principes d’une plus forte intégration européenne.
[2]
Bien que le Mouvement 5 étoiles tende de plus en plus à cacher ses positions traditionnellement antieuropéistes, il demeure toujours aligné sur le souverainisme de droite. Ses militants et sympathisants sur Internet l’étaient a fortiori à l’époque de l’éclatement du scandale Bibbiano, lorsque le M5S était au pouvoir aux côtés de la Ligue dans le premier gouvernement de Giuseppe Conte.
[3]
La notion de formule est ici prise au sens de Krieg-Planque. Bien que l’expression « Parlateci di Bibbiano » ne soit pas destinée à un destin formulaire dans le long terme, on estime qu’elle satisfait à présent à toutes les conditions qui président à sa cristallisation en tant que formule : le figement, la dimension discursive, le référent social et les enjeux polémiques. On se reportera pour cela à Krieg-Planque (2009).
[4]
Tout en suivant un schéma propagandiste traditionnel – associant d’une part la participation assidue sur les plateaux des émissions politiques, et d’autre part une présence constante sur le territoire – Salvini a parallèlement bâti une machine de guerre médiatique sans précédents en Italie, en puisant dans les ressources du web 2.0. Mieux connu sous l’appellation « La Bestia » (La Bête), comme pour en souligner le côté cruel et presque mythique voire diabolique, l’arsenal de communication du leader souverainiste exploiterait l’efficacité de l’algorithme pour capter les « schèmes de pensée » des internautes à travers leurs commentaires et réactions sur le web, en suggérant au chef de la Ligue quels sujets aborder, voire même par quels mots et sur quels tons les traiter.
[5]
Remplacé par Vito Crimi qui, depuis janvier 2020, remplit les fonctions de dirigeant à titre intérimaire du Mouvement.
[6]
Paveau souligne avec justesse la continuité entre les commentaires que le texte produit nativement en ligne. N’étant pas une simple prolongation mais une extension sémantique de ce texte, les commentaires en orientent la lecture et élargissent ultérieurement son rayonnement auprès des internautes.
[7]
Sur la distinction entre dialogal et dialogique, cf. Brès (2005).
[8]
La distinction entre les deux formes de dialogisme n’est plus à démontrer, tellement elle est connue et attestée en linguistique de l’énonciation et en analyse du discours. Jacqueline Authier-Revuz (1982) a été l’une des pionnières du fait dialogique en langue et en discours, dans le sillage tracé, en France, par Marc Plénat, Michel Arrivé et Jean-Pierre Desclès, et aux États-Unis par Anne Banfield.
[9]
À savoir « une forme technolangagière dont la fonction est essentiellement sociale, permettant l’affiliation diffuse […] des usagers, la technoconversationnalité et l’investigabilité […] du discours » (PAVEAU 2017 : 197).
[10]
En ce qu’il est constitué d’un segment langagier cliquable.
[11]
En tant que toponyme événementiel, Bibbiano serait donc comparable à Outreau, Tchernobyl, Auschwitz…
[12]
Les hashtags se présentent dans le corpus sous de nombreuses formes graphiques, tantôt pourvues tantôt privées de majuscules.
[13]
L’étymon est pourtant le mot latin fallācĭa qui signifie « mensonge », « mystification », « ruse ». N’existant pas en français un substantif équivalent du point de vue formel, on emploie la dénomination adjectivale « le fallacieux » véhiculant le même sens que le terme anglais fallacy.
[14]
On pourra se reporter pour cela à Hamblin (1970).
[15]
Tout comme à Bibbiano, les magistrats qui se sont occupés de l’affaire Forteto ont enquêté, non seulement sur les violences physiques subies par les enfants, mais aussi sur les pressions psychologiques que les responsables des crimes auraient exercées sur les mineurs pour les pousser à accuser leurs parents.
[16]
Le pluriel ici est de rigueur, car il ne s’agit pas du seul commentaire dans le corpus où l’affaire Forteto est mentionnée.
[17]
https://www.ilfattoquotidiano.it/2018/07/21/forteto-la-comunita-degli-abusi-e-le-amicizie-sinistra-tra-pellegrinaggi-dei-candidati-e-le-relazioni-eccellenti/4483507/, consulté le 14/04/2020.
[18]
On se reportera à Attruia et Sini (à paraître).
[19]
Les internautes ne manquent pas, par exemple, de convoquer le point de vue d’artistes célèbres comme les chanteurs Laura Pausini et Nek qui, sans accuser ouvertement la gauche, ont exprimé publiquement leur indignation vis-à-vis de l’affaire Bibbiano. Ces commentaires se réclamant de l’autorité de Laura Pausini et Nek sont très nombreux, mais apparaissent surtout sur les pages Facebookofficielles des deux artistes. Excédant donc les limites de notre corpus, construit suivant des critères écologiques, nous avons choisi de les écarter de l’analyse.
[20]
On sait par la lecture de Ducrot que, dans l’ironie, le locuteur feint d’adhérer à un point de vue qu’il considère en réalité comme absurde. Sur le dédoublement énonciatif qui sous-tend l’ironie, ainsi que sur les différences entre humour et ironie, voir Ducrot (1984).
Per citare questo articolo:
Francesco ATTRUIA, « Parlateci di Bibbiano ! La stratégie du renversement dans les commentaires en ligne des militants souverainistes en Italie », Repères DoRiF, n. 22 – Corpus, réseaux sociaux, analyse du discours, DoRiF Università, Roma ottobre 2020, https://www.dorif.it/reperes/parlateci-di-bibbiano-la-strategie-du-renversement-dans-les-commentaires-en-ligne-des-militants-souverainistes-en-italie/
ISSN 2281-3020
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