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Sergio PIRARO, Paola LABADESSA

 

Un espace virtuel multilingue comme outil pour une formation professionnelle en langue française: le cas du site web de l’Union Européenne

 

 

Sergio Piraro
Università degli Studi di Messina
piraros@unime.it

Paola Labadessa
Università degli Studi di Messina
plabadessa@unime.it


Résumé

L’enseignement universitaire du français à des fins professionnels a récemment évolué vers l’intégration des ressources numériques.
Après une réflexion théorique, un retour d’expérience dans le cadre d’un Mastère spécialisé sera présenté. Dans un cours visant à former des professionnels spécialisés pour travailler au sein d’instances européennes, la nécessité de recourir aux documents en langue originale et la possibilité d’interagir dans des milieux plurilingues, a mené à l’exploitation du site web officiel de l’Union Européenne, dans la version trilingue français-anglais-italien, comme ressource principale de travail.

Abstract

Teaching French for professional purposes has recently evolved towards the integration of digital resources, even at university.
After a theoretical reflection, we will report on a practice carried out in a context of a Second Level Master Degree. In a course aimed at instructing specialized professionals to work within European policies, using documents in the original language and interacting in multilingual environments, we exploited the official website of the  European Union, in the French-English-Italian version, as the main working resource.


 

Introduction[1]

La didactique des langues étrangères (DDL) s’insère de nos jours dans un contexte numérique désormais « essentiel pour le développement personnel, professionnel et culturel de la société » (GIL CASADOMET 2021 : 134) où les ressources informatiques et le multimédia occupent une grande place. L’évolution technologique constante et les contextes multilingues et multiculturels dans lesquels nous vivons, influencent inévitablement les parcours de formation. Des questions sur le binôme compétence numérique – enseignement des langues, par rapport à une formation traditionnelle, se posent sur la mise en œuvre et l’adéquation de ces instruments (GIL CASADOMET 2021 : 134). Quel peut être, donc, le résultat de l’association multimédia / multilinguisme dans l’enseignement de la langue française ? Comment exploiter à des fins didactiques des ressources numériques multilingues, dans un cours de Français Langue Étrangère (FLE) ou Français Langue Professionnelle (FLP) ?

Dans cet article, nous présentons une réflexion théorico-méthodologique au sein de la DDL (ANDRÉ, 1989) à l’aide des compétences TIC, récemment nommée « Apprentissage des Langues Médiatisé par les Technologies » (ALMT; GUICHON, 2012a), sur l’intégration des ressources numériques et multilingues dans un processus d’enseignement-apprentissage (E/A) (GUICHON, 2012a) d’une langue étrangère, dans le cadre d’un Mastère en Hautes Études Européennes, organisé par l’Université de Messine (Département de Droit et Département de Sciences Politiques et Juridiques) en 2020-21. Cette expérience, qui s’est appuyée sur la formation de l’enseignant et de l’étudiant en matière numérique, valorisera le contexte d’apprentissage et la méthodologie employée. Pour cette formation, nous avons travaillé à distance en ayant pour base de travail le site web officiel de l’Union européenne (comme principale ressource de travail).

Ce Mastère propose la formation de professionnels aptes à travailler en tant que consultants, techniciens et experts en matière européenne, dans les institutions de l’UE aussi bien que dans les gouvernements locaux ou les entreprises. Le cours de formation offert est interdisciplinaire et comprend l’étude des éléments juridiques, politiques et linguistiques des sujets abordés. Les compétences linguistiques s’imposent, donc, comme une condition nécessaire pour le savoir-faire dans des milieux professionnels de ce type (surtout en ce qui concerne la réception de documents – sans recourir aux traductions – et l’interaction en plusieurs langues). Mettre en place une formation traditionnelle s’avérait une opération peu efficace. Concevoir un cours de français sur mesure paraît prioritaire pour des apprenants impatients de satisfaire leurs besoins et souhaitant apprendre la langue en peu de temps pour la réinvestir dans des contextes professionnels exigeants. Pour ce faire, on s’est posé, alors, quelques questions sur la démarche à activer pour cette formation et la singularité de la situation qui exigeait des moyens et des ressources appropriées. Un enjeu compliqué pendant la pandémie, en distanciel sur la plateforme Teams, mais surtout une expérience qui, dès son début, a révélé sa nature interdisciplinaire entre multilinguisme[2] et formation professionnelle.

1. Cadre théorique et choix épistémologiques

Les origines de l’Apprentissage des Langues Médiatisé par les Technologies sont liées au développement de l’Enseignement Assisté par Ordinateur (EAO; DEMAIZIERE, 1986). Guichon (2012b) explique le changement du nom de la discipline tout au long de ces quarante dernières années. Soubrié (2020) identifie les traces historiques et les étapes utiles à la reconnaissance d’un processus qui regroupe des intérêts communs aussi bien que des pratiques d’enseignement et de recherche. « Les technologies ne viennent plus alors seulement soutenir l’enseignement-apprentissage, mais permettent également d’immerger les apprenants dans un bain linguistique et culturel » (SOUBRIÉ, 2020 : 32). La communication est tout d’abord déterminée par la relation interpersonnelle et l’interaction sociale intersubjective (OLLIVIER et al., 2018), comme une ouverture sur le monde, c’est-à-dire « du réel » en classe de langues étrangères, c’est ce que le numérique permet de réaliser en ligne (ALBERO, 2010). En ce sens, l’importance des ressources utilisées par les étudiants en contexte plurilingue et multimodal pour exploiter les atouts de nouvelles technologies est évoquée à plusieurs reprises (GIL CASADOMET, 2021 : 135).

Les objectifs généraux du mastère prévoyaient un parcours d’études concentré sur la connaissance de la structure et du fonctionnement de l’Union Européenne. L’intention était d’assurer une haute spécialisation, dans les domaines du droit, de l’économie et des politiques de l’UE en particulier, intégrant une formation linguistique appropriée.

Il s’agissait, donc, de détecter les exigences par une analyse des besoins de la part des apprenants et des buts de la formation, d’élaborer ces données et mettre en place les activités convenables. Tout en étant destinés à des milieux professionnels plurilingues, les enquêtes initiales ont révélé que les participants ne possèdent pas de compétences en langues étrangères ou ont de faibles réminiscences scolaires. Le défi d’une formation plus compliquée par la situation de départ se posait, alors, dans toute son ampleur.

Si d’un côté le rôle de la langue française au sein de l’UE après le Brexit a été renforcé, de l’autre on a tenu en considération que la diversité linguistique représente l’une des richesses de l’Union Européenne (« unis dans la diversité », comme le souligne sa devise).

Or, les expressions « multilinguisme » ou « plurilinguisme » sont souvent indifféremment employées en parlant de l’UE (« le multilinguisme panarchique qu’elle pratique depuis sa création » PINGEL, 2015: 1). À ce propos la Division des Politiques Linguistiques du Conseil de l’Europe est intervenue pour distinguer le mot multilingue, à adopter pour indiquer « un pays, un lieu ou une institution qui héberge plusieurs langues » du mot plurilingue par lequel on représente « un individu qui s’exprime dans plusieurs langues ». L’attention et la promotion du plurilinguisme en Europe remonte en effet à quelques années déjà.

Bien que la formation en langues opte encore traditionnellement pour une approche monolingue (uniquement dans la langue étrangère à apprendre) ou bilingue par le biais de la L1, même si « dealing with two languages at the same time triggers greater demands on coordination and the inhibition of parallel lexical processing in the brain » (COMBES, McALLISTER, LECLERE, MIRAS, 2019), les données élaborés avant le début proprement dit de cette formation (parcours pour grands débutants et débutants, préférence pour une démarche communicative, nécessité/obligation d’une formation professionnalisante, attention à la pratique traduisante), menaient à effectuer des choix vers une approche plurielle et multilingue (« […] a multilingual and holistic approach provides interesting insights about relationships between the languages and can also have important pedagogical implications and eventually improve academic results » COMBES, McALLISTER, LECLERE, MIRAS, 2019).

À côté d’un apprentissage traditionnel (par document déclencheur + adoption d’une perspective grammaticale spécifique) à l’aide du multimédia, une approche contrastive/intégrative entre les langues du mastère (italien-anglais-français) a été mise en place. On survole dans cette contribution sur la structure du cours, ses éléments et le suivi des apprenants – qui ne représentent pas d’ailleurs le focus de cette contribution – pour se concentrer sur le travail effectué sur les textes plurilingues, qui a suscité le plus grand intérêt dans le processus d’apprentissage des étudiants.

1.1 Emploi des textes plurilingues

L’une des étapes à évaluer a consisté dans la nécessité de conjuguer un parcours hybride de FLE (18 heures) et de FLP (12 heures) pour des apprenants italophones, pour la plupart débutants, possédant un niveau de langue anglaise correspondant à la compétence scolaire ou à quelques examens universitaires, avec les objectifs formatifs et professionnels du mastère. Le choix a été orienté vers l’emploi des ressources même de l’UE et la multiplicité de la documentation disponible à l’intérieur du site web officiel.[3] Le corpus de textes authentiques sélectionné dans la version trilingue français-anglais-italien, entre langue standard et langue spécialisée, a concerné les grands thèmes, la législation et les activités de l’UE.

Sans vouloir réaliser des échelles de valeur entre les langues utilisées, le travail mené sur les textes, adaptés au niveau des apprenants et, si nécessaire, didactisés, s’est concentré sur trois axes : aspect qualitatif (collecte des informations descriptives), phrase (analyse grammaticale, analyse du lexique) et typologie de texte (informatif, injonctif, descriptif, etc.). L’objectif était de mettre les langues en contact par l’observation guidée et des analyses contrastives, pour faire relever aux étudiants mêmes – par une opération quasiment maïeutique – les mécanismes qui régissent la morphosyntaxe de la langue française, les constructions lexicales et les échanges qui animent les débats de la traductologie. Les analyses ont été menées à l’aide des travaux de linguistique (MAINGUENEAU, 2021) et de pratique traductive (PODEUR, 2002).

On présente ici, en guise d’exemple, l’activité conduite sur la section « A propos de l’UE » dans ses versions « facile à lire », dont on a choisi quelques extraits, à la portée de tout lecteur. L’opération qui a consenti d’explorer aussi la structure et le contenu d’une page web en langue française, ne veut pas mettre en question ou interroger les choix traductifs mais faire réfléchir sur les dynamiques qui interviennent au niveau linguistique.

FRANCAIS [4]

L’Union européenne est un groupe de 27 pays en Europe.

Ces pays se sont réunis pour que les gens aient une vie meilleure, plus facile et plus sûre.

Ils ont décidé de travailler ensemble et de s’entraider.

Comment l’Union européenne a commencé.

L’idée de créer l’Union européenne est venue après les deux grandes guerres en Europe.[5]

Les pays d’Europe ont compris qu’il valait mieux travailler ensemble plutôt que de se faire la guerre.

Au début, seuls 6 pays en Europe ont commencé à travailler ensemble : Belgique, Allemagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas. Rapidement, de plus en plus de pays en Europe les ont rejoints, et l’Union européenne a été créée.

Aujourd’hui, 27 pays font partie de l’Union européenne […].

ANGLAIS[6]

The European Union is a group of 27 countries in Europe.
These countries came together to make things better, easier and safer for people.
They agreed to work together and help each other.

How the European Union started.

The idea to make the European Union came after two big wars happened in Europe.
Countries in Europe saw that it is better to work together than fighting against each other.

In the beginning, only 6 countries in Europe started working together: Belgium/ Germany/ France/ Italy/ Luxembourg/ Netherlands.

Soon, more and more countries in Europe joined them and the European Union was made.

Today, 27 countries are part of the European Union.

ITALIEN[7]

L’Unione europea è un gruppo di 27 Paesi europei.
Questi Paesi si sono riuniti per rendere la vita delle persone migliore, più semplice e più sicura.
Questi Paesi hanno deciso di lavorare insieme e di aiutarsi.

Come è nata l’Unione europea.

L’idea di creare l’Unione europea è nata dopo due grandi guerre in Europa.

I Paesi europei hanno capito che è meglio collaborare che fare la guerra.

All’inizio solo 6 Paesi europei hanno deciso di lavorare insieme (Belgio, Francia, Germania, Italia, Lussemburgo, Paesi Bassi). Ben presto altri Paesi[8] europei hanno voluto fare lo stesso e così è nata l’Unione europea.

Oggi, i Paesi che fanno parte dell’Unione europea sono 27 […].

L’analyse au niveau textuel dévoile les caractères d’un texte informatif-explicatif pour la compréhension duquel on fait référence aussi à la « connaissance partagée » (COMBETTES, 1986) (par exemple il faut connaître à priori ce qu’est l’Europe) et aux compétences extralinguistiques (« les deux grandes guerres » / « two big wars » / « due grandi guerre »).

Les premières lignes essaient d’expliquer la finalité de la création de l’UE (« pour que les gens aient une vie meilleure, plus facile et plus sûre » / « to make things better, easier and safer for people » / « per rendere la vita delle persone migliore, più semplice e più sicura »). Les trois énoncés expriment les objectifs communs, dans la même typologie de subordonnée, mais concentrent l’attention sur trois éléments différents (les gens – things – la vita).

Du point de vue de la progression de l’information, un mécanisme prévaut, c’est-à-dire la préférence pour les anaphores lexicales fidèles et la pronominalisation dans la langue française (27 pays > ces pays > ils) et la langue anglaise (27 countries > these countries > they), alors que l’italien capitalise (Paesi) mais répète le groupe nominal (27 Paesi > questi paesi > questi paesi).

Au niveau de la langue l’attention se concentre sur quelques parties du discours et notamment sur l’emploi des verbes, adverbes et substantifs.

L’observation des verbes – dans l’aspect et le mode de procès – renvoie à des choix voulant mettre l’accent sur des actions différentes ou des temps différents (Comment l’Union européenne a commencé / How the European Union started / Come è nata l’Unione europea). Le français et l’anglais gardent le plan de l’équivalence sémantique, tandis que dans la version italienne le verbe « nascere » souligne plus l’idée de la génération que le début de l’action.

Du point de vue de l’aspect, à remarquer l’emploi de l’imparfait dans l’expression française (« qu’il valait mieux travailler ensemble plutôt que de se faire la guerre »), alors que l’anglais et l’italien préfèrent une présentation au présent indicatif à valeur de narration mais qui renvoie à un présent de vérité (« it is better to work together than fighting against each other » / « è meglio collaborare che fare la guerra »).

À remarquer, encore, que dans le texte italien l’idée de la guerre est exprimée par un verbe transitif (fare la guerra) qui sous-entend un complément indirect (à qui ?) et non pas dans la forme pronominale réciproque des autres langues (se faire la guerrefighting against each other).

L’idée de la choralité est soulignée par les trois langues (« seuls 6 pays en Europe ont commencé à travailler ensemble » / « only 6 countries in Europe started working together » / « solo 6 Paesi europei hanno deciso di lavorare insieme ») mais c’est encore une fois l’italien qui opte pour un récit divergeant. Effaçant l’idée de commencement, il s’appuie sur l’activité qui précède le travail (hanno deciso), laissant un vide sur le début de l’action.

L’analyse comparée des trois phrases à suivre, comporte plusieurs observations :

Rapidement, de plus en plus de pays en Europe les ont rejoints
Soon, more and more countries in Europe joined them
Ben presto altri Paesi europei hanno voluto fare lo stesso

D’abord au niveau des adverbes. L’accroissement du nombre des pays de l’Union est exprimé d’une façon différente. Le français accentue la manière (rapidement), l’anglais et l’italien préfèrent l’indiquer en termes temporels (soon – ben presto). Le sens du nombre aussi est rendu autrement entre le couple F-A et I qui ne marque pas l’accroissement (de plus en plusmore and more) mais la diversité (altri).

Sur le plan verbal c’est encore une fois la langue italienne qui suscite des hypothèses au lecteur (« hanno voluto fare lo stesso »).  Faire quoi, pourrait-on clairement se demander. Se réunir aux 6 pays qui travaillaient ensemble ou renvoyer à l’idée de la formation d’une autre possible alliance (« faire de même » et non pas « s’associer à ») seraient des alternatives possibles.

La syntaxe présente un rapport d’équivalence entre les langues quant au nombre et typologies de propositions subordonnées. Seulement la phrase finale dans la page italienne se sert de l’introduction d’une relative en fonction de mise en relief (« 27 pays font partie de l’Union européenne » / « 27 countries are part of the European Union » / « i Paesi che fanno parte dell’Unione europea sono 27 »).

Pour ce qui concerne l’énonciation et le discours, en effet, l’observation entre les langues révèle aussi des comportements distincts. Quel est le rapport que l’UE instaure avec ses citoyens par le biais du site web ? Il suffit encore de donner un coup d’œil au bas de la même page :[9]

Figure 1 : bas de la page d’accueil du site de l’UE – langue française
(dernier affichage le 25 mai 2021)

 

Figure 2 : bas de la page d’accueil du site de l’UE – langue italienne
(Consulté le 25 mai 2021)

 

 Figure 3 : bas de la page d’accueil du site de l’UE – langue anglaise
(Consulté le 25 mai 2021)

L’italien et l’anglais semblent établir un rapport plus familier avec leurs lecteurs (l’emploi de l’impératif et les déictiques de personne l’indiquent) ; le français, par contre, demeure sur le plan de la neutralité par l’usage de l’infinitif. À remarquer aussi l’usage des anglicismes en italien (learning corner, social media, account) et leur traduction dans la page française (espace apprentissage, réseaux sociaux, compte).

Un examen attentif montre non seulement les caractères spécifiques de la page numérique mais aussi des éléments relevant du lexique et de la morphosyntaxe. L’en-tête de la page d’accueil française offre plusieurs éléments de réflexion au niveau lexical (site web, législation, avis juridique) et des locutions tout à fait propres à la langue (faire des affaires) ; il nous renseigne sur le traitement des anglicismes (home > accueil) et emprunts (cookies) et montre des phénomènes de pluralisation (cookies) – absents en italien -, de même que des transpositions lexicales ou phrastiques et des modulations au niveau de la traduction (à propos de > informazioni > about this site; comment le vérifier > how do you know > come esserne sicuri).

Figure 4 : en tête de la page d’accueil langue française. (Consulté le 25 mai 2021)

Figure 5 : en tête de la page d’accueil langue italienne. (Consulté le 25 mai 2021)

Figure 6 : en tête de la page d’accueil langue anglaise.  (Consulté le 25 mai 2021)

Le travail sur le lexique, particulièrement intéressant, permet une perspective multilingue. Un exemple d’apprentissage et réflexions métalexicales possibles est donné par les rubriques de la page d’accueil que l’on peut observer ci-après:

Figure 7 : rubriques page d’accueil site web UE. (Consulté le 07 juin 2021)

Figure 8 : rubriques page d’accueil site web UE. (Consulté le 07 juin 2021)

L’analyse a soulevé la question des substantifs au genre différent, des mots n’ayant que le pluriel, des polysémies, faux-amis, des termes spécialisés, de la traduction des acronymes et de leur traitement. Des aspects sur lesquels on ne s’arrêtera pas pour l’instant mais qui se sont révélés intéressants au niveau de la langue générale de même que pour la langue spécialisée.

1.2 Traitement de la langue spécialisée

Le projet de formation du mastère prévoyait, en effet, 40% du cours de Français à destiner à la formation en langue juridique. Cela correspondait, plus ou moins, à un bref cours de langue de spécialité.

Au premier abord, l’emploi de textes spécialisés apparaissait la démarche à suivre. Des méthodes confectionnées pour les italophones, en auraient, évidemment, comblé les besoins. Cependant la question de quel Français Juridique envisager – considérant l’ampleur du domaine -, se posait dès le début. Quel français, alors, pour des experts en matière européenne et, peut–être, des futurs travailleurs dans les institutions de l’UE ?

Plutôt qu’un module de français de spécialité, un changement de paramètres s’est avéré normal sinon nécessaire.

Former des professionnels implique une immersion simulatrice dans des situations de travail. En conséquence, comparer l’Union Européenne à une entreprise s’est révélé la démarche correcte. L’emploi d’une sélection de documents multilingue de l’entreprise, a été, encore une fois, l’une des stratégies les plus appropriées: « La découverte des documents de l’entreprise permet aussi   d’entrer dans l’univers singulier de l’entreprise, de commencer à comprendre ses codes, sa culture, son fonctionnement » (DAILL, 2011 : s.p.).

Même si toutes les langues européennes ont la même dignité reconnue, il ne faut pas oublier que « le français est la langue du délibéré dans le système juridictionnel de l’UE. Les arrêts et les avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et du Tribunal de première instance sont ainsi rendus en français, des traductions étant ensuite disponibles dans toutes les autres langues » (Le français dans les institutions européennes, 2016 : 5). Il est vrai tout de même que « la Cour est en effet tenue au respect d’un multilinguisme intégral en raison de la nécessité de communiquer avec les parties dans la langue du procès et d’assurer la diffusion de sa jurisprudence dans l’ensemble des États membres » [10].

Les documents authentiques, tirés des sites des institutions européennes, ont permis une confrontation avec les pratiques du travail et consenti d’en comprendre les codes et le fonctionnement. Pour la plupart c’étaient encore des documents à l’écrit et, dans une moindre mesure, des supports oraux, qui ont garanti une approche d’apprentissage actionnel – cela a permis de proprement reconvertir le FLE dans un FLP -.

Le passage a été offert par la possibilité de la consultation multilingue des arrêts de la Cour de Justice[11] et, notamment, du Journal Officiel. Prenons en exemple le travail mené sur les extraits tirés du Règlement UE 2016/679: [12]

Sans entrer dans les questions relatives à la traduction et à la normative concernant l’archivage des données, nous allons faire des observations au niveau de la sémantique et notamment, sur les substantifs records/archives/registri. Est-on sur le plan de l’équivalence dans les trois langues ? Pour y répondre, le support des dictionnaires se rend nécessaire :

record: « a piece of information or a description of an event that is written on paper or stored on a computer » (CAMBRIDGE ENGLISH DICTIONARY, 2021)

archives: « ensemble de documents hors d’usage courant, mais classés et conservés pour une consultation éventuelle, dans une entreprise ou chez un particulier » (DICTIONNAIRE LAROUSSE, 2021)

registro: « libro, quaderno, fascicolo o volume formato da un certo numero di fogli nel quale si registrano o si annotano in un determinato ordine atti e fatti, operazioni e situazioni, elementi e dati […] » (DIZIONARIO TRECCANI, 2021).

Si l’expression anglaise « records of public interest » correspond aux documents d’archives, et le français « archives » le réplique, l’italien « registro » fait référence à un système d’archivage qui implique un passage supplémentaire, à savoir l’introduction manuelle ou numérique des données.

Des exemples semblables étant fréquents, l’analyse comparative de multitextes législatifs paraît, donc, essentielle pour ne pas encourir dans de possibles erreurs.

Lorsque l’on se trouve face à des situations d’équivalence culturelle, l’apprentissage procède sans troubles. Au contraire, s’il y a « des concepts juridiques inexistants ou partiellement équivalents en langue et/ou en culture cible, le domaine juridique est un excellent terrain pour l’étude des enjeux interculturels » (DESCHAMPS, 2022: s.p); au cas où un apprenant italophone se trouverait face à une « personne morale », il s’interroge sur le respect du code étique de la personne en question. Le rapprochement du trinôme « personne morale / legal person / persona giuridica » ne vise donc pas à fournir la traduction mais à révéler le fonctionnement d’un système langue-culture derrière la collocation linguistique. Il n’en va pas de même pour d’autres institutions.

Prenons en exemple l’Ordonnance de la Cour (septième chambre) du 16 janvier 2008 (affaire C-361/07). La juxtaposition des textes ne contribue pas à décoder la définition d’une institution française telle que le « Conseil des Prud’hommes »:

[…] Demande de décision préjudicielle – Conseil de prud’hommes de Beauvais – Interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (art. 30 et 33) […]

[…] Domanda di pronuncia pregiudiziale – Conseil de prud’hommes de Beauvais – Interpretazione della Carta dei diritti fondamentali dell’Unione europea (artt. 30 e 33) […]

Reference for a preliminary ruling – Conseil de Prud’Hommes de Beauvais – Interpretation of the Charter of Fundamental Rights of the European Union (Arts 30 and 33) […] [13].

Les documents en anglais et italien, plus sourciers que ciblistes en termes de traduction, préfèrent l’emprunt et garantissent une opération de médiation culturelle, laissant passer une information relative au système juridique français.

C’est encore une fois un service interactif en ligne de l’Union Européenne et constamment mis à jour, qui fournit une aide terminologique, le IATE (Interactive Terminology for Europe) contenant un Vocabulaire Juridique aussi. La simple recherche de référents comparables révèle que le Conseil des prud’hommes peut être rapproché du Labour Court anglais et du Tribunale del lavoro italien [14].

Remarques conclusives

La spécificité d’une expérience de terrain comme celle que nous venons de présenter, englobe différentes démarches. En principe elle pourrait se présenter comme une formation qui répond à la méthodologie du Français sur Objectifs Spécifiques, consistant dans la collecte de données encadrée par la notion de « situation de communication », recours aux documents authentiques comme supports de la formation, rôle du contexte, approche communicative (PARPETTE, MANGIANTE, 2004). Pour le public sélectionné le cadre d’exercice de la langue a requis le développement de compétences en milieu professionnel. Ce qui place le Français Langue Professionnelle en positionnement transversal et représente une des grandes différences avec le FOS (MOURLHON-DALLIES, 2007). Il est vrai, toutefois, que le FOS aujourd’hui tient de plus en plus en compte l’évolution de la relation entre recueil des données et analyse des situations professionnelles pour l’élaboration des séquences d’enseignement-apprentissage (MANGIANTE, PARPETTE, 2022)

Si l’on considère que le milieu professionnel en question est multilingue, une didactique plurilingue s’est rendue presque nécessaire et, pour ce faire, nous avons choisi de traiter le Français langue seconde et professionnelle par le biais de la traduction contrastive et en milieu numérique. Une pratique qui pourrait, à notre avis, être reproductible pour d’autres expériences de formation. De plus, les résultats des apprenants nous encouragent particulièrement.

En guise de conclusion nous voulons nous arrêter sur une observation. Si notre focus n’était pas de nous concentrer sur les stratégies qui entrent en jeu dans une activité traduisante, des réflexions qui ne compromettent dans aucun sens, la compréhension globale des textes, ont fait surgir des questions et interrogatifs. Il est, bien sûr, indéniable que chaque langue répond à des mécanismes et des règles qui dérivent de la morphosyntaxe et de la culture aussi. Le rapprochement des textes ci-dessus a révélé la distinction possible entre le couple Français-Anglais (F-A) qui se caractérise pour une certaine homogénéité et le cas isolé, l’Italien (I) qui parfois s’éloigne et se détache, comme exemples représentatifs de systèmes, visions et perspectives qui varient du point de vue de l’énonciateur-locuteur.

Des opérations de telle sorte font ainsi émerger des milieux hétérogènes, relever des interférences, des transferts, témoigner des échanges et du dynamisme des langues.

 

Références bibliographiques

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[1] L’introduction et le point 1 est de Sergio Piraro, les autres points sont de Paola Labadessa.

[2] Nous adoptons, ici, la terminologie du Conseil de l’Europe (2001) qui distingue entre le « plurilinguisme » des individus et le « multilinguisme » des institutions et au sein des sociétés.

[3] Le site web officiel de l’Union Européenne a été récemment mis à jour. Dans cet article on fait référence à la version en ligne dans l’année 2021. Les différences seront signalées dans les notes.

[4] https://europa.eu/european-union/about-eu/easy-to-read_fr. (dernier affichage le 10 juillet 2021).

[5] Dans la version actuelle du site (https://european-union.europa.eu/easy-read_fr) la phrase est remplacée par la suivante : « […] après que l’Europe eut connu deux grandes guerres » (dernier affichage le 21 juin 2023).

[6] https://europa.eu/european-union/about-eu/easy-to-read_en (dernier affichage le 27 avril 2021).

[7] https://europa.eu/european-union/about-eu/easy-to-read_it (dernier affichage le 27 avril 2021).

[8] En minuscule dans la version actuelle du site (https://european-union.europa.eu/easy-read_it) (dernier affichage le 26 juin 2023).

[9] Les images suivantes font référence à la version du site en ligne dans l’année 2021.

[10] https://curia.europa.eu/jcms/jcms/Jo2_6999/fr/ (dernier affichage le 26 juin 2023).

[11] Les arrêts sont disponibles en ligne dans le site de la Cour (https://curia.europa.eu).

[12] Disponible en ligne https://eur-lex.europa.eu. (consulté le 10 juillet 2021).

[13] Les ordonnances sont disponibles à la page https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=69657&pageIndex=0&doclang=EN&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=2053100 (consulté le 10 juillet 2021).

[14] https://iate.europa.eu/home (consulté le 10 juillet 2021).

 


Per citare questo articolo:

Sergio PIRARO, Paola LABADESSA, « Un espace virtuel multilingue comme outil pour une formation professionnelle en langue française: le cas du site web de l’Union Européenne », Repères DoRiF, numéro hors-série Varia, DoRiF Università, Roma, febbraio 2024, https://www.dorif.it/reperes/sergio-piraro-paola-labadessa-un-espace-virtuel-multilingue-comme-outil-pour-une-formation-professionnelle-en-langue-francaise-le-cas-du-site-web-de-lunion-europeenne/

ISSN 2281-3020

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