Julien Longhi, Stefano Vicari
Présentation du numéro
Presentation of the issue
Les discours en ligne font déjà l’objet des recherches de linguistes et de sociolinguistes depuis longtemps (MARCOCCIA, 2016, PIEROZAK, 2007, MOURLHON-DALLIES, RAKOTONOELINA et REBOUL-TOURE, 2004, pour un état de l’art) : forums, tchats et courriels apparaissent parmi les terrains d’enquete privilégiés. Plus récemment, des analystes du discours se sont penchés sur l’analyse de discours natifs en ligne dans les plateformes du web 2.0 : Facebook, Twitter, Tripadvisor, Instagram, la section « commentaires » des quotidiens en ligne, etc. font ainsi l’objet de recherches (LONGHI, 2013, LONGHI, SARFATI, 2018, PAVEAU, 2017, entre autres) qui ont dû se confronter avec toute une série de contraintes technologiques et discursives (ou technodiscursives, PAVEAU, 2017) les obligeant à repenser un tant soit peu des questions d’ordre théorique et méthodologique. Les questions posées conduisent ainsi à penser à l’analyse du discours numérique dans le cadre d’une inter/pluri-disciplinarité féconde, en lien par exemple avec les sciences de la communication (MERCIER et PIGNARD-CHEYNEL, 2018) ou les sciences politiques et la sociologie (SEVERO et LAMARCHE-PERRIN, 2018, ou le travail de Dominique CARDON et de son équipe au Medialab).
Ce numéro se propose de relever certains des défis posés par les réseaux sociaux aux analyste du discours. Les contributions ici réunies essaieront d’apporter des éléments sinon de réponse, au moins de réflexion, autour des questions suivantes : comment constituer des corpus représentatifs des pratiques discursives dans les plateformes du web 2.0 ? Quelles notions et quels outils d’analyse doit-on utiliser pour rendre compte de l’éventail d’observables à analyser, parmi lesquels, à titre d’exemples, les formes technolangagières (PAVEAU, 2017) comme les mèmes, les mots-dièses, etc. ? De quels critères faut-il se doter pour la constitution de « bons » corpus en lien avec ces nouveaux observables ? Comment prendre en compte l’influence des supports et des outils technologiques dans l’analyse ? Quel(s) niveau(x) d’analyse privilégier et quelles théories mobiliser pour saisir les nouveaux mécanismes discursifs de construction du sens et de l’interdiscours ?
Toutes les contributions réfléchissent sur ces questions à partir d’un socle épistémologique commun tout en permettant d’analyser le web 2.0 selon plusieurs perspectives. En effet, les études partent du constat de la nécessité de prendre en compte les contraintes et de relever les défis tant de la constitution que de l’analyse des corpus en ligne, qui imposent un véritable changement de paradigme aux chercheurs, de par la nature plurisémiotique et fortement contextualisée de la matérialité discursive. Ainsi les chercheurs adoptent-ils une approche écologique qui prend en compte les affordances et les spécificités technodiscursives de chaque réseau, dont la variété est grande : des forums en ligne aux plateformes Twitter et Instagram, en passant par Facebook et Youtube, sans oublier les commentaires des lecteurs des journaux en ligne. Dans chacun de ces cas, les études de corpus permettent, directement, ou en seconde analyse, de mettre en valeur des caractéristiques linguistiques et sémiotiques des fonctionnements discursifs dans ces espaces, et d’améliorer la description située des enjeux communicationnels qui s’y développent.
Les études recourent également à des démarches interdisciplinaires, qui intègrent les acquis et les suggestions de disciplines telles que la sociologie (CARDON, 2019), les sciences de la communication (MERCIER et PIGNARD-CHEYNEL, 2018) et l’épistémologie sociale (ORIGGI, 2008), qui se sont déjà penchées sur l’observation de pratiques interactionnelles propres du web 2.0. L’analyse du discours ainsi déployée peut valoriser ses propres apports, par l’attention qu’elle porte sur un matériau sémiotique constitutif de ces pratiques mêmes.
A partir de ces tendances communes garantissant l’unité thématique et épistémologique des contributions, trois axes de réflexion se dégagent et correspondent aux trois sections du numéro. La première section réunit les contributions portant sur l’exploration et l’exploitation de corpus. Il peut s’agir de corpus et d’outils destinés à analyser les processus idéologiques en ligne et à relever les caractéristiques discursives des tweets « efficaces » (Longhi), d’outils à l’usage des chercheurs pour interroger la complexité des relations énonciatives qui s’établissent dans le format plurisémiotique des productions technodiscursives sur Twitter (Cagninelli) et pour observer des phénomènes propres de l’écriture en ligne dans les newsgroups permettant de questionner sous une lumière nouvelle la distinction entre code écrit et oral (Corino, Barbera, Onesti, Marello), ou des pratiques de correction des apprenants dans le cadre d’apprentissages informels, telles que celles qu’on trouve dans les sites questions/réponses (Torsani, au prisme du cadre épsitémologique et théorique de la folk linguistics). Ces études combinent d’un côté indices qualitatifs et quantitatifs permettant de réfléchir aux conditions de représentativité des corpus web 2.0 en analyse du discours, à partir d’enquêtes de terrain fortement contextualisées et centrées sur des objectifs spécifiques. Les corpus et outils d’analyse permettent de recueillir, de classer et d’analyser les données hétérogènes issues de différents réseaux sociaux. Le regard des sciences du langage est ici indispensable pour penser des développements informatiques qui répondent à des besoins spécifiques.
La deuxième section présente des recherches qui adoptent le principe de contrastivité dans la constitution des corpus dans le cadre de polémiques (AMOSSY, 2014) en ligne. Les deux premières contributions partent de corpus construits dans différents réseaux sociaux (Twitter, Youtube, espace « commentaires » des journaux en ligne, Facebook) autour d’une même polémique, pour analyser les représentations des relations entre l’anglais et le français en contexte québécois (Molinari) et les réactions des internautes face à la proposition d’un questionnaire de la part de l’Université de Cergy-Pontoise dans le but de relever les « signaux faibles de radicalisation » (Vicari). Ensuite, dans l’analyse de la polémique autour d’une question écologique sur Facebook (Cennamo), le principe de contrastivité est décliné sur deux niveaux : communications institutionnelles en ligne et hors ligne et contexte italien (la mairie de Milan) et français (la mairie de Paris). La dernière contribution de la section montre les stratégies argumentatives, ou mieux, de « dysfonctionnement argumentatif », mises en place par les militants souverainistes de la Ligue d’une part, et du M5S d’autre part, sur Facebook(Attruia). Dans ces études, la variation est considérée comme un principe méthodologique pertinent, et le recours aux corpus faisant varier les niveaux d0analyse est un moyen de caractériser la polémicité des objets envisagés ainsi que de dégager un certain nombre de spécificités technodiscursives des polémiques 2.0.
Enfin, la troisième et dernière section présente des études mettant à l’épreuve de corpus issus de Twitter des théories syntaxiques (Bach), et notamment les grammaires de construction et des théories sémantiques (Tonti), comme l’approche distributionnelle reposant sur le modèle Entrenchment-and-Conventionalization. Ici, l’interaction entre théorie et pratique permettra d’avancer sur la mise en lumière de certains traits spécifiques des corpus mobilisés.
Références bibliographiques
AMOSSY, Ruth, Apologie de la polémique, Paris, Presses universitaires de France, 2014.
CARDON, Dominique, Culture numérique, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
LONGHI, Julien, Du discours comme champ au corpus comme terrain. Contribution méthodologique à l’analyse sémantique du discours, Paris, L’Harmattan, 2018.
LONGHI, Julien, « Essai de caractérisation du tweet politique », L’Information grammaticale, n° 136, 2013, p.25-32.
MARCOCCIA, Michel, Analyser la communication numérique écrite, Paris, Colin, 2016.
MERCIER, Arnaud, PIGNARD-CHEYNEL, Nathalie, #info : Commenter et partager l’actualité sur Twitter et Facebook, Paris, Éditions de la MSH, 2018.
MOURLHON-DALLIES, Florence, RAKOTONOELINA, Florimond, REBOUL-TOURÉ, Sandrine (dir.), Les discours de l’Internet. Nouveaux corpus, nouveaux modèles ?, Les Carnets du Cediscors, n° 8, 2004, en ligne : https://journals.openedition.org/cediscor/68 [consulté le 01/10/2020].
ORIGGI, Gloria, Qu’est-ce que la confiance ?, Paris, Vrin, 2008.
PAVEAU, Marie-Anne, L’analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques, Paris, Hermann, 2017.
PIEROZAK, Isabelle (dir)., « Regards sur l’Internet dans ses dimensions langagières. Penser les continuités et discontinuités. En hommage à Jacques Anis », Glottopol, n° 10, 2007, en ligne : http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_10.html [consulté le 01/10/2020].
SEVERO, Marta, LAMARCHE-PERRIN, Robin, « L’analyse des opinions politiques sur Twitter. Défis et opportunités d’une approche multi-échelle », Revue française de sociologie, n° 3, vol.59, 2018, p. 507-532, en ligne : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2018-3-page-507.htm [consulté le 01/10/2020].
Per citare questo articolo:
Julien LONGHI, Stefano VICARI, « Présentation du numéro », Repères DoRiF, n. 22 – Corpus, réseaux sociaux, analyse du discours, DoRiF Università, Roma ottobre 2020, https://www.dorif.it/reperes/presentation-du-numero-julien-longhi-stefano-vicari/
ISSN 2281-3020
Quest’opera è distribuita con Licenza Creative Commons Attribuzione – Non commerciale – Non opere derivate 3.0 Italia.