Coordination : Ruggero DRUETTA
Université de Turin
Faculté de Sciences Economiques

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Titre : La répétition en langue et en discours
Mots clés : répétition, anaphore, corrélatifs, reformulation

« Semel satis est » ou bien « bis repetita placent » ? La répétition d’une unité linguistique, qu’il s’agisse d’un phonème, d’un morphème, d’un lexème, d’un invariant sémantique ou d’une portion de texte est un fait banal en soi, mais qui se charge de valeurs différentes suivant les contextes d’utilisation. En ce qui concerne le niveau de manifestation, celui-ci peut aller depuis le phonème jusqu’au syntagme nominal ou verbal, dans le cas de l’anaphore rhétorique, avec des effets variés de type sémantique (désambiguïsation et intensification), syntaxique (corrélation et anaphore stricto sensu) ou rhétorique (anadiplose, tautologie, antanaclase, anaphore rhétorique, etc.). Tous ces usages peuvent être envisagés en tant que tels ou dans leur rapport aux intentions communicatives et pragmatiques du locuteur, qui peut user de la répétition pour obtenir des effets esthétiques (la rime, l’assonance) ou argumentatifs (l’intensité de la caractérisation adjectivale, par exemple, pouvant être mise au service d’une argumentation) ; de même, le recours à des formes hypochoristiques peut être mis au service de l’atténuation (euphémisme) ou d’un effet perlocutoire de mise en connivence (hypochoristiques et diminutifs).
Ce statut, à mi-chemin de la langue et de la parole, nous a motivé à lancer un programme de recherche qui fédère le groupe de recherche en grammaire et syntaxe et le groupe de recherche sur l’analyse du discours.
En ce qui concerne le groupe de recherche en grammaire et syntaxe, les sujets abordés, privilégiant l’étude des mécanismes linguistiques de caractères général (à savoir les possibilités et impossibilités en langue) pourront porter, bien que de manière non exclusive :
1) sur la répétition – à l’identique ou avec des variations – d’unités lexicales ou pronominales réalisant l’anaphore linguistique et assurant la permanence et la stabilité du référent tout au long d’un texte (monologal ou dialogal). C’est à ce sujet que se posent les questions de la synonymie et de la coindexation pronominale, notamment lorsqu’on va au-delà des frontières de la construction verbale (ou, pour utiliser un vocabulaire moins précis mais bien ancré dans la tradition, au-delà des frontières de la phrase).
2) Sur les structures corrélatives, basées elles aussi sur la coindexation (tantôt il est gai, tantôt il est triste ; plus il me parle, plus il m’irrite ; autant il est gentil avec moi, autant il est méchant avec sa femme…).
3) Sur les mécanismes langagiers mis en œuvre par la reformulation (problème de la synonymie et de la répétition avec variation), où il s’agit de proposer un invariant sémantique sous deux formes verbales souvent très éloignées, comme peuvent l’être le nom approprié et une glose, généralement marquée par des procédés langagiers qui en délimitent l’extension et qui signalent de manière explicite l’opération de reformulation à l’œuvre, en même temps qu’ils garantissent l’équivalence sémantique entre les deux expressions linguistiques mises côte à côte. Ce procédé intermédiaire entre la langue et le discours, est très présent dans les langues de spécialité, les textes de vulgarisation et les situations didactiques, et constitue l’un des traits définitoires de ces types de situations communicatives. La reformulation, s’appliquant également à des segments textuels plus étendus, pose en général le problème du rapport entre l’itération de l’invariant sémantique (fourni par le texte source) et la variation fournie par la reformulation, celle-ci s’articulant finalement à un texte dont elle assure la possibilité d’une continuation.
4) Sur les structures parémiques, où la répétition de certains éléments joue un rôle mémoriel, structurel et de marquage générique caractérisé par la préservation de structures généralement délaissées par d’autres usages de la langue (à malin, malin et demi ; qui vole un œuf vole un bœuf, etc.)
5) Sur la traduction, où on retrouve, de manière cruciale, le problème du rapport entre identité formelle / sémantique et reformulation : traduire consiste en effet à reformuler dans une autre langue-culture un invariant qui n’est pas seulement sémantique (reformulation de l’information) mais aussi formel (aspect esthétique ou plus simplement connotatif assuré par la mise en mots dans la langue-source).
6) Sur l’oral et ses modes de production : celui-ci est en effet caractérisé par un grand nombre de piétinements sur un site syntaxique, notamment lors de la recherche lexicale (j’ai rencontré le le le le machin le prof de Sarah). Ces répétitions, souvent traitées comme des disfluences, manifestent en réalité des régularités intéressantes, puisqu’elles se concentrent en général sur le « déterminant » (article, préposition, pronom clitique sujet, conjonction) et pas sur la forme lexicale pleine (Cf. Pallaud, Henry 2004, Blanche-Benveniste 2003).
7) Enfin, sur les modalités du discours didactique, ayant recours à l’itération par exemple dans l’enseignement d’une L2, où l’enseignant associe l’exhibition d’un objet et l’énonciation répétée de son nom, afin d’en favoriser l’appropriation et la mémorisation. Par ailleurs, on ne pourra pas oublier que le procédé de l’itération fait l’objet d’une condamnation (le pléonasme) assez constante dans le discours didactique, qui prescrit au contraire la variation comme forme valorisée de l’expression.

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